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Confiance Aurélien, je suis sûr que tu connaîtras le bonheur !
LE DESTIN FRAPPE A LA PORTE D'AURELIEN
et je pèse mes mots !
Ce texte est classé dans INVENTAIRE DES POSSIBLES (24)
Je pense à mes amours sans joie
Si dérisoires
A ce garçon beau comme un Dieu
Qui sans rien faire a mis le feu
A ma mémoire...ch. Aznavour...
C'est arrivé par hasard. Je n’ai rien cherché, rien voulu. J’étais peinard, tranquille. Je vivais au jour le jour, sans me soucier du lendemain. Mon petit boulot, mon petit pavillon, mes petits amants. Quoi de plus pour être heureux? Je ne souhaitais rien d’autre.
A 24 ans, j'ai mon métier(architecte), je gagne ma vie.
J’ai la chance d’être l’heureux propriétaire d’un charmant pavillon situé dans une étroite rue piétonnière qui offre la verdure, le calme et le sentiment de vivre à la campagne. On a peine à croire que Paris est là, qui nous encercle, prêt à nous étouffer. Les rumeurs de la ville viennent mourir à quelques mètres à peine. Parfois, rarement, quand le vent souffle du mauvais côté, le méchant vent du nord, le bruit assourdi des embouteillages du périphérique vient perturber le gazouillis des oiseaux et le coassement des grenouilles.
L’endroit est un peu magique. Il y règne un parfum persistant de dix-neuvième siècle finissant, fait de lilas et de glycines, de rosiers moussus, de lierre tenace, de muguet et de marguerites. Des mésanges à tête bleue, des pies et des merles ont élu domicile dans l’un des arbres du jardinet qui ceinture mon pavillon recouvert d’un tapis de vigne vierge qui flamboie à la fin de l’automne.
En juin, je ne dispute pas aux oiseaux les fruits de mon cerisier. Chaque année, ils ont la délicatesse de me laisser un nombre de fruits suffisant à ma gourmandise. Alentour, d’autres maisons forment, avec la mienne, un quartier sur lequel le temps n’a aucune emprise, relique d’un vieux village préservé de l’urbanisation sauvage.
J’ai parfaitement conscience d’être un parisien privilégié. Dès le soir, lorsque je pousse la porte du jardinet pour entrer chez moi, il suffit de très peu de temps pour que le stress de la circulation et de la foule se dissipe, comme un lointain nuage, dans la quiétude environnante.
La maison elle-même est mon cocon. Je l’ai voulue plus que confortable, douillette. Elle est grande. Ses cent dix mètres carrés font bien des envieux. La cuisine est minuscule. J’y ai donc l’avantage d’avoir tout à portée de la main. Un impératif: tout doit être rigoureusement à sa place, sinon, c’est immédiatement le grand bazar. Ma pièce à vivre est le vaste salon. Un canapé et deux gros fauteuils revêtus d’un imprimé anglais à grosses fleurs, me permettent de vivre intensément ma flemme le week-end. Les rideaux sont assortis. Une ancienne cheminée à parements de bois ciré, m’offre la chaleur de ses flammes par les jours les plus froids. Le mur principal est occupé entièrement par une lourde bibliothèque en acajou, surchargée de bouquins et d’objets achetés au gré de ma fantaisie et de mes goûts. Dans un angle, une table ronde sert pour mes repas. Pour le reste, l’essentiel du mobilier est constitué par des meubles d’appoint qui supportent la télévision, la chaîne Hi-fi, le magnétoscope... et servent de rangement pour la vaisselle de table. L’éclairage indirect, les tapis, sur la moquette, rendent le confort encore plus moelleux. La pièce reçoit la lumière par une grande baie vitrée d’où j’aperçois le Pré-Saint-Gervais et, plus loin, les Lilas.
Deux grandes chambres, une plus petite, une salle de bain et des WC finissent le tour du propriétaire. Je dispose même d’une cave où dorment quelques bouteilles que je déguste à l’occasion. Voilà mon univers, et, croyez-moi, je n’en changerais pas pour tout l’or du monde.
J’ai peu de relations avec le voisinage. Pour la plupart, mes voisins sont pourtant des gens charmants. Il s’agit de personnes âgées, peu bruyantes, qui, si elles ne m’ignorent pas, se contentent de m’adresser un bonjour poli et froid lorsque je les rencontre.
