Partager l'article ! PROCTOS' 3.«L'anus est un organe humain merveilleux par sa beauté d'action –les gays sont bien placés pour le savoir–: et il est&nbs ...
et il est injuste de mal considérer les praticiens qui se chargent du bon fonctionnement de cette partie
anatomique.
....(fake).
«Vous savez, docteur, je viens à reculons… – Justement, c'est par là que je vais ! » lol
Proctologue… et alors ?
Jean-Luc Saint-Martin
Il existe un certain nombre de topics dont le sujet est l'anus et ses plaisirs sodomites. Soit. Ici, ce n'est pas le sujet (ce n'est pas qu'on se
fout de savoir de quelle manière il faudrait pénétrer son copain de telle sorte que celui-ci jouisse le plus possible, mais un peu quand même). Ici, on parle de proctologie. Le badaud sera très
certainement interloqué de ce mot : « C'est quoi cette merde ? », demandera-t-il. Heureusement, le Larousse est là pour lui répondre : c'est une branche de la gastroentérologie spécialisée dans
la pathologie du rectum et de l'anus. Oui, ça donne envie…
La meilleure personne pour nous parler de cette médecine est, bien évidemment, celui qui la pratique, c'est-à-dire un proctologue. En voilà un qui a
écrit un livre sur son métier : il se nomme Jean-Luc Saint-Martin et son « hommage », comme le revendique la couverture bleue, porte le titre interrogatif Proctologue… et alors ?
Oui : et alors ? Dans l'esprit de nombreuses personnes, la proctologie, parce qu'en rapport avec l'anus donc avec la défécation, est une science
dégueulasse. Mais ce n'est pas le cas, la proctologie n'est pas un sous domaine de la médecine. L'anus est un organe humain merveilleux par sa beauté d'action –les gays sont bien placés pour le
savoir– et il est stupide de mal considérer les praticiens qui se chargent du bon fonctionnement de cette partie anatomique.
Ainsi Jean-Luc Saint-Martin (JLSM) cherche-t-il à démystifier la croyance d'une médecine malpropre dans son livre. Parce que je pense que ce bouquin
est intéressant, très utile et devrait être davantage connu –surtout par les très stimulés anaux que sont les homosexuels–, ce topic est l'occasion de vous en présenter quelques
extraits.
Aujourd'hui, l'extrait retranscrit concerne l'exercice du métier de proctologue, la relation qui s'établit entre le médecin et le patient, et le
déroulement d'un examen.
« Vous savez, docteur, je viens à reculons… – Justement, c'est par là que je vais ! »
Notre parcours commun débute dans la salle d'attente. « Salle » évoque plus un hall de gare qu'un salon douillet, quant à « attente », le mot est
bien mal adapté, car il s'agit seulement que l' « attendant » passe du statut de patient à celui de souffrant, cet autre moi-même qui est, provisoirement, de l'autre côté de la
barrière.
A l'appel de son nom –ainsi livré en pâture à la curiosité des autres patients– il ou elle se lève, range la revue distraitement feuilletée et
s'avance vers moi. Je lui tends la main en souriant, et me présente (« C'est bien lui… et non un remplaçant ! »). « Enchanté(e) ! »…, ce n'est pas si sûr.
Commence alors un bout de chemin partagé, plus ou moins long, jusqu'à la guérison si possible, parfois à l'échec, exceptionnellement à la mort. Bien
sûr, on ne pense pas toujours cela, heureusement, mais c'est bien cette angoisse qui sous-tend, plus ou moins consciemment, cette première démarche. Quoique de manière différente, elle est
ressentie par le soignant comme par le soigné.
Le toucher d'abord : le soignant perçoit la main douce ou calleuse qui donnera une idée de la profession, donc de la situation
sociale ; sèche ou moite elle traduira le degré d'anxiété, ferme ou molle elle témoignera du caractère, fugace (« je me méfie ») ou insistante (« j'espère que vous me
soignerez bien »), parfois pas de main du tout (« excusez-moi, docteur, je ne serre jamais les mains, j'ai peur d'attraper des microbes »), c'est son droit, et puis un protologue,
on ne sait jamais…
Les yeux, c'est pour un peu plus tard, il ne fait pas toujours bien clair et déjà je m'efface pour indiquer le chemin.
Souvent le patient accompagné de son conjoint, d'un parent ou d'un enfant, demande si ce dernier peut assister à la consultation, ce qui paraît tout
à fait normal. Lorsque c'est l'accompagnant qui demande s'il peut venir, j'acquiesce à la condition que le consultant soit d'accord, mais je sens parfois que cela ne lui plaît pas, sans qu'il ose
le dire. Il m'arrive, lors d'une deuxième consultation, de prier le même accompagnant de rester dans la salle d'attente, si j'ai ressenti lors du premier entretien le désir du patient de me
parler en privé, ou parce que j'ai des questions très personnelles, nécessaires au diagnostic, donc au traitement, à lui poser. Assez souvent, le patient m'en remercie dans le bureau, surtout les
jeunes majeurs qui trouvent leurs parents vraiment trop « lourds » ! Le secret professionnel existe même pour un mineur et après tout rien n'oblige à demander la carte d'identité pour
connaître l'âge du patient !
