classé dans INVENTAIRE DES POSSIBLES (25) Vous ne vous y trompez pas depuis que je vous traîne mystérieusement(chapitre 1) : c'est d'homoparentalité dont il va s'agir, alors qu'en fait il s'agit d'abord de l'amour d'un gay pour un hétéro. On semble aller vers une grave déception.
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Séduire le fils pour m'approcher du père !
Deux mois, deux nouveaux interminables mois que chaque week-end, je fais le pied de grue dans ce putain de parc qui commence à me sortir par les yeux. Il n’est pas revenu. Je suis désespéré. J’arrive tôt le matin, muni d’un sandwich, d’un bouquin et... j’attends. Il est vrai qu’en cette fin d’hiver, le temps n’est guère clément, de la pluie, du vent, parfois quelques flocons. Je pèle de froid en espérant toujours. Je me console comme je peux. Encore heureux que je n’attrape pas la crève. J’ai beau me convaincre qu’avec cette froidure, il est normal qu’il ne sorte pas avec un bébé, il n’empêche. Cela ne me remonte pas le moral. Alors, je lève les yeux vers le ciel et j’adresse mes insultes les plus gratinées au bon dieu et à tous ses saints qui se refusent obstinément à m’offrir du grand beau temps. Là-haut, ils ne doivent guère apprécier mes amabilités. Mon impossible amour me ronge de plus en plus. Ma balance ne ment pas. J’ai maigri.
À mon bureau, la situation n’est guère brillante. Mes relations avec mes collègues se sont tendues. Ils ne me reconnaissent plus. C’est totalement de ma faute. Je deviens irascible. Moi qui étais toujours enjoué, rieur, ne supporte plus la moindre plaisanterie. J’envoie chier pour un oui, pour un non. Le pire est que j’en suis conscient. Le soir, chez moi, je regrette cette attitude, me promets de ne pas recommencer. Las, le lendemain, je redeviens un ours mal léché et insupportable à son entourage. Le résultat est là: je suis mis à l’écart.
Mon travail lui-même commence à souffrir de mes préoccupations personnelles. Quand on est architecte, comme c’est mon cas, les conséquences peuvent être graves. La moindre erreur et c’est, au mieux, le vice de construction, au pire, le bâtiment qui s’écroule. J’ai droit à des remontrances de plus en plus fréquentes de la part de Jérôme, le chef de notre cabinet, pourtant un bon copain. Il a raison. Je promets d’être plus vigilant. Ce ne sont que promesses...
Il y a plus inquiétant: il y a quelques jours, en rentrant chez moi, je croise un jeune mec. Il n’a pas vingt ans, mignon à croquer. Il me sourit. Machinalement, c’est un vieux réflexe, je réponds à cette invite. Vingt mètres plus loin, je me retourne. Non seulement il en a fait autant, mais en plus, il me suit. Je me laisse aborder. Trois phrases banales, puis le coup classique, je l’invite à boire un pot à la maison. La porte refermée, je n’ai pas le temps de lui servir un verre. Il se colle à moi et me roule un patin d’enfer. C’est l’heure de passer aux actes, il en brûle d’envie. Moi aussi, du moins, c’est ce que je crois. Je l’entraîne vers le lit. L’effeuillage est rapide. Des baisers, des caresses de plus en plus osées. Il me prend dans sa bouche. Rien! Plus il s’obstine, plus il s’acharne, moins je réagis. Lui, bande comme un âne. Moi, je reste virgule, limace. Ses lèvres ne m’offrent aucun plaisir. Il passe une demi-heure à me faire la démonstration de son inefficace talent. Il finit par s'en fatiguer.
— Je ne te plais pas?
Mortifié, mort de honte, je balbutie une pauvre excuse.
— Je... je suis fatigué... une journée épuisante...
Il part vexé, presque furieux. Désemparé, je prends une douche. Sous l’eau tiède je repense à ce si joli papa. Le con! Il est en train de me castrer! Pourtant, bon dieu! Rien qu’à l’évoquer... Je prends l’affaire en main...
Enfin, le temps s’est mis au beau. Une fois de plus, sans trop d’espoir, mes pas me portent vers les Buttes Chaumont. Désormais, j’en connais tous les détails, je pourrai m’y aventurer les yeux fermés. Je m’assieds sur mon banc favori. Le décor a changé. Partout, il y a des fleurs. Elles n’étaient pas là la semaine dernière. En peu de jours, la nature s’est réveillée, a accompli ses prodiges. Je prends quelques minutes pour jouir du spectacle puis, je plonge dans mon bouquin. La lecture m’absorbe en même temps que je ronronne sous la chaleur du soleil enfin retrouvé. Saperlipopette! Le livre est passionnant. J’en oublie ce qui m’entoure. Je suis en pleine Égypte et vibre aux aventures d’un pharaon au nom imprononçable qui sauve son empire menacé d’invasions... En plus, le héros – Taïta qu’il se nomme – est pédé...
