RECITS FICTIONS FANTASMES (61)
Ce texte est le septième chapitre d'une histoire qui en comporte 9. Vous aurez quelques difficultés à vous y retrouver si vous n'avez pas lu le début! Vous ne pourrez pas dire que vous n'avez pas été prévenu!
J'eus à peine le temps de raccrocher qu'il était déjà dans mes bras, à me donner le premier baiser de la nuit, le premier de ma vie. C'est toujours la première fois quand Taylor m'embrasse... le génie du baiser, tendre et doux, autant que brûlant et fort. Je pourrais passer des heures entre ses lèvres, au fond de sa bouche, il m'absorbe, il m'enroule dans son âme, il éteint le monde mais allume l'univers, il m'emprisonne, il m'enchaîne, mais toujours pour mieux libérer les torrents de plaisir qui nous emporteront en des endroits où tout est toujours beau.
Nous passâmes une nuit merveilleuse et un week-end parfait. Le samedi soir la mère de Taylor était venue dîner à la maison: excellent moment de bonne humeur et de joie partagée. Elle et mes parents s'entendirent d'emblée et à la fin de la soirée ils étaient déjà de vieux amis.
Lundi matin, je retrouvai Taylor à l'école, nous n'y étions pas allés ensemble: première décision pour mettre, en public, un peu de distance entre nous. C'était très difficile, et, plus encore, désagréable, mais il nous semblait que notre protection valait bien ce désagrément. La journée se déroula sans incident notable, banale au point que j'arrivais à en oublier mes craintes et ne pensais plus qu'au plaisir d'être en compagnie de mes amis... et de Taylor, bien sûr!
Sur le chemin du retour, je discutais tranquillement avec Ted, Brian et Cathy quand quelqu'un se glissa derrière moi et me murmura à l'oreille:
— S'ils savaient, je ne pense pas qu'ils riraient autant! À moins que ton petit copain ne soit l'un d'entre eux?
Je fis un tel bond que je faillis tomber, Brian réussit à m'attraper par le bras à la dernière seconde, m'évitant un contact trop rude avec le macadam.
— Qu'est-ce qu'il t'a donc dit pour te faire sursauter comme ça? demanda Cathy.
— Oh! C'est...
— Juste une blague entre nous, dit Rob, compréhensible seulement par deux vieux copains!
— Je ne savais pas que Matt et toi étiez copains, reprit Cathy.
— Il y a tellement de choses que tu ne sais pas! lui répondit Rob, énigmatique. Puis il se tourna vers moi et ajouta: Matt, je t'ai cherché toute la journée parce que j'ai un gros problème. Je dois travailler sur le cycle du "Seigneur des Anneaux" de Tolkien, pour la fin du semestre et je n'ai pas les bouquins. J'ai vu l'an dernier que tu avais la collection complète alors j'ai pensé que tu pourrais me les prêter.
— Ça ne me ferait rien, si ce n'était pas une édition spéciale, ce sont mes parents qui me l'ont offerte l'année dernière et j'y tiens vraiment beaucoup! répondis-je avec réticence.
— Je peux te prêter les miens, je les ai en collection poche, proposa Cathy.
— Non merci. Je préfèrerais ceux de Matt, j'ai déjà vu cette collection, ses illustrations sont superbes, ce serait beaucoup plus agréable de travailler avec ceux-là, et je suis sûr que ça ne lui fait rien de les prêter à son vieux copain!
Il avait formulé les derniers mots, son regard rivé au mien, sans le moindre sourire. Je restai silencieux un instant, ces livres avaient beaucoup de valeur pour moi, et je savais aussi que si je lui cédais pour la deuxième fois en trois jours, je risquais de me trouver pris dans un très mauvais engrenage. Mais qu'est-ce que je pouvais faire d'autre? Prendre le risque de bousiller ma vie, sociale et amoureuse, pour quelques bouquins?!?!
— Je te les apporterai demain, lui dis-je.
— Merci Matt, je savais que je ne serais pas déçu en m'adressant à toi, à demain!
Et il partit. Trente secondes plus tard je le vis qui s'éloignait sur mon VTT.
— Quel crétin! Pourquoi est-ce que tu lui prêtes tes bouquins Matt? Tu le connais à peine! s'exclama Cathy.
