Pas d'âge pour essayer:
En 1948, lorsqu'il découvre vraiment la sodomie, Marcel Jouhandeau a dépassé la soixantaine et une longue vie de relations
homosexuelles sans pénétration.
Le mauvais jour au mauvais endroit :
Une expérience malheureuse à l'âge de 23 ans l'en avait dégoûté : "Hélas ! j'en fus plus d'un an malade et une sorte d'horreur de ce geste
m'empêcha toute ma vie de le considérer comme agréable."
Privé de cette source de bonheur et d'épanouissement, l'écrivain abordera l'homosexualité qu'il vénère dans tous ses livres * plutôt
sous l'angle de la passion amoureuse, que de la sexualité en tant que telle, jusqu'au crépuscule de sa vie.
PRECURSEUR
« Oui, sans la moindre hésitation, je rends grâce à l' « homosexualité », parce qu'elle a rendu ma vie pathétique, tragique, parce que
c'est à partir du jour où j'ai découvert en moi cette « étrangeté », dont personne n'avait fait état encore (Gide ni Proust n'avaient encore écrit), que j'ai dû spontanément et seul inventer de
toutes pièces, à mon usage privé, une [façon de se comporter]. »
RICHARD :
« Ses poils dessinaient sur ses cuisses dorées des roses noires comme on en voyait semées sur les cuisses de Malatesta, comme en porte
le pelage des panthères, et c'est au moment où je le lui fis remarquer qu'il s'est jeté sur moi, en me mordant l'épaule. Vainement je cherchai à me défendre, il m'avait retourné sens dessus
dessous et son visage contre ma nuque s'y imprimait si bien que c'était mieux le voir que si je l'avais regardé face à face,quand tout d'un coup, mais comment cela s'était-il fait, je me sentis
sailli par son dard. Alors, comme il me tenait, sûr que je ne me déroberais plus à sa possession, sa bouche m'apparut sous mon bras sensuelle, succulente, une grenade entr'ouverte. De douceur
plus suave et de douleur plus cruelle, je n'en avais jamais ressenties à la fois. Il m'était bien égal de vivre ou de mourir et je le lui dis, tant le supplice et le plaisir s'exaltent l'un
l'autre. Je finis par oublier le supplice pour le plaisir. »
LES "ESCORTS " DE L'EPOQUE AVAIENT CE LOOK :
LA BAISE : UNE AVENTURE, UN MYSTERE
« "Ce soir, il allait répandre sa semence, la curiosité lui a pris de se voir en moi, de mesurer de l'œil notre jointure, sa puissance et la
longueur de sa portée, mes profondeurs aussi. Alors comme il s'écartait et se penchait sur ma croupe, j'ai aperçu de profil, en me retournant, son poitrail de lion, ses seins lourds, si gonflés
par la jouissance qui approchait, qu'ils partageaient, qu'une goutte de lait gicla d'un tétin. Non, rien ne pouvait, parmi la confusion de nos formes, m'émouvoir plus que de surprendre toutes ces
érosions à la fois, dont les cataclysmes seuls qui changent le cours des humeurs dans la nature peuvent donner une idée. Cela éclate subrepticement et
vous voici de fond en comble bouleversé, transmué. Sans doute, pour qu'il en soit ainsi, faut-il ne pas tricher, ne pas traiter le plaisir légèrement, mais comme une initiation constante et
constamment renouvelée, aux mystères les plus sacrés. »
« Il ne me prend qu'agenouillé, mes jambes passées autour de son cou. Ainsi son visage demeure exposé au-dessus de moi, les paupières baissées,
jusqu'au moment où le bonheur le saisit et m'envahit. Alors il ouvre ses yeux, tout grands, de grands yeux couleur de pervenche, dont la tendresse à ce moment-là est d'autant plus poignante que
sa bouche cruellement se chiffonne,se rétracte, un peu comme l'huître encore vivante, quand on la dérange dans son repaire. Après, je n'ai qu'à lui parler de ce regard et de cette grimace pour
qu'il sourie, mais comme le paraissent faire seulement les animaux endormis au rappel en rêve de la volupté." »
«Dès que je vais être prêt, il vient me chercher, m'attire à lui et je commence à trembler, à geindre de peur, à supplier qu'il me ménage, qu'il ne
soit pas brutal, trop dur, comme le volatile, que guette un vautour ou le couteau du sacrificateur. Alors, il me donne de doux noms par monosyllabes ensalivés, dont je comprends moins le sens (il
parle un argot à lui) que la gentillesse volontaire ou l'ironie, quand il ne les pimente pas tout d'un coup de grossièretés, cette fois claires, ou de quelque menace qui me glace de terreur. En
même temps sa main me touche au bon endroit, sa caresse m'excite et m'apaise, il m'entoure peu à peu la taille de son bras massif qui pèse sur ma hanche et tout d'un coup me ceinture et me broie.