Une main m’arrache le livre. Les pyramides s’effacent, je retombe brutalement sur terre. Un bébé aux yeux bleus me regarde avec un beau sourire, tout heureux de la farce qu’il vient de faire. Il tient à peine sur ses jambes. Ses cheveux blonds flambent dans la lumière. J’ai un hoquet, je... je reconnais l’enfant! Il y a si longtemps que je l’attends avec son père. Sa démarche vacillante me dit qu’il va tomber. Je tends les bras pour lui éviter la chute et, d’instinct, le serre contre moi. Tout heureux, il gazouille à mon oreille. Une immense tendresse m’envahit. Mes yeux se mouillent.
— Ronan! Arrête d’embêter ce monsieur. Viens voir papa!
Tout à la joie de ce petit corps, si doux, si fragile contre le mien, j’avais presque oublié son géniteur. Je lève les yeux. Il est assis sur un banc, à quelques mètres, face au mien. Il a lâché le journal qui avait distrait son attention. Le choc de sa beauté me broie le cœur. Je serre plus fort son fils comme si je le tenais, lui. Le bébé, ravi, passe ses petits bras autour de mon cou. Je lutte contre mon émotion et parviens à dire:
— Il ne me dérange pas. Il est adorable... laissez-le moi, une minute.
— Je ne comprends pas, d’habitude il est si sauvage avec les étrangers.
— Peut-être a-t-il senti que j’aime les enfants?
Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça. Les enfants m’ont toujours laissé indifférent. Pourtant, pour celui-là, je ne mens pas. Peut-être parce que c’est le sien... Il se lève, vient vers moi, se baisse et ramasse mon livre tombé à terre.
— Regardez, il a abîmé votre bouquin.
— Cela n’est pas bien grave. Votre fils a plus d’importance qu’un livre.
Il me regarde interloqué. Je me noie dans le gris de son regard. J’ai l’impression que la terre s’arrête de tourner. Il a cette phrase qui me fait chavirer:
— Mais... il me semble vous avoir déjà vu.
La perche est inespérée, il me faut la saisir:
— Oui... il me semble aussi...Vous avez raison! C’était un soir, il y a quelques mois. Vous avez été la main secourable qui...
— C’est ça! Je vous ai aidé à ramasser vos courses... un de vos sacs avait lâché. Je suis heureux de vous revoir.
La phrase est conventionnelle, ma réponse est chargée de sens.
— Je suis heureux aussi. J’ai gardé votre sac dans l’espoir de vous le rendre un jour.
Je me mords les lèvres, c’est sorti malgré moi. Il ne relève pas.
— Moi c’est Michel, et vous?
Enfin! Je peux mettre un nom sur son visage. Je réponds:
— Aurélien.
Il me tend une main franche dont le contact, dans la mienne, est d’une douceur insupportable et confirme les bonnes raisons que j'ai de rechercher sa compagnie. Je ne veux pas perdre le fil, fragile, qui vient de se nouer.
— Vous avez le plus beau bébé du monde. Quel âge a-t-il?
— Treize mois. Il marche depuis peu. Je ne peux lui consacrer le temps que je voudrais. Je le garde le week-end. En semaine, il est en nourrice... Je ne vois pas pourquoi je vous raconte tout ça.
J’ignore sa réticence à se confier. S'il savait que je veux entrer dans sa vie
— En nourrice? Ah! Votre épouse travaille aussi.
Son visage se voile de tristesse.
— Non, ma femme est... morte, en donnant le jour à Ronan. C’est moi qui m’en occupe... seul. Mon enfant est tout ce qui me reste.
— Pardonnez-moi... je ne voulais pas raviver vos blessures.
— Vous ne pouviez deviner.
J’ai un peu honte, je viens de toucher là une épine douloureuse. Cependant, grâce à ma curiosité mal placée, en quelques paroles, je viens d’obtenir de précieuses informations qui m’éclairent sur sa personnalité. Cela ne me suffit pas, je veux en savoir plus. J’ose la question:
— Vous... vous habitez loin?
Il se retourne et pointe du doigt un des nombreux immeubles qui ceinturent le parc.
— Non. Ce bâtiment, en face... les fenêtres au troisième étage. Dès que le temps le permet, j’amène Ronan ici, pour l’air et le soleil. D’ailleurs je vais rentrer, il va être l’heure de son repas.
Je blêmis. C’est irraisonné, je serre un peu plus l’enfant dans mes bras. Ils vont partir! Pour Michel, ce n’était qu’un échange de banalités avec un inconnu à peine entrevu il y a si longtemps. Pour moi, c’était la lumière au bout d’un interminable tunnel. Le rêve se brise. Michel se penche pour récupérer son fils. Surprise! Ronan s’agrippe à moi et se met à pleurer. Plus son père insiste et le sermonne, plus il s’accroche et hurle.
