Ne cherchez pas à vous procurer le Rohypnol en pharmacie. Il est interdit à la vente depuis 2013, ce puissant somnifère était trop
devenu, comme le GHB, la drogue du viol.
Écrire des récits fait souvent revenir à la surface des trucs oubliés de ma vie. A cette occasion, je reconstruis des scénarios entiers et me
penche à nouveau sur des versions de moi-même plus jeunes, plus bêtes, et souvent éloignées de la réalité. Les conneries dont je parle disent souvent leur nom – des conneries, aussi grosses
soient-elles, qui ne font de mal à personne.
Mais quand je reviens sur un épisode précis de mon époque fac, je réalise à quel point mes potes et moi étions stupides. On ne faisait de mal à
personne, en tout cas à personne directement, et au final tout rentrait dans l'ordre, mais en y repensant, le fait d’armes bien particulier sur lequel je m’apprête à revenir me donne envie de
disparaître à jamais parce que je n'ai pas tenu parol à mon meilleur ami.
J'aime bien faire les choses au dernier moment, et à l'université j'en ai fait ma marque de fabrique durant quatre brumeuses années. Je me suis un
peu reposé sur mes lauriers niveau études jusqu'au semestre final, lorsque j'ai rassemblé chaque lueur de volonté encore allumée en moi pour me mettre à fond dans mes cours. (Je suis encore assez
fier d'avoir suivi ces cours jusqu'au bout, même si c'était foutrement dur. Sciences de l'ingénieur m’a toujours semblé être un cursus de merde – ce qui est le cas car vous ne serez jamais
qu'assistant d'un responsable.) Le premier jour de mon dernier semestre de sciences de l'ingénieur, j'ai été placé dans une classe de cinq élèves, et au bout de trois semaines, on n'était plus
que deux – moi et un grand blanc, Jean-Marc. Jean-Marc était un mec charmant, et le fait de se retrouver ensemble dans ce cours, seuls, a fait de nous des amis. Il était un peu strict, mais très
drôle. C'est pourquoi je n’ai d’abord pas su s’il déconnait lorsqu’il m'a avoué qu'il s'était fait violer par le gay le plus moche de la fac.
Un jour, on est tous les deux arrivés en avance dans la salle de cours. On s'est assis à nos bureaux adjacents et on en est venus à parler de mecs
d'une fraternité qui venaient de se faire choper en train de filer du Rohypnol à des filles. Alors qu'on s'accordait sur le fait que la frat-culture*(1) était le plus sûr moyen de rater sa vie,
Jean-Marc m'a dit : « Ouais, on m'a filé du Rohypnol aussi un soir, et on m'a violé. » J'ai répondu par un gloussement, que j'ai regretté
aussitôt, comprenant qu'il ne blaguait pas. Il n'avait pas sur le visage l'expression sérieuse qu'on s'attendrait à voir après une telle confidence ; à la place il parlait avec une
nonchalance qui n'indiquait aucun traumatisme. Le seul fait qu'il m'en ait parlé en classe rendait ses paroles anecdotiques, malgré leur gravité. Avant que j'aie pu lui poser la moindre question,
le prof est entré dans la salle, et une nouvelle session de cours intensif débutait. J'ai suivi le cours, pris des notes, mais le seul truc auquel j’ai pensé pendant ces putains de 90 minutes,
c'était l'histoire de Jean-Marc. J'ai dû attendre qu'on sorte de cours pour qu'il me raconte toute l'histoire.
Un soir, une amie de Jean-Marc l'avait traîné à une fête, lui demandant de la surveiller parce qu’un mec – lequel vivait dans la maison où avait
lieu la fête – la harcelait. Jean-Marc a accepté. Il avait décidé de ne pas boire cette nuit-là, mais quand son amie lui a filé son verre, il s'est dit : « Allez, merde, juste
un. » En fait, il s'est avéré que le type qui harcelait son amie avait versé du Rohypnol dans le verre, le même qui avait atterri dans les mains de Jean-Marc. À la moitié du verre, Jean-Marc
a commencé à se sentir partir, et peu de temps après, tout est devenu noir. Des gens présents à la fête lui ont dit que quand il avait commencé à dévisser, il avait attiré l'attention d'une fille
que tout le monde appelait le Spectre . Si j'en crois Jean-Marc, on l'appelait le Spectre à cause de ses traits masculins un peu"crispés" ; c’était de loin le gay le plus
physiquement repoussant du coin. « Le plus dégueu, c'était son bide, énorme », a déclaré Jean-Marc, dégoûté. Selon des témoins de la scène, le Spectre s'est entiché de
Jean-Marc et, tandis qu'il faisait des va-et-vient entre conscience et inconscience, il a entrepris de le caresser.
Finalement il l'a amené dans sa chambre, l’a désappé, et l'a baisé sans son consentement, du moins, Jean-Marc en était-il conscient ?
Jean-Marc m'a dit qu'il n'était pas sûr qu'il y ait eu pénétration – ou s'il était seulement capable d’avoir du plaisir, vu son état – mais le Spectre disait que oui et qu'il avait, le
lendemain, voulu prendre le petit-déjeuner avec lui.