Il est vrai qu’à vingt-quatre ans, je représente la brebis galeuse du quartier. Quand mes grands-parents sont décédés, me faisant l’héritier de cette maison, il n’a guère fallu de temps, après mon installation, pour que ma vie privée, assez dissolue, apparaisse clairement à mon entourage. Il faut dire que ces braves gens n’ont pas autre chose à faire qu’à guetter, derrière leurs rideaux, afin de savoir qui va chez qui et qui fait quoi.
Cette curiosité mal placée les a vite éclairés sur mes fréquentations exclusivement masculines, et je soupçonne certains d’entre eux de tenir soigneusement la comptabilité des visites que je reçois. Au début, je trouvais cet espionnage un peu gênant. Au fil des mois, je m’y suis fait. Aujourd’hui, je donne parfois dans la provocation. Il m’arrive, lorsque au petit matin, après une folle nuit, mon amant du moment me quitte, de me laisser aller, sur le pas de la porte, à donner un dernier baiser langoureux. Je sais alors, que mes chères vieilles birbes bien pensantes, se voilent la face d’horreur, à l’abri de leurs volets, en attendant avec impatience, le prochain spectacle cochon que je leur offrirai.
De ce fait, les salutations sont parfois grinçantes, souvent ironiques, et jamais sincères. Je m’en fous. Je vis ma vie comme je l’entends. Le fait de n’avoir jamais été convié à un apéritif ne me chagrine pas. Mais j’envisage, avec humour, de lancer un jour une invitation générale, question de voir les réactions.
Côté cœur, par contre, les relations sont chaudes et nombreuses. Je ne suis pas une beauté sublime, mais je plais. Un mètre soixante-quinze, c’est déjà pas mal. Un corps que j’entretiens sans faire de sport, à force de marche à pied intensive et quotidienne. La musculature, à peine soutenue, donne plus une impression de grâce que de force. Une peau naturellement mate, m’épargne toute séance de bronzage tant naturelle qu’artificielle. J’ai même intérêt à faire gaffe, trop de soleil me rend noir comme un corbeau. Mes cheveux sont banalement bruns. Un peu fous, ils encadrent un visage aux traits affirmés et aux yeux mauves. Je ressemble un peu, paraît-il, à un chanteur québécois bien connu que plus d’un, ou une, aimerait avoir dans son lit. Il est donc fréquent, que le samedi soir ou, quand l’occasion se présente, d’autres jours, je ramène chez moi une conquête qui viendra, et l’espace d’un moment, nous satisfaisons notre soif de plaisir charnel. Une fois rassasiés, cela ne va jamais plus loin. Je n’éprouve pas le besoin de me fixer et si mon cœur bat, c’est plus physiologique que sentimental.
C’est vrai, j'en ai fait souffrir quelques-uns qui s’étaient attachés. Je ne m’en sens pas responsable. Je n’aime pas faire du mal, ce n’est pas dans ma nature. Pourquoi faut-il que certains confondent une bonne baise avec les grands sentiments? Au moment de la séparation, il en résulte des scènes pénibles, des mises au point difficiles, des ruptures de liaisons inexistantes pour moi. Je suis donc le genre de gars qui ne pense qu’à s’amuser.
Donc, j’étais cigale. Maintenant, je rêve d’être fourmi. J’étais volage. Je suis fidèle. Ne riez pas, je vous en prie! Je suis fidèle à quelqu’un que je ne connais pas. J’ignore son prénom. Je ne sais pas où il habite, ni ce qu’il fait. Ce n’est pourtant pas un être irréel, né de ma seule imagination. Que non ! Il existe bel et bien. Je ne l’ai vu que deux fois. Depuis, je cherche, en vain, à le retrouver.
Depuis le premier jour, dès notre première et fortuite rencontre, il bouffe ma vie et mon espace. Il est devenu mon obsession. Le coup de foudre, vous connaissez? Ou, du moins, en avez-vous entendu parler? J’avais toujours pensé que ce brutal afflux d’hormones n’était qu’une réaction chimique justifiant l’envie soudaine de baiser avec le premier venu... pour peu qu’il soit plaisant à regarder. J’étais d’ailleurs très fier de mon palmarès de "coups de foudre". J’en avais eu des tas, j’en avais eu des tonnes. Et, à l’appui de mes certitudes en la matière, chacun n’avait duré que le temps d’un coup de foudre, c’est-à-dire quelques secondes, plus le temps d’apaiser l’incendie.