— Je... je ne comprends pas.
Béni soit le chérubin, il m’offre l’occasion inespérée.
— Ce n’est rien... Avec votre permission, je vous accompagne jusqu’au pied de votre immeuble.
— Je suis confus. Il n’a jamais fait ça.
— Disons que je solde ma dette à votre égard. Vous m’avez apporté votre aide quand j’avais besoin de vous. Aujourd’hui, tout le plaisir est pour moi.
Michel me sourit, prend mon livre, nous partons. Son bébé collé contre ma poitrine, je suis ivre de bonheur.
Nous sommes arrivés, il y avait peu de chemin à faire. L’immeuble est ancien, gris de pollution. Devant la porte, Je serre toujours Ronan dans mes bras. Dans sa petite tête, sent-il qu’il pourrait y avoir, désormais, sa place ? Moi, je sais déjà, sans trop comprendre pourquoi, qu’il est entré dans mon cœur, comme son père.
Michel me remercie, tente de le reprendre. Ronan ne veut pas et fait une nouvelle crise. Je ne sais plus que faire. Je me sens fautif sans être responsable. Son père s’énerve de ce caprice et me l’arrache. Je suis tout bête de ne plus l’avoir contre moi. L’enfant trépigne, le visage congestionné, il pleure à gros sanglots. Il va se rendre malade. Je balbutie:
— Il va se rendre malade.
La répartie fuse, cinglante:
— Que croyez-vous! Qu’il manque d’affection? J’aime mon fils...
— Je n’ai jamais voulu dire ça.
— Excusez-moi... c’est son comportement qui me dépasse.
Ma réponse jaillit et me surprend:
— Rendez-le moi! Je monte jusque chez vous. Quand il aura pris son repas, je partirai.
Est-il surpris par mon ton sans réplique? Sans un mot, il me tend Ronan. Bébé se calme dès qu’il retrouve mon contact.
L’appartement est triste, infiniment triste. Apparemment, l’entretien du ménage laisse à désirer. Partout, dans l’entrée, dans le salon, jusque dans la cuisine, des photos rappellent la mère disparue. Michel s’est enfermé dans ses souvenirs. Il ne se rend pas compte qu’il y emprisonne son fils. Par les fenêtres entre de la lumière, rien que de la lumière, pas de soleil.
L’enfant dévore son repas. Dans sa chaise haute, un bavoir autour du cou, je lui donne à manger, à la petite cuillère, une purée agrémentée de jambon haché. Son père, incrédule, regarde le spectacle. Moi, je suis aux anges. Je lui fais des grimaces. Ses éclats de rire m’aspergent de postillons peu ragoûtants. Je m’en fous, j’en serai quitte pour une bonne lessive. Quelque part, au fond de mon âme, des fibres que je ne soupçonnais pas se mettent à vibrer. Le dessert achevé, je dis, d’autorité, en essuyant la bouche de bébé:
— Mon poussin, c’est l’heure de ta sieste.
Je reprends Ronan dans mes bras. Michel, emporté par les événements, me conduit jusqu’à une petite chambre. C’est celle de l’enfant. Délicatement, après un gros baiser, je le couche dans un lit cage où traînent quelques jouets en plastique coloré. Je tiens encore sa main quand il s’endort en suçant son pouce.
— Aurélien, vous permettez que je vous appelle Aurélien?... je suis désolé pour tout ce dérangement.
Je le regarde. Il y a un silence. C’est moi qui détourne les yeux.
— Michel, ne soyez pas stupide. Il y a longtemps que je n’ai été aussi heureux.
— Pourquoi?
— Je vis seul. C’est parfois lourd à porter. Bien... je ne veux pas m’attarder... Je vais partir.
— Nous... nous pourrions nous revoir... Ronan semble si heureux de votre compagnie.
J’ai le cœur qui s’arrête. J’ai du mal à croire ce que je viens d’entendre.
— Oh! J’en serais ravi. Si vous n’avez rien de prévu, demain, dimanche, je vous invite à déjeuner, avec Ronan. Ce n’est pas si loin... Vous connaissez les trois quarts du chemin.
— Nous allons gâcher votre week-end...
Comment pourrions-nous nous douter qu’il a fait de ce samedi le plus beau jour de ma vie.
— Au contraire, je me fais une joie de vous recevoir. J’insiste, rien ne me fera plus plaisir.
Ses dernières réticences s’envolent. Il accepte. Ma main tremble un peu quand, sur un papier, je griffonne mon adresse, mon téléphone et une ébauche de plan.
— À demain, Michel.
— À demain, Aurélien.¤ Si vous m'aimez suivez-moi ! ch 3
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