DOCUMENTS (22)
PAR jj TRYSKEL BLOGSPOT
on en parlait justement
Le milieu monastique pratique
lui aussi l'homosexualité
Photo extraite du film : Le
Moine
Etre homosexuel n'est pas tabou
L'amour courtois que manifestent les chevaliers envers les dames n'est qu'une façade
tant les relations amoureuses entre preux guerriers sont loin d'être rares. Le milieu monastique pratique lui aussi l'homosexualité. En toute sérénité...
Par Jean Verdon *
Pour les Anciens, l'homosexualité ne constitue pas un problème particulier.
Photo extraite du film : Le
Moine
Ils pensent, en effet, selon des concepts autres que sexuels, à savoir la liberté, l'activité, la condition
sociale.
De sorte que l'homophilie active apparaît aussi bien dans les textes grecs que romains.
Photo extraite du film : Le
Moine
Au cours du haut Moyen Age, l'homosexualité n'a pas été condamnée ni réprimée d'une manière aussi violente que les
historiens le prétendaient autrefois.
Grâce à la renaissance carolingienne, à l'essor des villes, au développement de la culture ecclésiastique, elle aurait
même connu entre le XIe et le XIIe siècle un développement qu'elle ne retrouvera qu'à notre époque.
Photo extraite du film : Le seigneur des
Anneaux
Il est bien évident que les milieux monastique et chevaleresque - les guerriers vivant bien souvent loin de la
chambre des dames, et même s'ils connaissent des compensations hors de leur foyer - constituent des terrains propices à l'homosexualité.
Saint Benoît
Saint Benoît, auteur d'une règle monastique célèbre, prend conscience du danger.
Il indique que les moines doivent, si possible, dormir tous en un seul local.
Une lampe brûlera toute la nuit dans la pièce.
Les plus jeunes frères n'auront pas des lits voisins, mais seront répartis parmi ceux des anciens.
Si Charlemagne apprend avec stupeur que certains moines pratiquent la sodomie, il ne publie pourtant aucun texte
réprimant l'homosexualité.
Un édit conseille cependant aux prêtres et aux évêques de supprimer ce comportement sexuel sans indiquer de
sanction.
Vers la même époque l'homosexualité se développe dans les villes d'Espagne où l'on recense toutes les catégories de
rapports sexuels, de la prostitution à l'amour spirituel.
La poésie hispano-arabe comporte nombre de poèmes érotiques célébrant les rapports homosexuels.
Au XIe siècle, Ibn Suhayd compose une pièce où il dépeint une aventure amoureuse avec un mignon.
« Lorsqu'il fut tout à fait ivre,
il s'endormit et les yeux des gardiens se fermèrent également
Je m'approchai de lui,
qui était éloigné comme un compagnon qui sait ce qu'il touchera
Je rampais vers lui comme le sommeil qui l'avait envahi,
je me hissais vers lui doucement, comme un souffle
Je passai la nuit à jouir de lui jusqu'à ce que sourie la bouche de l'obscurité
J'ai baisé la blancheur de sa nuque et j'ai humé ses lèvres brunes »,
(traduction de Mohammed Abu-Rub).
Ibn Hazm fournit alors des exemples d'hommes pieux qui deviennent pédérastes.
C'est ainsi qu'il écrit :
« Notre compagnon excellait dans la science du Coran [...] Quand il fut éprouvé par cette calamité avec un jeune
homme, il rejeta ce qui avait été jusqu'alors l'objet de ses soins. »
Des musulmans ont même parfois des chrétiens pour amants, tel ce souverain du royaume de Saragosse, au XIe siècle, qui
s'éprend de son page chrétien.
L'homosexualité se répand avec la renaissance des villes, ainsi qu'en témoigne un grand nombre d'écrits de clercs
faisant allusion à des sentiments qui parfois restent sur le plan spirituel, mais peuvent aussi se concrétiser en rapports charnels.
Saint Pierre Damien
Vers 1051, saint Pierre Damien compose Le Livre de Gomorrhe où il décrit de façon détaillée les différentes
variétés de rapports homosexuels.
Il accuse certains prêtres d'être homosexuels et de se confesser entre eux pour éviter d'être repérés et bénéficier
ainsi de pénitences plus légères.
Léon IX
Le pape Léon IX refuse toutefois d'accéder à sa demande, à savoir les exclure de l'Eglise.
L'homosexualité n'empêche d'ailleurs pas les promotions.
Yves de Chartres
Yves de Chartres signale au légat du pape, puis au pape lui-même, que l'archevêque de Tours, Raoul, a persuadé
Philippe Ier, roi de France, de nommer un certain Jean, évêque d'Orléans.
Or, il s'agit d'un amant de l'archevêque.
