Samedi 12 mars 6 12 /03 /Mars 02:00

 “briser l’omerta”

   

Pédophilie à Lyon : une victime décide de parler pour “briser l’omerta” (VIDEO)

Pédophilie à Lyon : une victime décide de parler pour “briser l’omerta” (VIDEO)

Juillet 1990. Béret noir, foulard vert et gris, le garçonnet sourit. La photo est prise dans un car. Pierre-Emmanuel Germain-Thill a 10 ans. Il part en camp en Irlande avec les jeunes scouts du Groupe Saint-Luc, de la banlieue lyonnaise de Sainte-Foy-lès-Lyon. Cette fois-là, le "père Bernard", qui les encadre, ne l’approche pas. Contrairement à d’autres moments passés sous sa responsabilité durant lesquels le jeune homme de 36 ans accuse désormais le prêtre d’agressions sexuelles, entre 1988 et 1991.

Après plusieurs plaintes d'anciens scouts récemment réunis au sein de l'association "La Parole Libérée", Bernard Preynat a été mis en examen fin janvier pour agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans. Confronté au jeune homme, il a, comme pour d'autres, reconnu les faits. Pierre-Emmanuel Germain-Thill, comptable et membre de l'association a décidé de parler pour "briser l'omerta."

 

 

 

En septembre 1988, Pierre-Emmanuel et sa mère quittent Strasbourg pour Sainte-Foy. Ses parents viennent de divorcer. "J’étais un gamin un peu hyperactif, je faisais pas mal d’activités pour me canaliser", livre-t-il posément, cheveux courts et pull bleu. Une connaissance de sa mère lui conseille de l’inscrire aux scouts de la paroisse Saint-Luc. "J'y allais tous les samedis." A sa tête, le charismatique et autoritaire père Bernard Preynat, un sifflet toujours autour du cou. "Il décidait de tout, faisait consensus autant auprès des enfants que des parents", poursuit le jeune homme. La première agression dénoncée survient peu après son arrivée.

"J'étais un peu à part"

Etait-ce fin 1988 ou plutôt début 1989 ? Difficile, près de trente ans plus tard, de se souvenir précisément des dates. Impossible, en revanche, d'oublier les lieux. Les locaux de l’imposante église de béton de Saint-Luc. Son rez-de-chaussée comportait plusieurs salles : les scouts les utilisaient pour l'atelier photo, le rangement des costumes, l'organisation des activités… Le bureau du prêtre était à l'étage.

"J’étais un peu à part. Je ne connaissais pas grand monde. Il m'a mis la main sur l’épaule, m'a dit qu’il avait des choses à récupérer dans son bureau et m'a serré assez fort, comme le ferait un adulte pour s'assurer que l’enfant l'accompagne. Son bureau était très sombre. Je sentais déjà une forme d’oppression. Quand la porte s'est fermée, il s'est complètement focalisé sur moi." Pierre-Emmanuel ne comprend pas ce qu’il se passe.
"Je ne connaissais rien de tout cela. J’étais noyé par l’aspect église et religieux. Je me disais que ça devait être normal, que ça allait passer."

"L’histoire", rapporte-t-il, s’est ensuite répétée "plusieurs fois". Après son dépôt de plainte, en janvier, d’autres souvenirs, enfouis, ont ressurgi.

Il se souvient des paroles rassurantes du prêtre : "Tu es quelqu’un de bien, tu vas faire de belles choses, tu seras bien ici." Comme pour d’autres anciens camarades, au malaise se mêle un sentiment proche de la fierté. Comment, avec tant "d'attentions" de la part du chef, ne pas se sentir un peu "le préféré" ? "Je sortais à chaque fois un peu perturbé, ne sachant comment l’exprimer." Pierre-Emmanuel avait bien le sentiment de ne pas être un cas isolé. "Les regards entre nous en disaient long. On sentait bien qu'il y avait quelque chose que personne n’osait dire." Il a toujours eu l'impression, en revanche, qu'il se serait senti bien seul s’il avait osé dire quelque chose. "Je sentais que si je le faisais, je m'attirerais les foudres de l’Eglise et devrais affronter une institution qui allait tout écraser."

