Que ce soit aux femmes ou aux hommes, « James Dean s’est donné à beaucoup de gens avec la volonté de n’appartenir à personne. » Philippe Besson s'est passionné pour son idole dont il avait, comme tant d'autres, punaisé le poster dans sa chambre d’adolescent. Il a aussi ausculté des heures durant les dizaines de photos prises par Dennis Stock, et s'est penché sur ces séries de clichés en noir et blanc devenus mythiques. A la recherche d'un détail, d'une posture, d'un mal-être. Un travail minutieux, essentiel pour l’aider à démêler, fil après fil, l’épais mystère de cette vie fulgurante et brisée en vol. Pour sonder cette personnalité ambiguë, « fragile comme du verre », comme le décrit l’auteur de Vivre vite (Julliard), un roman consacré à ce grand solitaire, si entouré pourtant.
Au fil des rencontres amoureuses et amicales, masculines ou féminines, nouées par le comédien, Philippe Besson interroge sa relation aux autres, esquisse par petites touches le portrait de ce garçon « pas très grand, mal foutu et myope, mais qui a impressionné chacune des personnes qu’il a croisées ».
Le romancier plonge aux origines du mythe. Mildred, la mère de James Dean, n’est-elle pas la première à avoir su voir en lui la lumière? A le trouver singulier et à aimer cela? « Cette maman peu conventionnelle l’élève en effet à rebours des principes de la bonne éducation au fin fond de l’Indiana, assure Philippe Besson. Elle lui fabrique des marionnettes en chiffon, improvise avec lui des pièces de théâtre, l’inscrit à un cours de claquettes, le pousse vers les matières artistiques, l’encourage à une meilleure connaissance de lui-même. » Elle lui insuffle aussi son goût de la liberté, sous l’œil inquiet de son mari, un prothésiste dentaire on ne peut plus effacé.
La disparition de cette mère qui l'aimait autant qu'elle le poussait vers les cimes va terrasser ce fils unique. A jamais. Il a neuf ans, lorsque Mildred est emportée par un cancer. Il s’est tenu à son chevet pendant ses mois d’agonie en Californie, où les avait entraînés le job de son père. Il accompagnera son cercueil, dans un train, un éprouvant trajet de 2000 kilomètres, pour qu’elle soit enterrée sur sa terre natale d’Indiana.
Recueilli par son oncle et sa tante, « abandonné » par son père, estime-t-il, James Dean va dès lors se chercher des guides exclusivement féminins. Il y aura sa première professeure d’art dramatique, Adeline Brookshire, qui saura lui donner confiance et tentera de canaliser sa résistance à toute forme d’autorité. Il se laissera aller, à seize ans, dans les bras de sa professeure de lycée, Elisabeth McPherson. Mais les filles ne sont pas sa priorité, James Dean se laisse faire. Il ne cherche pas des maîtresses, mais bien plutôt des mentors. Ses deux agents seront d’ailleurs des femmes. "Il a une complicité sensuelle avec les hommes, mais il n’attend rien d’eux, raconte Philippe Besson. En outre dans l’Amérique puritaine des années 50, il décide de ne pas courir de risques. Et ne cherche pas à s’attacher à ces derniers. Finalement il regarde les hommes en baissant les yeux et les femmes en levant les yeux."
Dans Vivre vite, l’écrivain évoque toutefois la relation que l’acteur a entretenu avec l’apprenti comédien Bill Bast, son colocataire à Los Angeles. Il raconte aussi son histoire avec le publicitaire Rogers Brackett. Ce dernier a été la victime consentante des emballements d’un James Dean à fleur de peau, qui s’enflamme puis se lasse très vite des êtres et des choses. Qui partage la vie de la danseuse et comédienne Dizzy Sheridan pour faire d’elle sa confidente.
Plus tard, il livrera à une autre femme,Elizabeth Taylor, quelques uns de ses plus intimes secrets. « Sur le tournage de Géant, il lui confiera, comme elle l’écrira dans ses mémoires, avoir été abusé par un pasteur durant son adolescence dans l’Indiana. Un homme qui partagea aussi avec lui sa passion pour la corrida ou les courses automobiles », ajoute Philippe Besson. Une femme réussit toutefois à faire vaciller ce cœur réputé citadelle imprenable. L’actrice Pier Angeli enflamme James Dean. « Au fond, raconte l’auteur de Vivre vite, il semble avoir eu un vrai élan amoureux pour la seule qu’il savait ne jamais pouvoir vraiment conquérir. Cette dernière n'a jamais pu se défaire de l'emprise de sa mère farouchement hostile à leur histoire. » Pier Angeli quitte la star montante d’Hollywood quelques mois après les prémices de leur aventure et se marie avec le chanteur Vic Damone.
Le comédien, solitaire et pressé, ne s’attardera jamais sur la passion qu’il suscite chez ses contemporains. Il voit bien ainsi que le jeune Sal Mineo, qui partage l’affiche avec lui dans la Fureur de Vivre, puis Géant, est très épris de lui. Le jeune homme n’a que seize ans, mais il est séduit par l’hypersensibilité de son partenaire. « Jimmy ne retenait aucune émotion dans ses films, il avait un côté très féminin, mais le fait d’avancer masqué dans la vie et sa courte existence n’ont fait qu’accroître sa dimension mystérieuse », souligne Philippe Besson qui avoue qu’au bout des 238 pages qu'il consacre au personnage de James Dean, calé entre ombre et lumière, cette légende lui résiste encore. Insaisissable, insoumis.¤
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