Et puis, un soir d'automne...
Comme à mon habitude, sans me presser, je commence à ranger, posément, mon matériel, en vrac sur ma table de travail. Mes crayons, gommes, mes règles, mes compas, mes épures, retrouvent leur place. Ah! J’allais oublier l’encre de Chine! Je suis assez méticuleux. Dans mon métier, cette qualité est préférable. Je pousse un soupir de satisfaction: la journée a été bien remplie, Aurélien tu peux rentrer chez toi.
En sortant de l’immeuble, je lève la tête vers le ciel. Il est dix-huit heures, la nuit est presque tombée. J’esquisse une grimace désabusée, la mauvaise saison arrive à grands pas. J’ai l’impression qu’il y a quelques jours seulement, le soleil brillait haut et clair lorsque, la journée terminée, je prenais le chemin de la maison. Ce soir, les néons des vitrines sont déjà allumés et jettent leur couleur blafarde sur la foule des passants qui se hâtent sur les trottoirs. Les terrasses des cafés sont vides. Frileusement emmitouflés, les gens sont pressés d’être chez eux. Ils ont déjà le visage triste des mauvais jours qui s’annoncent. De fait, la fraîcheur de cette soirée d’automne me saisit, après la chaleur du bureau. J’ai un grand frisson. Je referme un peu plus mon blouson. Place Stalingrad, avenue Secrétan, les Buttes Chaumont, Place des Fêtes.
Je dois faire des courses au Monoprix. Je repars à pied avec des sacs surchargés. Soudain l'anse d'un sac cède Clac !.
La chute des marchandises qui s’étalent sur le bitume, à mes pieds, est un cauchemar. Je suis certain que les œufs étaient dans le paquet qui vient de me trahir. En tout cas, une chose est sûre. Je vois, comme dans un cauchemar, la boîte de raviolis sauce tomate, se mettre à rouler de plus en plus vite. Le feu passe au vert. Les premiers véhicules se ruent, ignorant la statue pétrifiée, rivée au macadam. Je regarde une roue avaler ma boîte de conserve qui explose sous la pression. Des giclées infâmes, rouge sang, fusent à l’entour. Ça ressemble à de la cervelle écrasée. J’ai envie de vomir.
— Ne bougez pas, je vais vous aider.
La voix vient de nulle part. Nul doute, Aurélien, c’est ton ange gardien qui se décide, tardivement, à penser à toi. Il aurait pu intervenir plus tôt et m’éviter le désastre.
— Vous avez de la chance, j’ai toujours un vieux sachet qui traîne dans ma poche.
Non, ce n’est pas mon ange gardien. Un ange, ça n’a pas de sac plastique en réserve dans sa poche. Je baisse les yeux. Un type à mes genoux, s’active à ramasser, au milieu de la circulation, une plaquette de beurre, un sac de pomme de terre, un ananas qui foutait le camp, les barquettes de viande... Je respire. Apparemment, les œufs ont échappé au massacre. Mentalement, je bénis l’inconnu qui me porte secours. Reconnaissant, je balbutie:
— C’est trop aimable à vous. Je ne sais comment vous remercier. Je ne savais quoi faire pour m’en sortir. Je suis navré pour ce dérangement.
Au même moment, il se redresse, il a tout récupéré. Seule, la boîte de raviolis, plus plate qu’une crêpe, me nargue sur l’asphalte.
— Donnez-moi un ou deux autres sacs. Vite, il est temps de rejoindre le trottoir.
Sans attendre ma réponse, il me soulage de mon fardeau. D’un même élan nous slalomons dangereusement à travers le flot des véhicules. Il y a des crissements de freins, des insultes d’automobilistes furieux. Quand j’y pose enfin les pieds, le trottoir me semble un havre de paix et de sécurité. En même temps que je savoure mon soulagement, je regarde un peu plus attentivement ce mec qui vient de me sortir de mon inconfortable situation.