Un brusque "rappel"

L'enfant parvient tout de même à le dire à sa mère, en 1991. Ne sachant comment exprimer le reste, il ne lui parle que de "baisers sur la bouche". Elle n'y croit pas. "Je me suis alors dit : ‘à quoi ça sert, dans ce cas, d’en parler à qui ce soit ?’".

Pierre-Emmanuel n’en parle plus, tente d’oublier. Jusqu’à un brusque "rappel", plusieurs années plus tard. Il a 17 ans quand sa mère décide d’acheter un appartement, juste en face de l’église Saint-Luc. Ils en reparlent. "Ça n’a pas été plus loin." Le jeune homme doit faire avec pour se construire. "J'étais en échec scolaire. Ça m’a notamment causé des problèmes dans mes relations de couple. J’étais complètement perdu." Il suit une thérapie. "J'ai eu l'occasion d'en parler, mais ce n'était pas assez." Il a longtemps "rêvé" que l'affaire soit révélée. "J’ai toujours espéré que quelqu’un parle. J’ai toujours rêvé de ce que fait aujourd’hui ‘La Parole Libérée’. J’y ai souvent pensé dans les moindres détails. Pour que justice soit faite et qu’on ait des réponses, tout simplement".

Il n’a appris que récemment l’existence de cette association. Mi janvier, il doit passer chez sa mère récupérer un courrier. "A peine arrivé, elle m’a tendu des articles de presse qui parlaient de 'La Parole Libérée'. Pour elle, d’un coup, c’était une évidence : ce que je lui avais dit il y a 25 ans était vrai". Il contacte illico l’association. Porte plainte, prêt à aller jusqu’au bout "pour que la vérité soit faite." Pas facile, pour autant, de "rebrasser tout ça." Ni de se retrouver toutes ces années après confronté à l’ex-chef scout dans les locaux de la police de Lyon. "Il n’osait pas me regarder, disait ne pas avoir pensé faire du mal. Avant d'admettre, interrogé par l'enquêteur, qu'il estimait en réalité m'en avoir fait énormément."

"Pour que ça n'arrive plus"

Ces aveux le soulagent. "Je me libère d'un poids". Comme les autres victimes présumées, il a été consterné d’apprendre que le prêtre, qui n'a jamais nié les faits, avait ensuite été déplacé dans d’autres paroisses bien que sa hiérarchie a été alertée en 1991. Pierre-Emmanuel estime son cas personnel "réglé" : "Il a avoué. Cela me permet d'être reconnu comme victime. C'était important pour moi, et pour le peu de gens qui savaient et ne me croyaient pas."

Parler "permet de se soigner, de pouvoir peut-être aussi aider d'autres à le faire." Mais s'il est sorti de son silence, c'est aussi et surtout, au-delà de l'affaire Preynat, pour que "cela ne se reproduise pas". "On ne plus accepter au 21e siècle que l'Eglise cache ce genre de choses. Preynat a dit que sa hiérarchie a toujours su. Alors que s'est-il passé ? La loi ne dit-elle pas que les faits doivent être dénoncés ? Pourquoi a-t-il été nommé doyen de paroisses en 2013 ? Pourquoi l'a-t-on, en connaissance de cause, laissé travailler avec des enfants ? C'est pour moi plus grave encore que les agissements de Preynat."

Au-delà de l'enquête en cours concernant Bernard Preynat, le parquet de Lyon en a ouvert une autre pour "non-dénonciation" des faits et "mise en danger de la vie d'autrui". Et, selon les informations du "Parisien", Pierre-Emmanuel Germain-Thill s'apprête à porter plainte, cette fois contre l'actuel archevêque de Lyon Philippe Barbarin, qui, insiste-t-il, "a eu connaissance du passé du prêtre mais n'a rien fait, l'a laissé en poste jusqu'en 2015".

Directement mis en  cause dans cette affaire, le Cardinal, tête de file lors des manifestations contre le mariage pour tous et l'adoption des couples de même sexe, pour la défense des enfants, assurait-il, refuse pourtant de démissionner. « Si je suis fautif, si je suis “occasion à scandales”, alors là on verra. La justice va faire son travail », a t-il déclaré dans une interview au Parisien. « Je pense aux victimes tous les jours », ajoute Philippe Barbarin, assurant « porter les souffrances terribles provoquées par ce prêtre ».

avec source : Céline Rastello

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