Jean-Marc a pris peur, lui a dit qu'on l'avait drogué, et est sorti en courant de la baraque, en direction du premier centre de
dépistage de MST venu. Il m'a dit que la partie la plus perturbante de toute cette histoire, c’était lorsqu’on lui avait enfilé un coton-tige dans l'urètre pour prélever pour le labo– épreuve
qu'il ne souhaitait pas même à son pire ennemi. À ce moment du récit, on était arrivés au train. Avant qu'on se sépare, Jean-Marc m'a fait jurer : « Sérieux, n'en parle jamais à
personne. »
Sur le chemin du retour, mon cerveau se posait tout un tas de questions. L'amie de Jean-Marc savait-elle que son verre contenait du Rohypnol ?
le Spectre était-il conscient que Charles était défoncé ? Y'avait-il eu pénétration ? Un mec peut-il vraiment avoir des rapports sexuels sous Rohypnol ? Quand je suis finalement
arrivé chez moi, mes potes ont remarqué que quelque chose me trottait dans la tête. Ils se sont arrêtés de discuter et m'ont regardé, debout dans l'encadrement de la porte. L'histoire de
Jean-Marc avait éjecté toute autre pensée de mon esprit. Impuissant, j'ai rompu la promesse que j'avais faite à Jean-Marc. « Les mecs, vous n’allez pas le croire... »
Je n'ai jamais mentionné le nom de Jean-Marc, mais je leur ai raconté toute l'histoire. Quand j'en ai eu fini, leurs réactions allaient du pur choc
au même gloussement que j'avais eu plus tôt. Tandis que je leur racontais l'histoire, on a fumé un joint d’herbe et discuté du moindre détail ; on n’y croyait pas. Au bout d’une semaine, on
est passés à autre chose et l'histoire du viol de Jean-Marc a disparu de nos cerveaux à tous. Jusqu'à ce qu'elle rejaillisse de manière inattendue au moment de notre projet final en cours.
Pour ce projet final, Jean-Marc et moi étions tombés d'accord sur une vidéo sur une machine à former les palettes. Mon appart était à dix minutes du
campus et pour avoir un public facile on avait décidé de se réunir chez moi pour tourner de fausses interviews. Jean-Marc s'entendait bien avec mes potes. Ils l'ont
totalement intégré lorsqu'il a accepté de tirer sur le joint qu’ils faisaient tourner. On a fait une pause, roulé un autre joint, et pris place autour de la table basse du salon. Défoncés, on
s'est mis à parler de tout et de rien, et on a remis sur la table le sujet du Rohypnol dans les fraternités – une autre affaire de Rohypnol avait eu lieu dans notre fac peu de temps après.
Au cours de la discussion, mon pote Paulito s'est exclamé : « Ouais mec, personne n'est à l'abri. Eh d’ailleurs, le Kid connaît un mec qui s'est fait verser du Rohypnol dans son verre
avant de se faire violer par des mecs. »
Je pouvais sentir mon visage rougir tandis que Jean-Marc me regardait, bouche bée. Personne ne s’était rendu compte de rien jusqu'à ce que Jean-Marc
se mette à gueuler : « Tu l'as dit à tous tes potes !?! PUTAIN ! » À ce moment-là, je me suis dit que même si j'avais vendu la mèche, c'était à Jean-Marc de confirmer que
l'histoire le concernait – et en gueulant comme ça, il venait de s'en charger. Mes potes se sont tus. Tout le monde regardait Jean-Marc, tandis que lui nous balayait des yeux, la bouche encore
grande ouverte. Quelqu'un a laissé échapper un rire nerveux. Puis quelqu'un d'autre. Le rire est devenu contagieux, et alors que le volume sonore de nos rires allait croissant, le visage de
Charles s'est peu à peu adouci, et sa bouche grande ouverte s’est mise à sourire, elle aussi. Un nuage de fumée opaque nous isolant les uns des autres, on a tous ri très fort, réalisant à quel
point la situation était gênante. Ne sachant que faire, on a évacué en se marrant l'horreur de ce qui était arrivé à Jean-Marc, comme si c’était une tuile comme une autre.
En y repensant, je suis mortifié. Mais à l'époque, on était si débiles que si quelqu'un avait pété d’embarras, on aurait ri d’autant plus. Si des
filles s'étaient trouvées à notre place, l'embarras aurait été beaucoup plus «évident », je crois. Mais comme n'importe quel mec, il nous était alors impossible de juger de la gravité de la
situation. Je n'ai jamais eu vent d'une autre histoire de mec drogué et violé par un gay, mais je suis certain que c'est déjà arrivé à d'autres – et que c'est tout sauf drôle.
*(1) les clubs fraternels de sfacs anglo saxonnes engagent leurs adhérents, lors du bizutage, sur des thèmes divers : des challenfges permanents, thèmes hétéros ou
gays, fêtes, vie en société, entraide.... selon les deux amis il faudrait s'en écarter, s'en tenir à distance
rien de ce texte ni photos n'appartient à ce blog qui s'est autorisé des modifs importantes
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