Son visage s'éclipse, je le sens descendre le long de mes reins,à la recherche de profondeurs qu'il visite comme chez lui. Au passage de son doigt, puis de sa langue, je m'épanouis. La confiance
naît. A peine ai-je senti sa chaleur installée en moi, son visage remonte des abîmes. Comme s'il frôlait chacune de mes vertèbres l'une après l'autre au passage et c'est quand il me mord la nuque
et que je sens son corps allongé le long du mien, ses tétins sensibles au-dessus de mes épaules, que la pointe carrée de son phallus, battant mes fesses, comme exprès pour me faire éprouver sa
raideur, hésite encore une fois sur le seuil et enfin me pourfend. Bien en selle, après une longue promenade au trot, d'un coup de rein, il me retourne et mes jambes passées comme un collier
autour de son cou, je peux contempler, entre ses deux épaules qui me cachent toute la pièce, une Face de Titan maussade qui se balance, passant de l'insulte la plus cruelle à la câlinerie, d'une
expression de douleur à la béatitude, avant de se fondre de bonheur. Sa bouche à la mienne attachée, nos yeux se ferment en même temps que sa sève brûlante m'inonde et que la mienne se répand
entre nos deux cœurs, débâcle saluée par des râles sans fin, comme il n'arrive qu'aux bêtes fauves qui s'accouplent dans les forêts." »
«Le moment le meilleur est peut-être celui de l'attente à genoux, sans voir ni savoir ce qui se passe derrière soi. Rien de plus émouvant que
l'approche du pénis, avant l'attouchement. Douceur de l'hésitation du membre au bord des lèvres qui se rétractent et peu à peu se détendent, comme pour aller au-devant de ce qui va les
élargir, en les déchirant. Deux bras déjà vous ceinturent. Tu ne fuiras pas. La pénétration est d'abord douleur, cependant que l'agitation du fer lui permet de prendre sa place dans le fourreau
qui, dépliant une à une ses mailles, épouse plutôt la forme de ce qui le remplit qu'il n'impose la sienne, jusqu'au moment où la vulve, béante de délectation, se lisse et s'oint elle-même. Alors
le glissement de pénible qu'il fut d'abord se change bientôt en la plus voluptueuse et comme intérieure caresse. »
« Pierre seul a su faire suivre son balancement rythmé d'une extase encore plus complète : c'est quand, son ventre ayant touché mes
reins, nos toisons mêlées, il a pris en moi sa place, où il reste longtemps immobile, si tendu que le gland se gonfle à l'intérieur et par son propre battement, par sa seule vibration parvient à
l'orgasme. Alors averti par son cri, à peine me suis-je senti tout d'un coup inondé de sa chaude liqueur, il en profite, humecté, pour s'avancer encore plus loin, de cachette en retranchement
jusqu'à ce que ce soit à moi de crier, en même temps que sous l'effet de la jouissance, tout en moi se resserre, comme une coulisse sur son phallus que je retiens mon prisonnier et fous d'une
mutuelle reconnaissance, nous tombons enlacés sur la couche et nous endormons. »
* LIVRES : L'homosexualité, centrale dans sa vie, n'est que peu à peu abordée, d'abord par des allusions dans son Eloge de
l'imprudence (1931), puis de façon de plus en plus claire dans De l'abjection, paru anonymement en 1939, réédité en 1951 avec son nom d'auteur.
Suivront Chronique d'une passion (1944), Les funérailles d'Adonis (1948) ou L'école des garçons (1953) et Du pur amour (1955). Avec Tirésias, paru anonymement
en 1954 dans un tirage de 150 exemplaires, qu'il aborde le sexe entre hommes
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