— Je le connais... pas mal en fait, c'est pas un mauvais bougre! Il est un peu bizarre parfois, et capricieux aussi... mais, dans l'ensemble... ça va. Et puis des bouquins, c'est jamais que des bouquins, alors si ça lui fait plaisir!
— T'es vraiment trop gentil toi!
— De quels bouquins parlez-vous? demanda Taylor qui arrivait.
— Une superbe collection du "Seigneur des Anneaux" qu'il vient juste de prêter à Robert pour je me demande bien quelle raison!
— Tu as fait ça! Vraiment!
— Oui, je l'ai fait, et puis ça suffit maintenant avec cette histoire! Ce sont mes bouquins après tout! Et j'en fais ce que je veux non!
Il y avait, dans ma voix, plus de colère que je n'aurais voulu en montrer et, dans leurs yeux, de la stupeur, face à cette réaction si inhabituelle de ma part. Je leur tournai le dos et filai vers la maison sans me retourner.
J'étais d'une humeur exécrable, où dominaient alternativement la colère, la dépression et la tristesse. Je me sentais coincé, je ne trouvais aucune issue, aucune porte de sortie, aucun moyen d'échapper au pouvoir que Robert avait acquis sur moi. J'essayais bien de me persuader que tout s'arrêterait vite, que ça n'irait pas plus loin, mais au fond de moi je savais bien, même si je ne voulais pas me l'avouer, qu'il continuerait aussi longtemps qu'il le pourrait. Et le pire c'est que tout ça était de ma faute, que je n'avais à m'en prendre qu'à moi-même!
J'étais presque arrivé à la porte quand j'ai senti une main sur mon épaule.
— Ça fait dix minutes que je suis derrière toi, dit Taylor. Je ne sais pas quoi te dire. Je suis désolé, j'aimerais bien t'aider mais je vois pas ce que je peux faire. Je n'arrive pas à comprendre qu'on puisse être un tel bâtard! Comment est-ce qu'il peut te faire ça, à toi!
— Pardonne-moi de t'avoir planté là comme ça tout à l'heure, c'était pas juste. Mais je suis tellement en colère, plus qu'en colère, furieux, au point que je pourrais en devenir violent! Surtout que je ne vois pas comment sortir de ce merdier! Ça me rend dingue! Mais je t'en prie, on pourrait arrêter d'en parler. Tout ce dont j'ai besoin en ce moment c'est que tu me prennes entre tes bras... Et que tu m'offres un de tes baisers magiques... Et que tu me câlines pendant des heures! Et ne plus penser à tout ça!
— D'accord... surtout pour le programme câlins...
Dans ma chambre il me poussa sur mon lit, s'allongea sur moi:
— Laisse-moi m'occuper de toi, murmura-t-il. Laisse-moi te décontracter.
Je fermai les yeux lorsqu'il commença de picorer mon visage de baisers légers et rapides, rafraîchissants comme une brise d'amour.
Il dégagea mon T-shirt de ma ceinture et inséra sa main qui glissa le long de mon ventre et de mes côtes, à la recherche de mes pectoraux. Ses caresses avaient la même légèreté, la même fraîcheur que ses baisers. Il avait promis de me détendre, il s'y prenait à merveille. Tous les soucis du jour s'effaçaient, s'éloignaient, loin, loin. Il n'y avait plus que Taylor et moi. Le monde peut paraître affreux parfois, mais quand même, un monde qui a su engendrer Taylor ne peut pas être entièrement mauvais! Son amour me donnait une force incroyable et je savais, quelque part au fond de moi, que c'est cette force qui me permettrait de tenir.
Il retire, en un mouvement rapide, mon pantalon et mon caleçon. Caresses et baisers sont maintenant réservés à mes pieds. Il remonte lentement vers l'aine, n'oubliant aucune parcelle de mes mollets ni de mes cuisses, même les genoux reçoivent au passage leur lot de tendresse. Il n'y a pas d'urgence, pas de précipitation dans ses mouvements. Je suis totalement détendu, à l'exception d'un élément de mon anatomie qui concentre toute la tension dont je suis capable en cet instant, je crois même que l'acier ou le carbon-kevlar paraîtraient souples en comparaison!