Il est grand, beaucoup plus grand que moi, peut-être un mètre quatre-vingt-cinq. Il est brun, coiffé à la mode, avec des mèches blondes, qui sont autant de feux follets d’or dans ses cheveux. Des yeux gris clair éclaircissent un visage régulier. Je flashe immédiatement sur les lèvres et la dentition. Ce n’est peut-être pas mon ange gardien, mais il est beau comme un ange... en mieux, même. Il me sourit.
— Le mal est réparé. Pourrez-vous tout porter?
Je ne sais comment exprimer ma reconnaissance, je réponds machinalement:
— J’habite à proximité. Je devrais m’en sortir. J’avais trop surchargé un des sacs. J’aurais dû faire attention. Merci pour votre amabilité, sans votre intervention, je crois que je n’avais qu’à abandonner mes achats sur place.
— J’ai cinq minutes devant moi. Je vous accompagne sur une centaine de mètres, pas plus.
— Je ne veux pas abuser...
C’est bien la première fois qu’à Paris, je rencontre quelqu’un d’aussi serviable. C’est une perle rare, je suis tombé dessus. Et pour une perle rare, c’en est une! Plus je le dévisage, plus je craque. Ce jeune type est la séduction faite homme. Tout compte fait, au contraire, j’aimerais bien abuser...
— Cela ne me dérange pas. C’est dans quelle direction?
D’un mouvement du menton, j’indique le chemin de la maison. Nous marchons en silence pendant quelques minutes. Le silence est relatif car je ne cesse de bredouiller:
— Je suis confus... comment vous remercier?
Il se contente de rire légèrement et d’écarter d’un geste mes protestations de gratitude. Hélas, tout a une fin. Il nous reste près de deux cents mètres à parcourir lorsqu’il s’arrête brusquement.
— Je suis navré... Je vous aurais volontiers raccompagné jusque chez vous, mais là, le temps me manque.
Ma déception fait un grand bruit de verre brisé dans ma tête. Je me voyais en train de lui offrir l’apéritif et, pourquoi pas, de tenter ma chance. Il m’a déjà rendu mes paquets. Mes bras rallongent à nouveau de vingt centimètres. Je reste tout bête, je voudrais prolonger le contact. Je sors une monumentale platitude:
— Votre sac... vous pouvez en avoir l’utilité...
— Ne vous inquiétez pas. Vous pouvez le garder. Heureux de vous avoir rendu service. Je suis pressé maintenant, mon fils m’attend. Au revoir, et soyez plus prudent la prochaine fois.
À peine le temps de dévorer une dernière fois son visage.
— Attendez! Je...
Sans attendre, il a tourné le dos. Il ne m’a pas entendu. Je le vois s’éloigner et se fondre dans l’obscurité de la nuit. De loin en loin, un réverbère éclaire sa silhouette qui disparaît lorsqu’il tourne au premier carrefour. Pour lui, je n’existe déjà plus. Je reste immobile, incapable du moindre mouvement. Je ferme les paupières et retrouve son visage. Ça me fait tout chaud. Quelqu’un, en passant me bouscule. Je retombe sur terre. J’avance d’un pas, machinalement. Arrivé devant chez moi, je ne me suis aperçu, ni du trajet, ni du poids de mes courses.
Je devrais parler au passé. Je vis une espèce de cauchemar. Depuis que ce garçon m’a tendu une main charitable, je ne pense plus qu’à lui. Ma joie de vivre s’est envolée. Il est des fois où je suis persuadé avoir rêvé. Il est des fois où je suis certain d’avoir sombré dans une douce folie. Je ne suis plus normal. Deux mois que je le traîne dans ma mémoire. En voilà une qui est fidèle, soixante jours après ma rencontre, elle me restitue, intacts, les traits et la silhouette de mon bel inconnu. J’ai même envisagé d’aller voir un psy. J’ai préféré renoncer... j’aurais eu trop à lui raconter. Ces gens là sont trop curieux de votre vie privée!
Dorénavant, vous pouvez me parler de coup de foudre, je ne ris plus. Ça m’est tombé dessus, ça ne m’a plus lâché. Amoureux! Je suis amoureux comme je ne pensais pas pouvoir l’être. Ça n’arrivait qu’aux autres. J’étais certain d’être à l’abri. Mon œil! Le petit dieu malin avec ses petites ailes toutes roses que je plumerais bien, son arc et ses flèches me guettaient au moment où je m’y attendais le moins. Et hop! Il m’a accroché à son palmarès. Je vous le demande un peu: avait-il besoin de moi dans sa collection?