« C'est un être ignominieux dont la déshonnête familiarité avec l'archevêque de Tours et son frère défunt et avec
beaucoup d'autres débauchés est publiquement honnie dans toutes les villes de France. Quelques-uns de ses camarades de débauches l'ont surnommé Flora [courtisane alors célèbre], et ils ont
composé sur son compte des couplets qui sont chantés à travers la France, sur les places et aux carrefours, par de jeunes dépravés dont, vous le savez, notre pays est affligé », (traduit
par dom Jean Leclercq).
Urbain II
Le pape Urbain ne s'oppose pourtant pas à l'élection de Jean, consacré évêque en mars 1098.
En Angleterre, le concile de Londres en 1102 insiste pour que dorénavant la « sodomie » soit considérée comme
un péché à confesser.
L'archevêque de Canterbury
L'archevêque de Canterbury, saint Anselme, demande de ne pas publier cette décision, parce que ce péché a jusqu'alors
un caractère si public que peu de gens en sont embarrassés ; beaucoup, ajoute-t-il, l'ont d'ailleurs commis parce qu'ils n'ont pas conscience de sa gravité.
Lors de la réforme grégorienne qui impose le célibat aux prêtres, les contemporains notent que les prêtres homosexuels
sont plus ardents que les hétérosexuels à le faire respecter.
Un texte satirique, évoquant le cas d'un évêque réformateur homosexuel, signale que « les services d'une épouse le
laissent indiffèrent ».
John Boswell parle du « volume stupéfiant d'oeuvres gays alors produites par les clercs ».
Bien qu'il note que ces écrits vont de « l'épaisse sensualité » à « l'idéalisme sublime », il nous
semble juger ces oeuvres un peu trop avec le regard d'un contemporain sensible avant tout à l'amour comme passion humaine, donc charnelle.
Il n'en reste pas moins qu'Aelred, abbé du monastère de Rievaulx en Angleterre, a su exprimer de façon intense l'amour
entre personnes du même sexe dans un cadre chrétien.
Ruines du monastère de Rievaulx en
Angleterre
Aelred est attiré par les hommes, et dans sa jeunesse il a sûrement eu des expériences d'ordre sexuel puisque dans une
lettre à sa soeur, il parle de l'époque où elle garde sa vertu alors que lui-même perd la sienne.
Devenu moine, il accepte de renoncer à toute relation sexuelle.
Il y parvient avec peine mais n'en éprouvera pas moins de l'attirance à l'égard de deux moines faisant partie de son
ordre.
L'homosexualité n'est pas le seul fait des clercs.
L'amitié masculine constitue l'un des thèmes favoris des oeuvres épiques et romanesques des XIe-XIIIe siècles.
La chanson de geste Ami et Amile en offre un parfait exemple.
Après avoir grandi séparément, les deux héros font connaissance.
A l'occasion d'une rencontre
« ils se jettent dans les bras l'un de l'autre, se baisent avec une telle fougue, se serrent avec une telle
tendresse qu'ils sont bien prêts de s'étouffer l'un l'autre », (traduit par Yannick Carré).
Lors d'une nouvelle entrevue, « ils se jettent à nouveau dans les bras l'un de l'autre pour se baiser et se
réjouir mutuellement ».
Amile ayant annoncé à Ami qu'il n'a pas eu de relation charnelle avec Lubias, malgré sa beauté, Ami se met à rire et
les deux hommes échangent de nouveaux baisers.
Guillaume le Maréchal
Georges Duby, dans son ouvrage sur Guillaume le Maréchal qu'il a étudié à partir d'un texte en vers rédigé
vers 1230 et narrant l'histoire d'un valeureux chevalier mort vers 1219, montre bien la place de l'amour dans l'univers chevaleresque :
« Ainsi, tout dans cette affaire tourne autour de l'amour, mais ne nous méprenons pas : autour de
l'amour d'hommes entre eux. Ceci ne nous étonne plus. Nous commençons de découvrir que l'amour, celui que chantaient, après les troubadours, les trouvères, l'amour que le chevalier porte à la
dame élue, masquait peut-être bien l'essentiel, ou plutôt projetait dans l'aire du jeu l'image invertie de l'essentiel : des échanges amoureux entre guerriers. »
Il faut toutefois se demander si cet amour implique des relations charnelles.
Il semble bien, à en croire Yannick Carré, que l'amour masculin médiéval constitue une forme originale d'amour
véritable que le monde actuel ne connaît plus.
Les rites d'amitié, tels que se donner des baisers, partager le même lit, permettent à cet amour de s'exprimer
librement lorsqu'il est charnel.
L'homosexualité est alors répandue dans les divers pays de l'Occident chrétien, ainsi que dans les pays scandinaves et
même en Terre Sainte.