Quand il se met à lécher mes bourses j'émets mes premiers soupirs. Il en prend une dans sa bouche d'abord, puis les deux ensemble. Ma température monte en flèche. Ses mains écartent mes genoux et il caresse de sa langue la base de ma queue, la partie la plus tendre de mon aine, jusqu'à la naissance de mes fesses. Sa langue se pose sur mon anus pour la première fois. Une décharge électrique! En un millième de seconde je ne suis plus détendu le moins du monde: mon corps entier n'est plus qu'un spasme, une crampe totale. Tous mes muscles sont mobilisés par une vague de plaisir d'une intensité inouïe.
Ses lèvres et ses dents me grignotent avec tendresse tandis que sa langue tente une pénétration toujours plus profonde. J'aurais voulu que cette invasion ne s'arrête jamais, mais dès que sa main effleure ma queue, j'explose. Le premier jet atteint le mur, au-dessus de moi, le second retombe sur mon visage. Taylor, qui a rampé jusqu'à moi, me lape consciencieusement.
— Je t'aime Matt, si fort que j'en ai peur parfois. Je ne sais pas ce que je deviendrais, comment je pourrais encore vivre sans toi!
— Tu n'en auras pas besoin Taylor, je serai toujours avec toi. Il faudra me tuer si tu veux te débarrasser de moi. Je t'aime Taylor.
Je n'ai pas conscience de m'endormir, mais lorsque je me réveille, une heure plus tard, j'ai une feuille de papier dans la main: "tu étais si beau, tu avais l'air si tranquille que je n'ai pas eu le cœur de te réveiller, je t'ai juste écrit quelques mots, sans rime... ni raison... mais depuis quand l'amour a-t-il besoin de raison? Je t'aime."
Il avait écrit, à la hâte, quelques vers:
Tant mon amour est fou, je voulais être toi Devenir ta salive Naître au fond de ta gorge Et poussé par ta langue Venir mouiller tes lèvres
Tant mon amour est fou, je voulais être toi Être de tes cheveux Blanchir à force d'ans Sous le poids du bonheur Et du plaisir d'aimer
Tant mon amour est fou, je voulais être toi L'ongle au bout de ton doigt Que tu coupes parfois Mais qui revient sans cesse Nouveau à chaque fois
Tant mon amour est fou, je voulais être toi Une perle de sueur Que la chaleur d'amour Fait sourdre de ta peau
Tant mon amour est fou, je voulais être toi Une larme de joie Qui ravine ta joue Et se perd dans ton cou
Tant mon amour est fou, je voulais être toi Mais qui aimer alors? Qui prendre entre mes bras? Moi? C'est folie! Non! Je n'veux pas être toi! Je ne veux qu'être à toi.
Je t'aime
Le lendemain je confiai mes "Seigneur des Anneaux" à Rob en lui demandant d'en prendre le plus grand soin. Il ne répondit pas et partit aussitôt. Je ne le revis que le mercredi après-midi. Juste avant de quitter l'école il m'interpela et commença à me raconter une histoire compliquée à propos d'un cadeau qu'il devait absolument faire à je ne sais plus qui. Je lui demandai d'abréger car j'étais assez pressé. Il me réclama alors trente dollars (alors, en Euros, ça doit faire environ 28 ou 29 et en francs (français, suisses ou CFA) ou en dollars canadiens... débrouillez vous, je n'ai pas de convertisseur sous la main!).
Sa demande me laissa sans voix. Cette fois je ne pouvais plus me bercer d'illusion, c'était vraiment du chantage! Je lui donnai l'argent tout en sachant que c'était une erreur. Il était évident que d'accepter ses exigences ne feraient que les rendre de plus en plus insupportables. Mais je ne savais vraiment pas quoi faire d'autre. Je lui jetai l'argent à la figure et le plantai là. Je ne dis rien à Taylor, Je ne voulais pas l'inquiéter.
Jeudi après-midi, vers 4 heures, Robert m'appela chez moi, c'était la première fois. Il me dit qu'il avait besoin de me voir tout de suite, avant quatre heures et demie et il refusa de s'expliquer sur les motifs de cette nouvelle exigence.
Taylor et moi devions nous retrouver à cinq heures, je dus donc l'appeler pour repousser à 6 heures, en inventant je ne sais quelle corvée que mon père m'aurait imposée. La veille je lui avais caché quelque chose, cette fois-ci je lui mentais. Je détestais ça mais j'avais l'impression de ne pas avoir le choix, de faire pour le mieux.
