Petit traité de sexologie musulmane. Kama sourates dans Le Courrier International
Levrette, cunnilingus, “petite” et “grande” sodomie : l’écrivain Hafid Bouazza a confronté les pratiques sexuelles aux textes sacrés de l’islam et à la littérature arabe classique. De quoi clouer le bec aux plus pudibonds des imams. Comme l’islam détermine toutes les facettes de la vie sociale et personnelle du musulman (du moins en théorie), il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il donne aussi des instructions sexuelles au vrai croyant. Ces instructions se fondent sur le Coran, ainsi que sur les hadith, ces textes qui rapportent des propos tenus par le prophète Mahomet ou des histoires le concernant. En Europe, dès le xviie siècle, on décrivait l’islam comme une religion pornographique. Cette association d’idées s’explique non seulement par l’hédonisme de Mahomet – à qui l’on doit ces paroles célèbres : “Pour ce qui est des affaires terrestres, j’aime les femmes et le parfum” –, ainsi que par la sensualité des descriptions coraniques du paradis, mais aussi par l’intérêt accordé à la sexualité (masculine).
Pour Mahomet, le sexe ne sert pas uniquement à la reproduction, mais on peut en jouir à part entière. Il autorisait d’ailleurs le coït interrompu comme mode de contraception. Le 11 septembre 2001, de religion pornographique, l’islam est tout d’un coup devenu une religion terroriste. C’est un changement évidemment regrettable. A ce propos, je me souviens encore d’un Marocain qui, stupéfait d’entendre une Arabe déclarer à la télévision que l’Occident était obsédé par le sexe, s’est écrié : “Ce n’est pas vrai. Le sexe, ça nous intéresse aussi !” Cela étant, je me demande ce qu’il reste aujourd’hui du mythe de l’Arabe infatigable, un mythe qu’illustre cette histoire bien connue : un Arabe capture la femme d’un croisé et fait sept fois l’amour avec elle. La femme lui demande : “Les Arabes s’y prennent-ils tous ainsi ?”
L’homme lui répond par l’affirmative. “Maintenant, je comprends pourquoi Dieu vous a donné la victoire sur nous !” Quiconque lit certaines rubriques des journaux sait à quel point il est difficile, voire épuisant, de parvenir à un orgasme satisfaisant – du moins pour un homme qui s’efforce aussi de satisfaire sa compagne. Pour rendre justice à Mahomet, il importe de signaler qu’il encourageait ses disciples à avoir recours à des préliminaires. “Ne vous jetez pas sur vos femmes, expliquait-il, mais commencez par leur adresser un messager.” Les siens lui demandèrent alors : “Qu’est-ce qu’un messager, ô Prophète ?” Il répondit : “Des mots doux et des baisers.”
Nous savons également des comportements sexuels de Mahomet qu’il gardait la tête couverte pendant l’acte et qu’il disait à la femme : “Mets-toi à ton aise”, avant de s’atteler à la tâche. Il parlait aussi ouvertement de sexe avec ceux qui venaient lui demander conseil. Nous savons enfin que Mahomet n’était pas circoncis. Il n’existe en tout cas aucun compte rendu connu d’une éventuelle circoncision. Les premiers érudits islamiques ont d’ailleurs beaucoup écrit et polémiqué sur cette question. Les théologiens sont finalement parvenus à un consensus : Mahomet, en tant qu’élu de Dieu, est né circoncis. (Avant l’islam, les Arabes pensaient que, lorsqu’un garçon était enfanté à la pleine lune, il naissait circoncis ou plus précisément marqué par un prépuce plus court ne pouvant couvrir tout le gland.)
Le principal verset du Coran sur le sexe se trouve dans la deuxième sourate, celle dite de la Vache, verset 223 : “Vos femmes sont pour vous un champ de labour. Allez à votre champ, comme vous le voudrez.*” Ce mot “comme” est ambigu car, en arabe, il peut aussi vouloir dire “où vous le voudrez”. Dans les travaux théologiques, ce point fait aussi l’objet de vives disputes : “comme vous le voudrez” sous-entendrait que le sexe peut se pratiquer dans différentes positions. Et la tradition veut que “certains Arabes” pratiquent l’amour sur le côté. C’était censé être la meilleure façon de dissimuler le plus possible la vulve de son épouse. On estimait en effet indélicat d’exposer sans pudeur cette partie du corps de la femme (mais nous reviendrons sur ce point plus tard). Pour illustrer ce problème, la tradition raconte une petite histoire. Un jour, une femme se plaignit au Prophète que son mari exposait sa vulve sous tous les angles. Allah envoya alors à Mahomet le verset précité.
