On ne parle plus que de ça. Il y a une dizaine de jours, le journal camerounais La Météo a publié dans
ses colonnes une liste de personnalités qui sont, selon lui, homosexuelles. Un crime dans ce pays. Ces outings ont fait des émules, puisque L’Anecdote et Nouvelle
Afrique ont aussi publié le nom de grands du Cameroun qui, d’après eux, « en sont ». Les listes, que nous n’avons pas pu nous procurer, ne seraient pas
identiques. Mais il semble que les patronymes de ministres, de proches du Président Paul Biya, d’hommes d’affaires et autres artistes apparaissent. Résultat : les personnalités qui s’estiment
diffamées pourraient porte plainte.
Climat d’homophobie latente
Au Cameroun, les homosexuels sont loin de vivre leurs relations au grand jour. Leur orientation sexuelle est en
effet considérée comme un crime aux yeux de la loi, passable de lourdes peines. L’article 347 bis du code pénal stipule que toute personne reconnue coupable d’homosexualité encourt « un
emprisonnement de six mois à cinq ans » et « une amende de 20 000 à 200 000 francs CFA » (environ de 30 à 305 euros). Si l’homosexualité est aussi mal vue, c’est que les Camerounais refusent de concevoir que cette sexualité puisse se pratiquer dans leur pays. « Ce n’est pas dans notre culture, pas dans nos mœurs », « c’est un truc
d’Occidentaux », expliquent certains.
L’affaire des outings éclate donc dans un climat d’homophobie latente. Une homophobie qui semble s’être radicalisée ces derniers mois. En
mai dernier, une dizaine d’homosexuels présumés ont été arrêtés dans un bar de Yaoundé et détenus plusieurs mois sans procès. On ne sait pas s’ils ont enfin retrouvé l’air libre. Le 15 juillet
à Douala, c’est un Britannique de 51 ans qui a été arrêté après avoir été retrouvé chez lui en compagnie d’un jeune homme majeur. « Le fils de l’ancien joueur de football Théophile Abega a
égorgé en pleine classe un camarade d’origine burundaise, qui, selon la version officielle, lui faisait des avances. La presse a presque salué le geste », se souvient Stéphane, un gay de 30 ans
qui a refusé de se jeter sur les journaux. Un climat qui a entraîné une psychose dans les lieux fréquentés par les gays et lesbiennes, qui craignaient à tout moment une descente de policiers ou
de gendarmes. Car ceux qui réprouvent l’homosexualité pratiquent volontiers la délation et les autorités sont bien décidées à serrer la vis sur un « phénomène » qu’elles jugent malsain.
Les journaux n’ont aucun regret
Côté religieux, on ne fait pas plus de cadeaux. Lors de son homélie du 25 décembre, l’Archevêque de Yaoundé Victor Tonye Bakot a dénoncé les
relations entre personnes du même sexe : « Je dois vous dire que l’homosexualité est un complot contre la famille et le mariage. Ne l’acceptons pas chez nous. Ce sont des moeurs contre nature
(...) On expose gravement nos jeunes à cette perversion morale à cause du pouvoir de l’argent. Pour un poste de travail, une entrée dans une grande école, on contraint nos jeunes à
l’homosexualité que l’on veut légaliser. (...) L’homosexualité est donc une perversion contre laquelle il nous faut lutter tous ». A l’occasion de la fête du mouton, le 10 janvier dernier, le
cheik Ibrahim Mbombo a, pour sa part, dénoncé l’homosexualité et la pédophilie, qu’il juge « avilissantes ».
Un contexte qui a facilité la publication des noms de personnalités du pays, même si le sérieux de l’enquête n’est pas avéré. Et que d’aucuns
n’excluent pas que les politiciens se livrent une guerre larvée par journaux interposés... « Nous avons bénéficié d’un certain concours de circonstances qui nous a poussé à publier cette liste.
Le contexte était favorable. Déjà dans la société, les gens en parlaient sous cape », a déclaré le rédacteur en chef de La Météo dans une interview accordée au Messager. Sans
regret, il estime avoir fait son travail et se retranche derrière les droits de liberté d’expression et d’opinion de la Déclaration universelle des droits de l’Homme pour justifier son choix
éditorial. « Nous naviguons dans le même sens que l’archevêque de Yaoundé, Mgr Victor Tonye Bakot, qui, dans son homélie du 25 décembre dernier, a qualifié le phénomène homosexuel d’infamie, de
complot contre la famille et le mariage, de moeurs contre-nature que nous ne devons pas accepter chez nous », a justifié François Bikoro Obah, rédacteur en chef de L’Anecdote, qui
assure à la Pana avoir « réuni toutes les preuves de ses écrits » et « fait actuellement oeuvre de salut public ». Les « Trois mousquetaires », comme on les surnomme dans certains
médias, gardent donc le cap sur leur décision, en dépit des menaces.