Dès mon arrivée Robert me conduisit à sa chambre et ferma la porte.
— Qu'est-ce que tu veux cette fois? Un autre bouquin? Des CD? Plus de fric? Une sonnette neuve pour mon vélo? Dis-moi ça vite parce que je n'ai vraiment pas le temps!
— Du calme Matt, du calme! Je suis ton ami, n'oublie pas, alors, ravale un peu ta colère!
— Tu n'es pas mon ami et je ne suis pas le tien! Je suis juste quelqu'un dont tu te sers, alors arrête tes conneries!
— D'accord, d'accord! Tu connais Clara, ma petite amie?
— Quelle veinarde!
— Je suis d'accord avec toi. On a passé le début de l'après-midi ensemble, et elle est vraiment très très gentille si tu vois ce que je veux dire.
— Félicitations!
— Mais elle a dû partir tôt et elle m'a laissé dans un état désagréable, alors j'ai pensé que tu pourrais m'aider.
Il baissa la ceinture de son pantalon et me montra son sexe, à demi-bandé. J'en restai tout d'abord interdit.
— Qu'est-ce que tu veux dire par t'aider?
— Je te croyais plus intelligent que ça Matt! T'es un pédé donc tu aimes sucer les bites! La mienne en a grand besoin en ce moment alors j'ai pensé à t'appeler, pour ton plaisir et... pour mon soulagement, pas compliqué non?
Je n'arrivais pas à y croire! Sa requête me paraissait tellement extravagante que j'étais incapable de construire une pensée cohérente sur la situation!
— Dépèche-toi Matt! Surtout si tu es pressé! Je suis sûr que tu vas apprécier ça autant que moi!
La colère montait en moi, comme une colonne de chenilles processionnaires escaladant un arbre couvert de tendres pousses vertes. Je la sentais me dévorer centimètre par centimètre, prendre possession de chaque cellule de mon corps, m'habiter entièrement. Elle n'avait pas encore conquis la totalité de mon cerveau, je m'en rendais compte car j'arrivais toujours à l'analyser. Mais je savais qu'il fallait que j'agisse vite sinon, si la colère montait encore, je perdrais tout contrôle et je sentais que j'aurais été capable de le tuer!
— T'es un bâtard Robert, un salaud et un bâtard! De la pire espèce! Le plus moche que j'aie jamais vu! Si tu as besoin de te soulager, t'as qu'à demander à ta main droite, et elle aura du boulot pendant encore longtemps, et si tu veux du changement, essaye de devenir ambidextre, car t'es tellement moche, dedans comme dehors, que ça m'étonnerait qu'il y ait un garçon ou une fille assez dingue pour avoir envie de partager quelque chose avec toi!
Je parlais avec une lenteur appliquée, dans l'espoir vain de contrôler le tremblement de ma voix.
— Regarde-moi Robert, regarde-moi bien parce que c'est la dernière fois que tu me vois à côté de toi! Je suis un pédé, c'est vrai! Mais s'il y a un pervers ici, c'est toi! À partir de maintenant tu peux faire ce que tu veux, je m'en fous! C'est fini, tu ne me feras plus chanter! Je reprends mes bouquins.
Je les pris sur son bureau ainsi que son portefeuille.
— Je reprends aussi mes trente dollars (pour la conversion voir plus haut).
Il commença à se lever.
— À ta place je ne bougerais pas Robert. Si tu fais un seul mouvement je crois que je ne résisterai plus à l'envie que j'ai de te casser la gueule. Je ne suis pas violent en général mais là...!
Il se rassit pendant que je comptais mon fric. Je jetai le portefeuille à ses pieds.
— Maintenant je m'en vais avec mon vélo. Et je t'assure que tu n'as pas intérêt à bouger, ni à dire un mot.
Il comprit qu'il aurait été dangereux d'insister, il était très pâle, visiblement effrayé. Je sortis sans l'entendre.
De retour dans ma chambre, dix minutes plus tard, ma mère ma passa une communication téléphonique. Ma main tremblait encore lorsque je saisis le combiné. J'entendis la voix de Robert:
— Matt, c'est Robert. Tu n'as pas été très prudent cette après-midi. Plutôt inconséquent même comme on dit dans les bons livres! Mais, malgré tout ça, je reste un bon copain, alors je te donne une deuxième chance, jusqu'à demain après-midi. Tu as jusqu'à quinze heures pour revenir à de bonnes dispositions d'esprit. Après quinze heures, je ne serai plus capable de garder pour moi le lourd secret que je porte. Est-ce que tu...