A l’époque, on croyait qu’une femme à qui l’on fait l’amour par-derrière enfantait des enfants qui louchent ou qu’elle devenait stérile si elle s’allongeait sur l’homme. La position du missionnaire, elle, expose inutilement sa vulve au regard. De plus, il est toujours inconvenant pour une musulmane habillée d’être assise les jambes écartées. Quant aux jambes croisées, elles sont aussi suspectes : c’est un signe de libertinage. C’est le célèbre théologien Al Ghazali (1058-1111) qui a couché définitivement sur le papier les règles de l’orthodoxie pour avoir des rapports sexuels décents. Il estimait que le corps de l’homme, comme celui de la femme, doit être couvert pendant l’acte. Moins on expose son intimité corporelle, mieux ça vaut. Le couple n’a pas non plus le droit d’indiquer la direction de La Mecque avec la tête.
Et, pour “défendre” la nature de la femme – autrement dit pour s’assurer que l’idée d’adultère ne vienne la travailler –, l’homme doit avoir un rapport sexuel une fois tous les quatre jours. La question de la fréquence des rapports sexuels qu’un musulman doit avoir pour satisfaire sa femme est d’une grande importance. Elle a été savamment discutée peu de temps après la mort de Mahomet. Certains pensaient que le bon rythme pour un musulman était d’avoir un rapport sexuel une fois tous les trois jours avec sa femme. Ce qui est certain, c’est qu’avant de se livrer à l’acte il faut dire : “Bismillah !” – au nom d’Allah. Il faut de plus déclamer quelques versets du Coran. Cette piété vise surtout à obtenir une descendance noble (il faut comprendre : masculine). Une source arabe rapporte une anecdote significative à ce propos. Il s’agit d’un homme qui n’avait que des filles. Il s’en plaignit à un imam qui lui conseilla de dire désormais, avant de pénétrer sa femme, “Astaghferou Allah !” – Que Dieu me pardonne !
L’homme s’exécuta et obtint ainsi dix garçons. Cela dit, la vraie morale de cette histoire est qu’avoir des filles est une sanction de Dieu pour des péchés – éventuellement inconscients. Le verset 223 de la deuxième sourate du Coran peut également être interprété en ces termes : “Allez à vos femmes où vous le voudrez.” Dans ce cas, Dieu autoriserait la sodomie. Ce point a lui aussi fait l’objet de nombreux écrits, même si l’opinion courante est que l’islam ne tolère pas le sexe anal. Mahomet aurait dit : “N’allez pas à vos femmes par leur ne-me-touche-pas.” (un euphémisme pour l’anus). Il aurait aussi qualifié la pratique du coït anal avec des femmes de “petite sodomie”.
Or, sachant que la “grande sodomie” – homosexuelle – était répréhensible, on peut donc en déduire que sa “petite” variante est punissable elle aussi, comme dans certains Etats des Etats-Unis. Le Coran semble le confirmer, car il y est dit avant la citation susmentionnée : “Et si elles te réclament durant leurs menstrues, dis-leur : c’est nuisible. Evite les femmes pendant leurs menstrues et ne les approche pas tant qu’elles sont impures. Une fois qu’elles sont pures, va en elles là par où Dieu l’a ordonné.” L’islam connaît quatre écoles juridiques principales. L’un de ces courants est l’école malékite, du nom de son fondateur, le théologien et juriste Malik ibn-Anas (environ 715-795). Cet homme aurait autorisé le coït anal dans certaines circonstances : ce serait un moindre péché que la masturbation. Car, selon le Prophète, quiconque se masturbe ne contemplera jamais le paradis. Malik a furieusement nié avoir tenu ces propos et a maudit ceux qui les lui avaient attribués. Paradoxalement, cet homme exaspéré est aussi à l’origine de l’une des rares références au sexe oral que j’ai pu trouver dans la littérature classique arabe.
