Ils ont entre 50 et 87 ans mais certains d'entre eux n'ont jamais vraiment fait leur «coming out», c'est-à-dire qu'ils n'ont même pas osé
dire à leur propre famille qu'ils étaient homosexuels. Depuis plus de dix ans, les Tamalou se réunissent une fois par mois à Genève. «Quand les jeunes se téléphonent entre eux, ils se
demandent: “t'es où?” Pour nous, la question ce serait plutôt: “t'as mal où?”, dit en riant le responsable du groupe, François Thierry, âgé de 62 ans.
Dans le langage populaire, les Tamalou sont des personnes – généralement âgées – qui se plaignent toujours d’avoir mal quelque part. Mais
le groupe des Tamalou créé par François Thierry a quelque chose de particulier: tous ses adhérents sont homosexuels (ou gays, selon l'expression consacrée dans la communauté). Les
rencontres ont lieu dans les locaux de l'association militante 360, qui regroupe quelque 300 lesbiennes, gays, transsexuels et bisexuels (LGTB), mais aussi des membres sympathisants
hétérosexuels. L’association s’est donnée pour but de lutter contre les discriminations fondées sur l'orientation ou l’identité sexuelle.
Ne pas rester dans l’isolement
Autour d'une table rapidement dressée, les Tamalou se partagent à la bonne franquette un peu de pain, du pâté, un bol de salade et un
gâteau aux pommes, le tout arrosé d'un petit verre de vin rouge versé dans des verres en plastique. Ici, tout le monde tutoie tout le monde. L'accueil est immédiatement assuré par le
chien Oudini, qui doit son nom à sa tendance à disparaître sous la table quand il ne suit pas le visiteur partout en aboyant bruyamment. L'endroit ressemble un peu à une caverne d'Ali
Baba, avec des revues empilées un peu partout et des murs tapissés d'affiches annonçant des soirées festives.
© Wollodja Jentsch
C'est que les Tamalou ne sont pas seuls à utiliser les locaux. Ceux-ci hébergent également la rédaction du magazine 360° qui traite de
l’actualité des LGTB, l’association 360° Fever, qui organise environ dix fois par an des soirées populaires avec DJ et concerts, et plusieurs autres groupes d'entraide, par exemple pour
les parents de même sexe.
«J’ai créé ce groupe pour répondre au besoin des gays de ne pas rester dans l'isolement lorsqu'ils vieillissent. Lorsque l’un de nous est
absent, je vais aux nouvelles et s'il lui est arrivé quelque chose, je fais circuler l'information pour que les autres aillent le voir», déclare François Thierry. Le plus âgé du groupe
– il aura 87 ans cette année – vient d’entrer en maison de retraite. Les autres vont donc lui rendre visite.
Nous avions trois possibilités: le suicide, faire semblant d'être hétérosexuel ou nous assumer.
En plus des rencontres mensuelles, la petite vingtaine de Tamalou sort régulièrement pour manger une fondue ou prendre l'apéro dans un bar
«gay-friendly», c'est-à-dire un café accueillant ouvertement les homosexuels. Ils font également des apparitions dans les soirées festives a priori destinées aux jeunes, pour donner un
coup de main dans l’organisation. Mais les contacts intergénérations restent peu développés: «Dans la pratique, il est difficile de créer des liens avec les jeunes, car ils ne
s'intéressent pas beaucoup aux plus âgés.
«Plaidoyer pour moins d'agisme dans les saunas. Et au moins que plus de jeunes autorisent qu'on les
regarde faire l'amour. C'est beau ! et c'est vrai mêmepour les dragues en plein air »
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Tout comme dans la société d'une manière générale, il y a une sorte d'âgisme dans
la communauté gay», regrette François Thierry. «Pour moi, l'intérêt de ce groupe,
c'est qu'il représente la mémoire d'une époque. Nous avons connu le temps où le fait
d'être gay était complètement tabou», affirme Philippe Scandolera, 59 ans. François Thierry
se rappelle qu’il y avait parfois des descentes de police dans les bars gays; le chef de la brig-
ade des mœurs pouvait débarquer en personne pour voir ce qui se passait.
François Thierry a révélé son homosexualité à sa famille vers 35 ans seulement et encore, pas très
volontairement: «Ma sœur m'a dit que ma mère pensait que j'étais gay et je lui ai répondu
que c'était vrai.»
© Wollodja Jentsch
NE SOYONS PAS TROP EXIGEANTS
Un autre membre du groupe, qui préfère rester anonyme, n'a jamais osé en parler à ses parents: «J'ai été élevé dans une famille chrétienne
évangélique. On ne parlait pas de gays mais de sodomites et l'homosexualité était considérée comme une abomination.» Il a donc grandi dans la honte et la crainte du rejet. Une fois
adulte, il a essayé de mener une vie «normale», c'est-à-dire hétérosexuelle. «Je ne pouvais pas m'accepter moi-même tel que j'étais. Je n'ai réussi à admettre mon attirance pour les
hommes qu'à partir de 50 ans. Et aujourd'hui encore, quand je suis invité dans ma famille, je fais comme si de rien n'était.» Aujourd'hui, à près de 70 ans, il cherche toujours l'amour:
«Pour moi, il faut qu'il y ait des sentiments. Je ne voudrais pas d’une aventure.»
© Wollodja Jentsch
Les langues se délient
André Lauper, lui, a surpris sa famille en faisant son coming out à la télévision: «J'avais participé à une émission qui parlait
d'homosexualité. Le lendemain, une de mes tantes est venue me dire qu'elle ne comprenait pas ce que “je faisais” parmi ces gens-là. Alors je lui ai répondu: “Mais je suis comme eux!”»
Au fil de la conversation, les langues se délient: «Nous avions trois possibilités: le suicide, faire semblant d'être hétérosexuel ou s'assumer.» «Je me souviens d'un jeune de 16-17 ans
que ses parents avaient envoyé dans un hôpital psychiatrique après avoir trouvé dans sa poche un mot doux rédigé par un autre garçon. La chance que nous avons eue, c'est de pouvoir
partir de la maison à 18 ans parce qu’il y avait du travail. Les jeunes d’aujourd’hui restent dépendants plus longtemps.»
Acceptés dans les EMS?
Avec l’avancement en âge, une nouvelle question se pose pour les Tamalou: «Comment serons-nous acceptés dans les EMS? Nous côtoierons des
gens d’une génération qui n’a pas l’ouverture d’esprit des jeunes d’aujourd’hui. L’idée même de l'homosexualité paraît répugnante à certaines personnes âgées», s’inquiète François
Thierry. La rédaction de la revue 360° a passé une dizaine de coups de fil dans les EMS, pour s’entendre répondre qu’aucun n’avait de résidant gay. Quelques établissements auraient même
été «offusqués» qu’on leur pose la question. Dans plusieurs pays, dont la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, le Canada et les Etats-Unis, on teste la solution de «l’EMS pour gays». Seul
hic: le séjour est souvent hors de prix, car il s’agit de petites structures. En Suisse, un projet a été lancé en décembre dernier par l’association zurichoise queerAltern.ch. Les
premiers logements réservés aux aînés LGTB pourraient être inaugurés dans quelques années.
Francesca Sacco
www.association360.ch/tamalou
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