Je lui raccrochai au nez, sans un mot.
J'avais perdu. J'étais perdu! Mais qu'est-ce que je pouvais faire! devenir sa pute! Pas question, plutôt me foutre en l'air! Le suicide? N'est-ce pas ce qu'il y aurait de mieux à faire? Non, certainement pas, j'étais mort de peur, selon l'expression consacrée, mais... pas au point de mourir pour de vrai! Et le tuer lui! C'est étonnant comme les idées les plus extravagantes vous traversent l'esprit parfois. Moi, penser au suicide ou au meurtre, presque naturellement! J'étais piégé, je n'avais plus le choix, plus la moindre marge de manœuvre. C'est à ce moment que j'ai compris que le pire serait de perdre, en plus, le respect de moi-même, et que je le perdrais plus en lui faisant la pipe qu'il me réclamait qu'en étant connu pour ce que, en fait, j'étais: un pédé!
Je suis resté longtemps assis comme ça, englué dans mes peurs, mes angoisses. Le téléphone sonna une seconde fois. C'était Taylor.
— Mais alors qu'est-ce que tu fous! Ça fait une demi-heure que je t'attends! Pourquoi est-ce que tu es encore chez toi?
Je ne répondis pas.
— He Matt, tu es là? Tu te sens bien?
Il y avait de l'inquiétude dans sa voix.
— Non, pas vraiment.
— Pourquoi?
— Je suis allé voir Robert.
— Merde, merde merde! Mais quand est-ce que ça va s'arrêter? Quand est-ce qu'il va arrêter de nous pourrir l'existence?
— Je crois qu'il va l'empoisonner définitivement demain! Il va tout dire.
— Qu'est-ce qui s'est passé?
— J'ai refusé sa dernière exigence.
— Qu'est-ce que c'était?
— Il voulait que... je... lui taille une pipe... Je ne peux pas faire ça! Je ne veux pas devenir sa pute, quelles que puissent être les conséquences! Maintenant je suis sûr qu'il va parler parce qu'il m'a donné jusqu'à demain midi pour réfléchir et je ne changerai pas d'avis!
— Ça va être l'enfer! On va être la risée de tout le monde! la cible de tous ces connards d'homophobes! j'arriverai pas à le supporter! C'est pas juste!
Il pleurait, au bord de la panique.
— Calme-toi Taylor, je t'en prie, calme-toi.
— Facile à dire pour toi! Avec tous tes amis, tu seras toujours protégé! Mais moi, qu'est-ce que je vais devenir moi?
— Taylor, tu n'auras rien à affronter de particulier, tu n'es pas directement impliqué la dedans. Je te rappelle qu'il ne te connaît pas, qu'il ne sait pas que c'était toi, on doit juste être plus prudents, c'est tout!
— Oui, c'est vrai... Je suis désolé, je suis incapable de t'aider, je ne suis pas assez fort. J'ai l'impression d'être au bord de la panique. Tout était tellement génial depuis que je suis ici: toi, ma famille, les nouveaux amis, même l'école! Et maintenant je pense que je ne mérite rien de tout ça, parce que... parce que... je ne peux pas t'aider.
Il sanglotait.
— Je comprends Taylor, je comprends ce que tu ressens et je ne vais certainement rien te reprocher. Tout ça c'est le résultat de ma connerie, c'est entièrement ma faute! Ce serait peut-être mieux si nous ne nous voyions pas pendant quelques jours.
J'essayai de faire cette proposition d'un ton détaché, sans trahir l'émotion que je ressentais. En fait j'attendais, j'espérais un refus énergique... je fus déçu.
— On en reparlera un peu plus tard, OK?
— OK.
— Alors salut Taylor.
— Salut Matt.
Pour la première fois depuis longtemps il avait raccroché sans la litanie habituelle des mots de tendresse, sans les "je t'aime" fiévreux qui concluaient toujours nos appels. Je gardais le combiné collé à mon oreille et les bips qu'il émettait devenaient autant de fléchettes qui me transperçaient le cœur, c'était comme si on m'écorchait vif, qu'on m'arrachait les os un à un, lentement, comme si l'on m'éviscérait avec un couteau à pain, comme si... non, là je m'emporte un peu! Bon je ne me sentais vraiment pas bien, vous l'avez peut-être remarqué...