Il s’agit d’un ouvrage du XVe siècle qui traite des femmes et du sexe. Un passage est consacré à la question de savoir si un musulman est autorisé à regarder la vulve d’une femme. Il existe sur ce point précis des interprétations contradictoires des faits et gestes du prophète. L’une l’autorise et l’autre l’interdit, mais de toute façon les deux points de vue ne sont pas considérés comme authentiques. Pour ce qui est de l’interdiction, Mahomet aurait dit que personne ne doit regarder la vulve de sa femme ou de sa mère, sous peine de cécité. Selon l’autre tradition, il aurait dit : “Dieu a voulu que la femme soit comme un vêtement pour vous et vous, un vêtement pour elle. Je vois tout ce qui est à la femme et elle voit tout ce qui est à moi.” Un consensus théologique a finalement été trouvé pour conclure que c’était une mauvaise chose, mais sur des critères médicaux et donc non religieux.
Pour sa part, Malik aurait dit qu’il n’était pas convenable qu’un homme regarde la vulve de sa femme pendant la copulation ou “la lèche”. Un ajout qui passe généralement pour une “exagération permissive”. En tout cas, l’islam actuel reconnaît encore ces conditions et ces restrictions car elles proviennent de traités qui sont considérés comme canoniques. Même dans le Kama-sutra arabe, le grand classique intitulé Le Jardin parfumé pour la récréation des âmes, du Tunisien Cheik Nefzaoui (XVe siècle), le sexe oral n’est pas cité. Dans l’œuvre d’Abu Hayyan al-Tawhidi (mort en 1023), il y est fait allusion, mais en tant que déviance sexuelle. Ce penseur renommé était aussi une forte tête : il a brûlé une bonne partie de son œuvre avant sa mort, par amertume face à la méconnaissance et à l’incompréhension auxquelles se heurtaient ses livres. Il raconte à propos d’un homme éminent éperdument amoureux d’une esclave qu’“il l’allongeait sur le dos, lui soulevait les jambes et versait goutte à goutte dans sa cavité une certaine quantité d’eau-de-vie. Puis il posait ses lèvres sur sa vulve et la suçait jusqu’à ce qu’il ait tout bu. Il buvait aussi son urine lorsqu’elle avait ses menstrues.”
Puisque nous en sommes là, je ne peux priver le lecteur de l’histoire suivante qui vient de la même source. Al Tawhidi parle d’un clerc à la cour qui “suçait le clitoris de son esclave juive ?, puis lui enfonçait son doigt dans l’anus, l’en retirait et déposait ce qu’il en avait extrait sur le bout de sa langue, tout en prononçant ces mots : ‘Voici l’essence du vin, plus goûteux pour moi que des pommes !’” Question sexe, on le voit, il n’y a vraiment rien de nouveau sous le soleil. Bien qu’il fût conseillé ou même recommandé de faire preuve de réserve et de piété pendant le jeu amoureux, l’âme et la chair des musulmans ne se laissaient brider qu’à contre-cœur. Ainsi, on évoquait dans les écrits l’opportunité, l’utilité et l’admissibilité du rahaz, à savoir bouger et se tordre, se tortiller et remuer pendant l’acte. Une femme a-t-elle le droit de se laisser aller pendant les rapports sexuels et de bouger comme elle en a envie ? Peut-elle crier et user d’un langage obscène ?
La réponse à ces questions est simple : puisque les femmes de personnes éminentes et même celles de certains compagnons du Prophète l’ont fait, c’est que c’est autorisé. On connaît même l’existence au VIIe siècle d’une femme du nom de Hubbâ, dont on sait qu’elle conseillait d’autres femmes en cas de problèmes sexuels. Elle était originaire de la ville sainte de Médine et elle incitait les femmes à se montrer bruyantes et actives pendant l’acte afin d’augmenter le plaisir mutuel. Même lorsqu’elle était devenue très âgée, son fils n’hésitait pas à lui demander conseil : “Le fils de Hubbâ demanda à sa mère : ‘Mère, comment les femmes préfèrent-elles qu’on les prenne ?’ Elle répondit : ‘Mon fils, si la femme a le même âge que moi, demande-lui de s’agenouiller et d’appuyer sa joue contre le sol ; et ensuite, entre en elle. S’il s’agit d’une jeune fille, prends-lui les cuisses et appuie-les lui contre la poitrine. Tu obtiendras ainsi ce que tu veux et tu pourras satisfaire ton désir.’”