La presse soutient les « Trois mousquetaires »
Certains journaux soutiennent plus ou moins le combat de leurs confrères. Dans son édito daté du 30 janvier, le rédacteur en chef du Quotidien
Mutations explique que « pour le mal qu’elle peut engendrer dans notre pays et la déroute qu’elle constitue pour la jeunesse, le combat contre l’homosexualité mérite d’être mené ». Le
Messager regrette pour sa part des défaillances professionnelles des journaux ayant publié un liste, des « journalistes » ayant, selon lui, fait du chantage à certains pour qu’ils leur
donne de l’argent contre l’oubli de leur nom à la publication : « Cette façon spécieuse de travailler, on s’en doute, pourrait définitivement jeter l’opprobre sur une démarche professionnelle
appréciable. Et l’effet escompté, à n’en point douter, risque de se diluer dans des querelles intestines. L’essentiel - démasquer des personnes en marge des bonnes mœurs et de la loi
camerounaise sur l’homosexualité - serait alors oublié. Le séisme médiatique (sur l’actualité en rapport avec l’homosexualité) tant espéré ne serait alors
qu’un coup d’épée dans l’eau. Pour le plus grand malheur des autorités morales en guerre contre cette déviance sexuelle. Les homos du Cameroun, quant à eux,
tapis dans l’ombre, pourront continuer sans inquiétude leurs pratiques détestables ».
Pour certains habitants, se fournir la publication des listes a été l’occasion de « vérifier ou infirmer » leurs soupçons. « On entendait des
rumeurs : on a vu tel ministre sortir d’un hôtel avec untel. Mais c’est déclaré de façon ouverte, ça fait peur ! J’ai rencontré plusieurs filles lesbiennes et, pour moi, ce n’est pas aussi
grave. En revanche, après toutes ces années, je n’arrive toujours pas à comprendre pour les hommes, à les imaginer l’un au-dessus de l’autre... », confie Jean. En attendant, les feuilles de
choux se sont vendues comme des petits pains. On rapporte même des ruptures de stock. Les journaux ont même été photocopiés, se vendant à prix d’or. « Nous n’avons rien eu en terme de rentrée
financière. Ce sont les revendeurs qui ont profité sur notre dos. Ils photocopient nos articles pour les revendre à 1 000, 1 500, 5 000 FCFA », ont expliqué, selon Le Messager, les
patrons des trois journaux. Soit dans certains cas 10 fois le prix du journal.
Pas la peine de compter sur la Maison des droits de l’Homme
Le ministre délégué à la présidence de la République chargé des Relations avec les assemblées a envoyé un droit de réponse à L’Anecdote
pour démentir l’homosexualité qu’on lui prête. Musicienne et journaliste Rosine Ebessa s’est, quant à elle, tournée vers l’Archevêque de Yaoundé, à qui elle a écrit son désespoir devant « ces
accusations diffamatoires et dénigrantes qui ternissent [son] image à la fois auprès de [sa] famille, [ses] collègues et [ses] nombreux fans », rapporte Le Quotidien Mutations. Le
ministre de la Communication a rabroué les journalistes, lundi, lors des ses vœux de nouvelle année.
Le ministre de la Communication n’a pas mâché ses mots quant aux « dérives désespérantes » des journaux privés. Pierre Moukoko Mbonjo considère
que publier une liste « n’est pas drôle et ne fait pas rire, surtout lorsque les mis en cause sont de hauts responsables de la République et que l’on ne dispose pas de preuves irréfutables.
(...) Que l’on soit hétérosexuel ou homosexuel, l’acte sexuel se déroule dans un endroit intime, entre deux personnes, et même dans le cas d’un couple marié et hétérosexuel, seul leur statut et
la naissance des enfants laissent présager des activités auxquelles peuvent se livrer ces deux personnes ». Pour le moment, aucune plainte n’aurait été déposée, même s’il n’est pas exclu que
cela change dans les prochains jours. « La loi au Cameroun prévoit que dans un cas de diffamation, il appartient à la personne diffamée de saisir un tribunal.
Jusqu’à présent, je n’ai pas eu connaissance d’une plainte déposée », assure un responsable du ministère de la Justice, qui estime qu’avec « le temps les choses vont se tasser ».
Stéphane voit d’autres issues possibles. « On n’aura peut-être pas de chasse aux sorcières, mais la société va se radicaliser contre les
homosexuels », estime le jeune homme gay. Et ce n’est pas la Maison des droits de l’Homme, bizarrement homophobe, qui leur viendra en aide si on les attaque. Lorsque nous lui avons demandé
comment elle réagirait si un couple de femmes ou d’hommes lui demandait une assistance parce qu’il est persécuté, la directrice, Madeleine Afite, a déclaré : « En principe, s’ils sont
poursuivis, nous demanderons l’application de la loi pour qu’ils comprennent que l’homosexualité n’est pas une bonne chose. Nous veillerons à ce qu’ils ne soient ni bastonnés, ni torturés et
que les textes soient appliqués »...
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