Je me suis laissé tomber sur mon lit et j'ai pleuré.
Le lendemain matin je me réveillai épuisé. Je n'étais pas d'humeur bavarde et, à l'école autant qu'à la maison, tout le monde sembla s'en apercevoir, ma solitude fut respectée. Je doute que cela m'ait fait le moindre bien d'ailleurs, je ne faisais que remâcher mes craintes et entretenir ma dépression.
Chaque fois que mes yeux croisaient ceux de Taylor, j'y voyais de l'inquiétude, de la peur et de la tristesse. Mais ces contacts étaient très rares, nous nous évitions consciencieusement.
Pendant la matinée je vis Robert à une vingtaine de mètres. Il accrocha à ses lèvres un de ses sourires narquois que j'avais appris à détester. Je le fixais et je pense qu'il perçut toute la haine que j'éprouvais pour lui. Il sembla hésiter une seconde puis continua dans ma direction.
— Hé Matt!
Je ne répondis pas
— Tu es prêt pour notre petite séance de cette après-midi?
—...
— Oh! Je vois, tu es à ce point ému... ou excité... que tu en restes muet!
C'était trop, la coupe était pleine, elle débordait même à gros flots, à flots aussi impétueuex que ceux de la colère qui me submergeait. Colère? Non, rage serait un mot plus juste, furie! Je fis ce que, de ma vie, je n'avais jamais fait: je lui envoyai mon poing en pleine figure. Il tomba sur les fesses et me regarda sans avoir l'air de comprendre ce qui lui arrivait, sans même songer à éponger le sang qui coulait de son nez. Les 4 ou 5 élèves qui avaient assisté à la scène, me regardaient d'un air ahuri, incapable de comprendre ce qui avait bien pu me prendre.
Je n'aurais pas pu en supporter davantage ce jour-là. Je décidai donc de sécher les deux derniers cours et de rentrer chez moi.
En fait, plus j'avançais et moins j'étais fier de moi... et à peine soulagé! Cette façon d'agir, ce n'était pas moi, pas dans mon caractère. Mais quel pouvoir avait donc ce salopard: un, il venait de foutre en l'air ma vie amoureuse, deux, il était sur le point de bousiller ma vie "sociale" et trois, cerise sur le gâteau, il arrivait même à influencer mon comportement!
"Il faut que tu sois plus fort que ça!" me dis-je en moi-même. Il peut peut-être avoir une influence sur les aspects extérieurs de ta vie, mais il ne peut pas changer qui tu es, ce que tu es! Tu dois rester toi-même! Si tu deviens violent, en fait ça veut dire que c'est toujours lui qui définit les règles du jeu, c'est lui qui pilote! Quand tu l'as foutu par terre, ça t'a fait du bien mais, en réalité, c'est lui qui gagnait car c'est lui qui était aux commandes!
Durant tout le week-end je me plongeai dans les devoirs, j'avais besoin de me garder l'esprit occupé. Je passai des heures à préparer l'exposé que je devais faire lundi matin. Vous vous rappelez? "Le combat pour la liberté jusqu'au jour de l'Indépendance". Si je devais être le premier pédé identifié de l'école, je voulais au moins être connu comme un pédé intelligent!
Mon attitude et l'absence de Taylor intriguèrent mes parents et Lucia. C'est vrai que le contraste avec les semaines précédentes était saisissant, nous étions alors inséparables, en particulier pendant les week-ends. Et, cette fois, pas un signe, pas une visite, pas un coup de fil! En fin d'après-midi, dimanche, Lucia entra dans ma chambre, son visage trahissait sa préoccupation.
— Est-ce qu'on peut parler un moment Matt? Il y a deux choses dont je voudrais discuter avec toi, et surtout une qui m'inquiète beaucoup.
— Bien sûr, qu'est-ce qui t'inquiète à ce point?
— C'est difficile à dire...
— Grouille-toi s'il te plaît, j'ai encore plein de boulot!
— Bon... c'est une rumeur que Cathy m'a rapportée. Une rumeur qui dit que tu es gay et que tu...
— Que je quoi! la coupai-je avec agacement.