Des œuvres postérieures encouragent le rahaz car la femme s’y livre tout simplement pour accentuer son plaisir. On pourrait dire pour atteindre l’orgasme. Mais l’arabe littéral n’a pas de mot pour désigner l’orgasme ; il ne connaît que l’éjaculation masculine. Dans les dictionnaires modernes, l’orgasme est décrit comme “la douleur de la volupté” ; au Maroc, on parle de “chercher la tête”, autrement dit : atteindre le paroxysme. A propos de liberté de mouvement de la femme pendant l’acte sexuel, voici la seule description d’un orgasme féminin que j’aie trouvée dans la littérature classique arabe. Le poème date de la fin du VIIIe ou du début du IXe siècle et il s’adresse à la femme du poète : “Et toi, Oumamah, tu ne sais pas Que tu surpasses toutes les femmes en étroitesse et en chaleur Et ce qui me charme en toi pendant le coït C’est ta langue qui vit et ton regard qui meurt.”
Le lecteur trouvera ci-après une description d’une femme qui se laisse totalement aller. Il s’agit d’un extrait de Alf layla wa layla, plus connu sous le titre Les Mille et Une Nuits, écrit en prose rimée, que j’ai ici transformé en poème : “La jeune fille se leva et se déshabilla Elle se présenta dans une chemise brodée de fil d’or Qu’elle retira et elle me prit par la main Et monta avec moi sur le lit et dit : ‘Gloire Au mariage – l’arc-en-ciel de mon cortège de voiles ôté : Et dans ce qui a la bénédiction de Dieu il n’y a rien qui déshonore.’
Elle se laissa tomber sur le dos et me projeta Sur sa poitrine consumée par tant de désirs [qui la tourmentaient Elle poussa un sanglot et à ce sanglot Succéda un regard né d’un voluptueux désir de plaire Puis elle releva son vêtement jusqu’à ses seins Et quand je l’aperçus dans cet état Je ne pus me contenir et m’introduisis En elle après lui avoir sucé la lèvre Et elle gémit et feignit l’angoisse et la soumission Et elle laissa des larmes couler de ses yeux Et elle s’écria : ‘Oh mon amour et ma chose ! Fais de ton mieux ! Je suis ton esclave ! Prends-le à pleine main ! Donne-le moi tout entier ! Donne-le moi ! Je veux le faire entrer en le tenant dans ma main Et guérir ainsi mon cœur de ce mal !’ Elle me fit entendre encore longtemps des chants de désir et des sanglots Entre tous les baisers et les enlacements Jusqu’à ce que nos cris envahissent la rue Et que nous parvenions à atteindre le bonheur et le succès.”
J’aime bien le passage “et feignit l’angoisse et la soumission”. Pauvres hommes… L’“étroitesse”, dans le premier poème, fait naturellement allusion à son vagin. Les Arabes avaient et ils ont encore une préférence pour un vagin étroit, de préférence sec. Cela peut s’expliquer par la circoncision : avec son prépuce, l’homme circoncis perd des milliers d’extrémités nerveuses sensibles. D’où peut-être aussi l’attention obsessionnelle accordée à la “petite sodomie”. Cette ouverture d’esprit est louable, car, d’après un proverbe connu : “Il n’y a pas de honte dans les affaires religieuses”. J’aime ajouter : et en dehors non plus. * Passage emprunté à la traduction du Coran de D. Masson, Gallimard, coll. “Folio Classique”, 1967.
Biographie
Hafid Bouazza c'est lui :
Hafid Bouazza est considéré aux Pays-Bas comme l’un des écrivains les plus talentueux de sa génération. Né en 1970 à Oujda, au Maroc, il quitte son pays natal à l’âge de 7 ans, pour rejoindre son père aux Pays-Bas. Son premier livre, Les Pieds d’Abdullah (éd. Le Reflet, 2003), publié en 1996, est un recueil de nouvelles. Outre ses œuvres en prose – dont son premier roman Salomon, en 2001, et Paravion, en 2003 –, Bouazza a écrit des essais et deux pièces de théâtre. Extrêmement critique envers sa communauté d’origine, Hafid Bouazza affectionne les sujets provocateurs et tout particulièrement ceux liés à la sexualité.
illustrations du net par cavaillongay :
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