En plus, j’ai fait une mauvaise découverte. J’avais toujours cru que l’amour rendait heureux. Je vais vous faire une confidence. C’est faux, c’est entièrement bidon. Quand on aime, on souffre. Je souffre depuis deux mois. J’ai abandonné les boîtes de nuit et autres lieux de drague. Je vis en ermite solitaire. Les voisins ne me reconnaissent plus. Il y a même une petite vieille qui, hier, m’a demandé gentiment si j’étais malade en ce moment. En plus, elle était sincère! Elle ne se moquait pas de moi.
Bien sûr, atteint de symptômes aussi graves, je me suis empressé de chercher partout le remède à ma guérison. J’ai usé mes semelles à parcourir, les rues, les squares, les parcs du quartier. Désormais, je connais le dix-neuvième arrondissement comme ma poche. Je l’ai sillonné dans tous les sens, plutôt deux fois par jour, qu’une. En vain! Je n’ai jamais croisé celui qui hante mes jours et fait brûler mes nuits. J’ai même pensé à utiliser un pendule avec son sac en plastique que j’ai pieusement conservé comme une relique. J’ai préféré renoncer, n’étant pas certain de l’excellence des résultats.
Le temps passe. Plus le temps passe, moins je l’oublie et plus je désespère de jamais le revoir un jour.
L’INCONNU DU PARC DES BUTTES CHAUMONT
C’est aujourd’hui dimanche. Le temps est froid mais superbe, en ce début février. Hier au soir, pour la première fois depuis longtemps, j’ai décidé de renouer avec mes plaisirs d’antan. À quoi cela me servait-il de rester cloîtré comme une nonne à ruminer les pensées moroses d’un amoureux transi? Du sexe! Il me fallait du sexe jusqu’à plus soif. Je me suis persuadé que seule l’orgie la plus débridée, extirperait de ma mémoire l’image inaccessible qui la rongeait.
Je suis donc sorti en boîte. Un quart d’heure! Je n’ai pas pu y rester plus. J’étouffais. Tous les types me paraissaient insipides, y compris l’adorable minet qui a tenté une approche discrète. Alors, j’ai pris mes cliques et mes claques et je suis rentré me coucher comme un petit vieux. À vingt-deux heures j’étais dans mon lit, la lumière éteinte. Remâchant mon échec cinglant, j’ai mis du temps à m’endormir. J’ai rêvé que quelqu’un jonglait, en riant devant moi, avec une boîte de raviolis. À un moment, la boîte lui a échappé. Elle est tombée à terre en explosant. Souriant, l’inconnu m’a dit: «Demain! Je te la rendrai demain.» Qu’est-ce que ça peut être con, les rêves! Je me suis réveillé en sursaut. La lumière entrait à flots par la fenêtre.
C’est aujourd’hui dimanche. Le temps est froid mais superbe. Que vais-je faire de cette journée qui s’ouvre, béante, devant moi? Décidément, il fait trop beau. Je décide de sortir faire un peu de jogging. Je file sous ma douche. L’eau chaude chasse les dernières ombres du sommeil. Malgré le litre de café ingurgité, mon rêve reste tenace et me ramène vers ce type auquel je ne cesse de penser depuis bien trop longtemps. Ma main, couverte de mousse, s’égare sur mon sexe. Mon imagination devient érotique...
«Ses yeux sont tendres quand il me prend dans ses bras. Il baisse la tête vers mes lèvres. Il est si grand que je suis obligé de lever mon visage vers lui. Les paumes de mes mains jouent avec les muscles de son dos. Sa bouche fouille la mienne et je défaille. Ses doigts, légers, courent sur mes flancs, descendent vers mes hanches. Je gémis de plaisir. Ils découvrent mes fesses. Je m’ouvre à leur curiosité. Les sensations sont multiples. La caresse des lèvres, celle des doigts au plus intime de moi-même et surtout, le contact brûlant de son membre qui s’écrase contre mon ventre et me fait comprendre ses exigences. D’une main douce, il me retourne. Mon dos trouve sa place contre sa poitrine. Ses dents mordent mon cou. Je sens son sexe qui cherche son...»
