Lundi 25 juillet 1 25 /07 /Juil 08:03

  Au Théâtre Suçoir, du porno (pédagogique) en vrai, « comme si vous y étiez »  

La salle est secrète. Son adresse (dans Paris) n’est donnée aux spectateurs que quand ils achètent leur place. Ils payent 60 euros pour assister au tournage d’une scène pornographique. Alors, à l’entrée du loft – une grande porte...

La salle est secrète. Son adresse (dans Paris) n’est donnée aux spectateurs que quand ils achètent leur place. Ils payent 60 euros pour assister au tournage d’une scène pornographique.

Alors, à l’entrée du loft – une grande porte de garage verte –, le vigile nous demande :

« Vous venez pour quoi ? »

On met du temps à comprendre qu’il ne blague pas, et qu’il faut presque donner un mot de passe pour entrer. La porte franchie, on découvre un vaste loft, joli. Le lieu est loué pour diverses occasions – fêtes, tournages, etc.

On aimerait bien y habiter mais la déco est un peu spéciale ce soir-là. Images de filles aux seins gonflés, lumières tamisées.

Dans l’entrée, Jean-Luc, l’organisateur débonnaire du Théâtre Suçoir et de la soirée, est assis à son kiosque. Il accueille les spectateurs.

Jean-Luc dans son kiosque au Théâtre du Suçoir à Paris, en octobre 2012
Jean-Luc dans son kiosque au Théâtre du Suçoir à Paris, en octobre 2012 - Sébastien Leban/Rue89

Voyeurs, libertins et ceux qui ne bandent plus

Après vingt ans passés dans le monde du porno, entre sa boutique sexy à Paris et son activité de distribution et de production de films, il a eu envie de se mettre au théâtre. Il n’a pas inventé l’idée, elle a déjà existé au Théâtre DEs Deux Boules  ou au French Lover, comme le raconte l’acteur Karl Bipasse :

« Aujourd’hui, ces endroits sont fermés, mais il y avait une vraie mise en scène, et il n’y avait que ça toute la journée. »

En 2012, l’idée d’un théâtre porno est d’autant plus originale qu’à l’heure actuelle, regarder du porno à plusieurs n’est pas tellement en vogue. Le Beverley, dernier cinéma porno de Paris, lutte pour remplir la salle

Sans cacher qu’il fait un business, Jean-Luc raconte, sincère, qu’il voulait montrer au spectateur comment ça se passe. Il dit que c’est une « démarche soft plutôt que de faire un truc plus glauque ». Il aime le mélange des spectateurs :

« Vous avez les voyeurs. Leur libido à eux, c’est de mater, d’en prendre plein le cerveau, sans jamais passer à l’acte. Il y a aussi des gens qui ne bandent plus et qui veulent voir si ça fonctionne encore, et des couples qui viennent s’encanailler. »

Beaucoup de « curieux » dans le public

Ce soir-là, dans la quarantaine de spectateurs (invités et clients), il y a un peu de tout ça. Mais les groupes ne sont pas équilibrés. Le public est très largement masculin. Il n’y a pas plus de cinq femmes.

Beaucoup de « curieux ». Amar, par exemple. 38 ans. Un bras dans le plâtre, des sandales aux pieds, il raconte qu’il va tous les ans au salon du X « par curiosité ». Le spectacle de ce soir ? Par « curiosité » aussi. C’est la deuxième fois qu’il vient. Je lui fais remarquer que du coup, il pourrait être moins « curieux ». Lui répond, sans se démonter :

« Non, je suis encore curieux. »

Et il ajoute :

« Je suis curieux de voir les gens faire l’amour devant moi. »

Assis à côté de lui, Stanislas a la main posée sur sa canne. A 68 ans, ce retraité moustachu a un bon petit look de rockeur avec son blouson en cuir et ses Converse.

« C’est comme aller à un concert »

Il se décrit comme un « vieux cochon » et a découvert le théâtre grâce à une affiche sur un kiosque à Pigalle, son quartier. Stanislas regarde du porno deux fois par semaine et avait envie d’assister à un tournage :

« C’est comme aller à un concert. Je suis allé voir les musiciens des Doors. Ça faisait froid dans le dos, c’était autre chose que de les écouter en disque. »

Ce soir, il n’a pas l’intention de se masturber. Il dit qu’il est rangé, qu’il ne bande plus beaucoup et qu’il admire beaucoup ces acteurs pornos capables de tenir si longtemps en érection :

« J’ai envie de voir ça en vrai, de voir comment ils pratiquent. »

Le corps des femmes l’intéresse aussi. Il dit d’ailleurs que dans la vie, il aimerait bien se « trouver une jeunette de 18 ans ».