— Hum... Que tu fais des cochonneries dans les toilettes du ciné!
Je pâlis.
— Alors ça y est, ça a commencé.
— Ça a commencé? Tu t'y attendais?
— Oui... c'est Robert.
— Robert? Qu'est-ce qu'il a à voir la dedans?
— Écoute, sans entrer dans les détails, Robert m'a vu au cinoche avec Taylor la semaine dernière, il nous a vus en train de faire... des trucs que nous aurions mieux fait de faire à la maison. Il en a profité pour me faire chanter toute la semaine. J'ai cédé jusqu'à jeudi quand il m'a demandé... de lui tailler une pipe. Là j'ai refusé! Alors maintenant il met sa menace à exécution et il raconte partout ce qu'il a vu. Avant la fin de la semaine je serai devenu le pédé de l'école!
— Merde alors! J'arrive pas à croire que Robert puisse faire un truc pareil! Je ne l'ai jamais beaucoup aimé, mais je n'aurais jamais pensé que ce soit un pareil salaud! Qu'est-ce que tu vas faire? Tu n'as qu'à tout nier en bloc! Tout le monde te croira, beaucoup plus que Robert!
— J'y ai pensé bien sûr, mais je me sens un bien trop mauvais menteur pour tenir dans la durée. Et puis, en plus, ce serait être malhonnête avec moi-même... Ou malhonnête avec l'amour que j'éprouve pour Taylor. Je ne peux pas faire ça. J'aurais préféré rester discret, mais je ne veux pas mentir, je ne veux pas me renier moi-même. J'ai peur, mais, tant pis, j'essayerai de faire face... je ne sais pas si je suis prêt mais je vais faire comme si...
— Et Taylor, c'est la deuxième chose dont je voulais te parler, on ne l'a pas vu du week-end! Qu'est-ce qu'il pense de tout ça?
— Il a encore beaucoup plus peur que moi, Il est terrorisé! Il est nouveau ici, et il n'est vraiment pas prêt à afficher sa sexualité. Alors, comme Robert ne sait pas que c'était lui au ciné, on a décidé de prendre quelques distance l'un avec l'autre, ça devrait lui éviter d'être éclaboussé.
— Le salopard.... J'y crois pas! Il te plaque au moment oô tu as le plus besoin de lui, juste pour mettre son p'tit cul à l'abri...
— Arrête ça Lucia, arrête de l'insulter" l'interrompis-je avec colère. Même venant de toi je ne le supporterai pas! Oui il a peur! Et je le comprends parce que j'ai peur aussi! Oui il veut se protéger, et moi aussi je veux le protéger! Tout ce qui arrive c'est de ma faute, c'est moi qui... qui... l'ai poussé à... au cinéma! Il n'y a aucune raison qu'il paye pour mes conneries! Je ferai tout ce que je pourrai pour l'épargner, tout!
— Tu crois qu'il t'aime encore?
— Je crois... j'espère... Il est dans le brouillard en ce moment, il est si effrayé. Je vais attendre quelques semaines, jusqu'à ce que tout se tasse un peu. J'espère qu'il reviendra à ce moment-là, je sais que je ne peux pas m'empêcher de penser à lui...
Je me mis à pleurer.
— J'ai peur Lucia, tellement peur, je ne sais pas si je serai assez fort pour supporter ça. J'ai l'impression d'aller dans un endroit que je ne connais pas du tout, je suis incapable de prévoir qui sera de mon côté, qui sera prêt à m'aider et qui me tombera dessus!
— Moi je serai là, si tu en as besoin!
— Merci Lucia, je le savais, et je te jure que c'est énorme pour moi. J'aimerais mieux arrêter d'en parler pour l'instant, tu veux bien?
— Bien sûr.
— J'ai encore besoin d'un peu de temps pour finir mon boulot et ensuite j'essayerai de dormir.
— D'accord, à demain frérot!
Une fois encore je me plongeai dans mon travail pour éviter de remâcher des idées noires, pour oublier toute cette merde. Je me contentai d'un rapide sandwich vers dix heures puis je bossai jusqu'à une heure du matin. Je pensais qu'ainsi je serais suffisamment épuisé pour m'endormir au premier contact avec mon oreiller.
Ça ne marcha pas du tout comme je l'avais escompté, je passai une nuit épouvantable
>à suivre
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