Depuis une dizaine de jours, des nouvelles alarmantes sur la situation des homosexuels parviennent depuis la république autonome de Tchétchénie. Le régime de Ramzan Kadyrov, très conservateur et régulièrement accusé de violations des droits de l’homme, a lancé il y a quelques années une campagne de renaissance des traditions musulmanes, faisant le lit d’un islam extrémiste au sein même de la fédération de Russie. 

Selon le journal d’opposition russe Novaïa Gazeta, les autorités ont mené en mars une grande opération de répression de l’homosexualité, au cours de laquelle au moins trois hommes sont morts et une centaine d’autres arrêtés pour «orientation sexuelle non traditionnelle». Parmi eux, se trouveraient des personnalités d’influence et proches du pouvoir, des représentants de l’Eglise orthodoxe et deux présentateurs de télévision. A l’appui de ces graves accusations, le journal moscovite cite des témoignages d’activistes LGBT, de membres des services secrets et le ministère de l’Intérieur tchétchène lui-même. 

«Il n’était plus qu’un sac d’os»

Dans son article paru le 1er avril, Elena Milashina écrit que, «au Caucase, afficher ouvertement son homosexualité revient à signer son arrêt de mort». La journaliste russe, qui avait il y a deux ans fait éclater un scandale de mariage forcé, rapporte que même ceux qui ont réussi à se cacher ne sont pas en sécurité. «En Tchétchénie, l’ancienne coutume du crime d’honneur s’est perpétuée jusqu’à aujourd’hui. Il permet d’effacer la honte d’une famille en tuant celui ou celle qui l’a causée», explique-t-elle. Cette vague de répression aurait été causée par la demande de la communauté GayRussia.ru d’organiser des Gay Pride dans quatre villes du grand district du Caucase du Nord. Un projet relayé par les médias locaux, ce qui a généré des protestations violentes dans la région et des appels au meurtre sur les réseaux sociaux. Et ce alors même qu’aucune manifestation n’était prévue sur le territoire tchétchène lui-même.

Le site de Novaïa Gazeta a publié un message du réseau social russe VKontakte, qui se fait l’écho de la violence de cette «opération d’épuration préventive» : «Le plus jeune a 16 ans. Il vient de notre village. Ces jours-ci, ils l’ont amené complètement démoli, il n’était plus qu’un sac d’os. Ils l’ont jeté dans la cour et ont dit qu’on devrait le tuer. Il doit toujours être dans un état second.» Des organisations russes LGBT ont créé un numéro d’urgence pour les habitants de la Tchétchénie et sont prêtes à évacuer ceux qui se sentent en danger.

«Prison secrète»

Dans un autre article, paru le 4 avril, Novaïa Gazeta raconte que les hommes arrêtés ont été amenés dans une «prison secrète», un ancien quartier général militaire situé à Argoun. Sur son site, le journal publie trois témoignages accompagnés de photos montrant la violence extrême de la répression. Les témoins racontent avoir été torturés avec «du courant électrique et battus avec des bâtons». Il y aurait, selon les sources, au moins deux «prisons pour gays» en Tchétchénie, Argoun et Tsotsi-Iourt. Ce qui a poussé la presse anglophone à parler de «camps de concentration pour homosexuels».  

Selon Radio Svoboda, une radio privée, qui s’appuie sur des témoignages de victimes, les arrestations d’homosexuels auraient commencé à la fin de l’année dernière, et se seraient poursuivies jusqu’en mars. Des représentants des polices de quartier prenaient rendez-vous avec des homosexuels via les réseaux sociaux. Les victimes de ces guets-apens étaient battues, et on leur soutirait de l’argent en promettant de ne pas révéler leur homosexualité. Les forces de police fouillaient dans les téléphones afin d’identifier d’autres «homosexuels».

Les autorités tchétchènes nient toutes les accusations. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré qu’il n’était pas qualifié pour commenter, «n’étant pas spécialiste dans le domaine des relations [sexuelles] non traditionnelles». Il conseille aux citoyens jugeant avoir été victimes de violations de la loi de déposer plainte. Ce qui revient, pour les victimes, à se tourner vers leurs bourreaux.

«Il faut combattre ce mal»

De son côté, Kheda Saratova, membre du conseil des droits de l’homme de la République de Tchétchénie, s’est dite horrifiée d’apprendre «l’existence d’homosexuels en Tchétchénie». Sur l’antenne de la radio Govorit Moskva, elle a assuré que si c’était avéré, «il fallait combattre ce mal». Sur Business FM, elle a ensuite rectifié ses propos, et assurer n’inciter en aucun cas à la violence.

Le département d’Etat américain s’est dit «extrêmement préoccupé» par ces informations et a réclamé l’ouverture d’une enquête «indépendante et crédible» par les autorités russes. On ne sait si le secrétaire d’Etat américain, Rex Tillerson, en visite à Moscou mardi et mercredi, a abordé le sujet.