Amar et Stanislas attendent dans la grande salle, celle où le « spectacle » va se dérouler. Partout à terre, il y a des tapis. Les spectateurs font face à une estrade sur laquelle est juché un lit. En fond sonore, fort, de l’électro. Au fond de la salle, un aquarium.

Une actrice passe avec une poire à lavement

Il y a aussi de quoi manger (ça fait partie du prix). Pas de petits fours, mais du pâté en croûte, du saucisson à l’ail, du saucisson tout court, des chips, des cacahuètes.

Le buffet
Le buffet - Sébastien Leban/Rue89

Dans une autre salle – à laquelle tout le monde peut accéder –, les acteurs se préparent. Une femme passe, une poire à la main (pour faire un lavement anal). On échange un mot avec Stella Johanssen  sur ses chaussures rose fuchsia à strass, très hautes. Elle s’enorgueillit :

« Je les ai payées 20 euros à Anvers ! »

Les acteurs se chauffent un peu, les actrices se tripotent avant que la caméra ne tourne.Fabien Lafait , réalisateur de films, s’agite. C’est lui qui orchestre les soirées. Son rôle sera à la fois de filmer et commenter les gestes des acteurs, de leur poser des questions. Voilà, le show commence.

« Le titre : “Les DRH sont des pétasses” »

Assis en rang d’oignons sur le bord de l’estrade, les acteurs sont présentés par Fabien Lafait sous les applaudissements des spectateurs.Max Casanova 28 ans, Lilou, 36 ans et Stella Johanssen, 23 ans. Vous vous souvenez de Jacques Martin ? « L’Ecole des fans » ? Là, c’est pareil :

« Alors, quel âge as-tu, Stella ?

– J’ai 23 ans, et non 18 ans comme je l’ai entendu au fond de la salle !

– Et depuis combien de temps tu es dans le porno ?

– Ça fait deux ans. »

Puis vient la présentation du scénario par Stella Johanssen. Les acteurs l’ont rapidement mis au point ensemble. Encore une fois l’impression (bizarre, certes) d’assister à ces spectacles d’enfants qu’on subit souvent dans les réunions familiales. Avec une histoire absurde et incohérente :

« Le titre, c’est : “Les DRH sont des pétasses”. Donc, c’est l’histoire de deux DRH qui ont un dossier sur le Kamasutra à finir, et donc elles appellent leur assistant pour qu’il les aide à finaliser certaines positions. »

« Bonjour ! Han, mais vous êtes à poil ! »

Voilà pour la complexité du scénario. Point de trois coups, mais le spectacle commence. Sans trop de surprise, le jeu des acteurs est très mauvais, mais clairement, ce n’est pas l’attraction de la soirée. Au bout de cinq minutes de parlotte, les deux actrices sont déshabillées et se lèchent le sexe.

Stanislas, le vieux rockeur, soupire un peu.

Puis, c’est l’entrée surjouée et franchement drôle de l’assistant (Max Casanova) :

« Bonjour madame ! Han, mais vous êtes à poil ! »

Ensuite, les positions s’enchaînent très rapidement.

La représentation porno au Théâtre Suçoir
La représentation porno au Théâtre Suçoir - Sébastien Leban/Rue89

C’est du porno « gonzo » classique, avec tout ce que ça présente de désagréable. Une représentation sexiste et hypernormée des rapports hétérosexuels, des plans gynécologiques plus écœurants qu’excitants. Exemple flagrant avec cette manie de montrer à la caméra l’anus grand ouvert des actrices après une scène de sodomie.

Alain, un spectateur avec qui on avait parlé avant que le spectacle ne commence, mitraille, l’air grave, les acteurs avec son appareil photo. Un gros reflex numérique. Ce quarantenaire est cadre dans les essais automobiles. Dans son pantalon de cuir et ses lunettes de vue rectangulaires, il nous avait expliqué être venu après avoir vu un reportage dans l’émission « Paris Dernière ». Il espérait « voir un véritable show ». On le pense servi.

L’intérêt est ailleurs

Par un mouvement de doigts hyperbourrin, Max Casanova fait éjaculer Stella Johanssen. Elle hurle à la mort, puis assure au public que c’est parce que c’était très bon. Ce dont on ne peut s’empêcher de douter un peu

L’intérêt du spectacle n’est de toute manière pas là. Régulièrement, Fabien Lafait interrompt les acteurs pour leur demander d’expliquer ce qu’ils font :

« Qu’est-ce que tu fais là, Max ?