Hildebert de Lavardin, archevêque de Tours de 1125 à 1133, écrit que nulle condition n'est exempte de ce vice.
Bernard de Morlaix signale que les homosexuels sont aussi nombreux que les grains de sable sur le rivage et qu'ils ne
cherchent pas à se dissimuler.
Gautier de Châtillon affirme que les jeunes nobles découvrent l'homosexualité pendant leurs études, et il ajoute qu'il
a connu bien des clercs sodomites.
Mais s'interrogeant sur l'aspect moral de ce comportement, il montre Dieu « riant des clercs » homosexuels,
alors que cet acte, quelques siècles plus tard, apparaîtra presque aussi grave que le meurtre.
Le même Gautier de Châtillon signale que « les princes ont fait de ce crime une habitude ».
Richard Coeur de Lion
Après une étude minutieuse des textes, le dernier biographe de Richard Coeur de Lion, Jean Flori, conclut qu'il est
homosexuel, ou plus exactement bisexuel.
Henri II
C'est un paillard en réalité, tout comme son père Henri II.
Une littérature gay réapparaît entre 1050 et 1150.
Pour la plupart, ses auteurs sont des ecclésiastiques de haut rang, tel Baudri, abbé de Saint-Pierre de Bourgueil,
puis archevêque de Dol-de-Bretagne, ou Marbode, évêque de Rennes.
Un poème extrêmement populaire met en scène le Débat entre Ganyméde et Hélène .
Si le gaspillage de semence constitue un argument qui permet à Hélène de l'emporter, celle-ci semble admettre que les
homosexuels sont fort nombreux à son époque et que ceux mêmes qui critiquent l'homosexualité en raison de leurs fonctions la pratiquent.
Ganymède
Remarquons que les dieux se partagent en deux camps : si les uns sont attirés par Hélène, les autres le sont par
Ganymède.
« Ganymède et Hélène est le produit d'une société, où les défenses de l'amour gay étaient assez répandues pour que
le ton soit plus de défi que d'excuse et pour que le talent poétique y ait volontiers pris sa matière », affirme John Boswell.
Edouard II
Au début du XIVe siècle, le roi d'Angleterre Edouard II (1284-1327), époux d'Isabelle de France, fille du roi
Philippe le Bel, qui lui donna d'ailleurs plusieurs enfants, est reconnu comme étant notoirement homosexuel.
Edouard II et Piers Gaveston
Son premier amant, un certain Piers Gaveston, qui a été exilé par le roi Edouard Ier, est rappelé lorsqu'il monte sur
le trône ; mais il est, de nouveau, exilé par le Parlement avant d'être assassiné.
Hugues le Despenser
Edouard a ensuite des rapports avec Hugues le Despenser, un autre de ses favoris, qui joua lui aussi un rôle dans son
gouvernement.
Mais les deux amants périssent tragiquement.
Froissart rapporte que les organes génitaux d'Hugues sont coupés et brûlés publiquement avant sa décapitation.
Quant à Edouard, comme ses assassins ont reçu l'ordre de ne laisser aucune marque sur son corps, il subit un supplice
barbare.
On lui introduit dans l'anus un fer rougi.
Ces meurtres apparaissent donc liées aux relations entretenues par les deux hommes.
Une nouvelle époque débute.
A la tolérance succède la répression.
Cette répression toutefois ne met pas fin à l'homosexualité.
Aussi, pour freiner cette dernière, on encourage parfois la prostitution.
Ainsi, dans la ville de Florence au début du XVe siècle.
Bernardin de Sienne
En effet, si les homosexuels en Italie se rencontrent aussi bien à Naples qu'à Venise ou à Gênes, les sermons des
prédicateurs toscans, tels Bernardin de Sienne vers 1320, certains passages de Dante dans L'Enfer , les mesures répressives prises par les autorités aux XIVe et XVe siècles montrent que
les villes toscanes et plus particulièrement la cité florentine constituent les principaux foyers.
Il s'agit d'ailleurs essentiellement de pédérastie, fréquente chez des hommes dont le mariage est tardif.
Une vision du Moyen Age soucieux avant tout d'obéir aux prescriptions de l'Eglise s'estompe.
*Médiéviste. Professeur émérite des Universités, Jean Verdon est spécialiste de l'histoire
des mentalités au Moyen Age. Il a notamment publié Les Loisirs au Moyen Age(Tallandier, 2e édition, 1996),La Nuit au Moyen Age(Perrin, 1994),Le Plaisir au Moyen Age (1996), et Voyager au Moyen
Age (Perrin, 1998)
Source : http://www.historia.presse.fr/data/thematique/65/06502601.html
Derniers Commentaires