Le plaisir m’anéantit lorsque j’explose entre mes doigts. La joie est brève, le sentiment de frustration insupportable lorsque je retombe sur terre, que mon fantasme éclate comme une bulle de savon.
Morose, je fais disparaître les traces de ma jouissance à grand renfort de savon et d’eau chaude. J’enfile une sortie de bain. Deux nouveaux cafés me remontent un peu le moral. Il ne me faut que quelques minutes pour revêtir un survêtement et des baskets. Devant la maison, j’aspire une grande bouffée d’air frais et je démarre en petites foulées vers l'idéal pour une séance de footing: le parc des Buttes Chaumont.
J’ai toujours aimé cet espace vert.
Je fais une halte.
Face à moi, une silhouette s’approche, nonchalante. C’est lui! Je le reconnais! Je le reconnaîtrais entre mille. Habillé de jour, il est encore plus beau que vêtu par l’obscurité du soir. Il avance, en flânant dans la clarté pâle d’un soleil d’hiver. Seigneur! Qu’elle lui va bien. D’abord cloué par la surprise, j’ai le réflexe de me lever et de courir vers lui. Il me faut lui parler, lui dire tout et n’importe quoi, nouer le début du commencement d’un dialogue. Le remercier... c’est ça, le remercier encore pour sa sollicitude de l’autre soir. Il comprendra que je n’ai pas oublié.
Mon élan se brise instantanément. Il n’est pas seul. J’hallucine. Dans ses bras, il porte un... un bébé. Je croyais au David de Michel Ange et je tombe sur une Madone à l’enfant. J’ai du mal à accuser le choc. Mes fesses retombent lourdement sur le banc. Lui, indifférent à mon tumulte, arrive à ma hauteur. Son regard se pose distraitement sur moi, ne s’arrête pas, et va se perdre vers l’horizon. J’entends vaguement quelques mots tendres qu’il adresse à son enfant. Il m’a vu. Il ne m’a pas reconnu.
?
Quelque chose en moi se brise. Cet homme est loin d’imaginer le mal qu’il vient de faire. J’ai le geste ridicule de porter ma main à ma poitrine pour voir si ça ne saigne pas. Mon orgueil aussi en prend un coup. Je ne pensais pas qu’on puisse m’oublier. Mes conquêtes passées ne m’avaient pas habitué à une telle indifférence. Effondré, je le regarde s’éloigner, avec son précieux fardeau. Il y consacre toute son attention. Nul besoin d’être sorcier pour deviner l’amour qu’il porte à ce petit être. Un bref instant, l’envie me prend de me lever, de courir derrière lui, de poser ma main sur son épaule et lui dire: «Vous ne m’avez pas reconnu, je suis celui que vous avez aidé, l’autre soir, au milieu de la circulation.»
À quoi cela servira-t-il, Aurélien? Remets les pieds sur terre. Cet homme est marié. Il a un enfant. Il est à des années lumières de tes misérables fantasmes d’homosexuel. Tu n’as rien à espérer. Chasse cette obsession qui gâche inutilement ta vie depuis des semaines. Oublie ce sentiment nouveau qui fait si mal. Retrouve tes habitudes et ton insouciance d’antan...
J’ai dû rester plus d’une heure, sur ce banc, à pratiquer intensivement la méthode Coué et à essayer de mettre de l’ordre dans mes idées. Je me suis enfin levé, plein de bonnes dispositions. C’était décidé, j’allais gommer ce type de mon existence. Promis, juré, craché, il n’existait plus. D’ailleurs, il n’avait jamais existé.
Tout heureux de ces saines résolutions, j’ai repris, en marchant, la route du retour. Arrivé devant le portillon de mon jardin, il m’apparaissait évident que: 1, ce si joli papa habitait dans le quartier; 2, qu’il devait aller au parc assez souvent avec son bébé; et 3, que plus fréquemment je m’y rendrais, plus j’aurais de chance de le revoir. À cette idée, le sourire m’est revenu aux lèvres.
Ma bouche n'osera jamais
Lui avouer mon doux secret
Mon tendre drame
Car l'objet de tous mes tourments
Passe le plus clair de son temps
Au lit des femmes
Suivez mon histoire si vous m'aimez...qui m'aime me suive !
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