– Là, je change de préservatif pour éviter les maladies sexuellement transmissibles. Parce que je m’apprête à changer de partenaire. »

Tout y passe et on apprend vraiment des choses sur la façon de travailler des acteurs. Comment ils doivent se positionner par rapport à la caméra, les techniques des actrices pour ne pas avoir mal pendant une sodomie. Si Max Casanova crache à l’intérieur de son préservatif, c’est pour ne pas être trop irrité de la verge.

Pendant tout le spectacle, l’acteur n’a cessé de répéter aux spectateurs en riant :

« Moi, je suis un vrai branleur. »

Et, de fait, il n’a cessé de se masturber frénétiquement pour tenir les presque deux heures de tournage. On l’a secrètement plaint, ça n’avait pas l’air hyperagréable.

Venus pour « pimenter un peu leur couple »

En fait, de notre point de vue qui vaut ce qu’il vaut, tout cela n’a absolument rien d’excitant, c’est très technique. Et on pense beaucoup au génial film de Raphaël Siboni, « Il n’y a pas de rapport sexuel ».  Un documentaire sur le monde du travail qu’est le porno.

Au Théâtre Suçoir
Au Théâtre Suçoir - Sébastien Leban/Rue89

Avant que le spectacle ne commence, on avait aussi parlé avec Isabelle et Gérard (ce couple tenait absolument à être anonyme). Elle, ingénieure de 36 ans, lui, « cadre industriel » de 46 ans. Ils nous avaient dit être venus pour « pimenter un peu leur couple ». Une surprise de Gérard à Isabelle. Elle reconnaissait :

« J’aime bien les activités insolites. [...] Je n’aime pas le quotidien. C’est ce qui fait qu’un couple marche, je crois : ne pas manger toujours la même soupe. »

Ils étaient complices, se lançaient des regards amusés, disaient être encore très amoureux après douze ans de relation. Eux attendaient une pièce de théâtre. Récemment, ils avaient adoré la mise en scène des « Liaisons dangereuses » par John Malkovich au Théâtre de la ville, à Paris.

Un homme se paluche dans son pantalon

Pendant le show, ils regardent les acteurs s’activer, curieux, sérieux, intrigués. Isabelle penche un peu la tête pour mieux voir, entre les spectateurs de devant. Pas très loin d’eux, un homme se paluche dans son pantalon. Tout va bien.

Après une position acrobatique digne d’un numéro de cirque, le spectacle se termine de manière classique : deux sodomies et une double éjaculation faciale.

On n’a pas pu demander à Isabelle et Gérard ce qu’ils en avaient pensé, ils sont partis avant la fin. Jean-Luc, l’organisateur de la soirée, nous a rapporté qu’ils devaient libérer leur baby-sitter.

Stanislas n’a pas bandé

Stanislas, « le vieux cochon », n’est pas déçu. Même s’il n’a pas bandé. Il a trouvé la pièce « assez drôle » et il a bien ri des blagues des comédiens pendant le spectacle. Amar, lui, n’est pas très content :

« Je n’ai pas trop aimé les trois personnes. Je n’étais pas excité. Je préfère voir des couples. »

Ses vêtements enfilés, Max, encore rouge de l’effort sportif qu’il vient d’accomplir, engloutit du saucisson à l’ail. Il a le sourire aux lèvres et raconte aimer avoir un public, observer ses réactions :

« Il faut encore moins débander que dans un film. Le mieux, c’est de jouer avec l’humour. »

Dans son kiosque, quand on parle à Jean-Luc du spectateur qui s’est masturbé en lui demandant si c’est l’ambition du spectacle, il répond, agacé :

« Ah ! Fallait m’appeler ! C’est interdit. C’est pas bien ça. »

Ce soir, il n’y avait pas autant de spectateurs que ce qu’il escomptait. Il l’explique par la reprise : il n’y a pas eu de représentations pendant l’été.

La production de la soirée lui a coûté 2 500 euros. Jean-Luc est un peu déçu, il n’est pas rentré dans ses frais. Après les prochaines représentations, si tout marche comme il veut, il aimerait emmener le Théâtre Suçoir en Grèce au printemps.

 

Par RUE89 RENEE GREUSARD - Publié dans : ELLES ET NOUS & VIDEOS - Communauté : Cavaillon communauté gay bi trans lesbienne sur la région
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