Il arrive que je me trompe ; si l'accompagnant, mari ou femme la plupart du temps, s'étonne a posteriori, le patient peut répondre qu'il ne comprend
pas pourquoi j'ai opté pour cette démarche singulière qui lui a été imposée.
En entrant dans le bureau, le patient se dirige parfois directement dans mon fauteuil, pourtant peu accessible, ce qui en dit long sur le refus
inconscient de cette mise en condition d'infériorité… ou simplement à quel point il est perturbé. Je lui explique alors en riant que je veux bien qu'il s'assoie à ma place, mais que je ne
prendrai pas la sienne sur la table d'examen. Sa confusion s'estompe vite devant ma décontraction, confirmée par ma tenue vestimentaire : jeans hiver comme été –moto oblige–, t-shirt ou torse nu
sous la blouse blanche selon la chaleur. La cravate c'est bien aussi mais ça serre le cou. Quant au nœud papillon, qui impose une distance infranchissable au commun des mortels, à la
limite du mépris, je l'écarte systématiquement.
Rapidement, sur le clavier de l'ordinateur, la fiche d'état civil. Une longue pratique permet alors de regarder en même temps le patient, toujours
souriant, bien droit dans les yeux.
L'informatique c'est formidable. Vingt ans d'usage permettent de gagner énormément de temps pour en consacrer davantage au malade : saisir tous les
renseignements et résultats d'examens complémentaires, délivrer des ordonnances lisibles, envoyer une lettre au médecin de famille à chaque consultation.
Du regard, je lui dis de ne pas avoir peur. Dans le sien qu'il m'offre en échange je lis l'inquiétude ou la sérénité, et déjà l'interrogation sur
une éventuelle gravité. Dans des yeux qui fuient les miens passent la méfiance, l'opposition voire l'hostilité, comme si le patient me rendait responsable de sa présence ici. Cela ne durera pas…
Une fois, une fois seulement dans ma vie de proctologue, un patient agressif a jeté ses gants en peau de pécari sur mon bureau en disant : « Je ne sais pas pourquoi je suis là, les
proctologues, j'en ai vu plein et vous êtes tous des cons. » Sans doute fatigué, je me suis levé et l'ai raccompagné à la porte en lui disant que « le con le saluait bien ». Je ne l'ai
jamais revu et regrette mon attitude car son agressivité révélait sans doute une souffrance physique ou au moins morale importante. Je ne l'aurais peut-être pas guéri, mais j'aurais dû essayer,
l'écouter, l'examiner et peut-être le soulager partiellement ou l'aider à accepter sa situation si elle était incurable. Les médecins ne sont que des hommes un peu savants. Même dans les
circonstances parfois difficiles, j'ai toujours évité que cette scène ne se reproduise.
Je demande l'adresse : connaissant très bien les quartiers de la ville où j'exerce ainsi que la plupart de celles des environs, cela me permet
d'approcher la situation sociale. Je demande au patient s'il est marié, s'il a des enfants –« Qu'est-ce que ça peut lui faire ? »–, à cause des maladies contagieuses, bien sûr ; sa
profession –« Il veut me prendre un gros dépassement »–, à cause des métiers à risque. De toute façon, je les repère, les riches patientes bronzées dont les bagues enlevées avant la
consultation n'ont pas effacé les petits cercles blancs sur leurs doigts, surtout l'été (bien que l'hiver, avec les UV...).
Je me renseigne sur les antécédents familiaux, chirurgicaux, médicaux, sur les traitements en cours, etc., tout en observant l'attitude du patient :
bloqué au fond du fauteuil, les mains posées sur les accoudoirs, prêt à bondir dehors tellement il ne se sent pas bien ici ; ou les jambes qui n'arrivent pas à trouver leur place
–la moquette doit être de bonne qualité tellement les pieds raclent– ou penché en avant ou faussement décontracté, un coude sur le bureau, voire les deux ; ou le mari qui ne lâche pas la main de
sa femme pendant toute la consultation –je ne vais pas te la piquer, ta gonzesse ! Assez souvent le patient prend la parole immédiatement ou m'interrompt pendant que je prends ces renseignements.
Il s'est souvent mentalement entraîné à l'avance pour ne rien oublier, ou peut-être craint-il de ne pas avoir le courage de tout me dire. Je préfère le laisser parler ; les formalités
administratives peuvent bien attendre la fin de la consultation.
Quand il ne dit rien, je pose la question : « Qu'est-ce qu'il vous arrive ? », toujours avec mes yeux qui disent que mes oreilles peuvent
tout entendre, que tout peut se dire, que le corps est beau et que rien n'est sale, ni honteux. Ce moment est le plus important de la consultation : si l'on prend le temps et le soin
d'écouter, en demandant des détails précis sur les symptômes et leurs circonstances de survenue, en faisant répéter, en orientant les questions ou en les posant différemment si elles ne sont pas
comprises, en prononçant très directement et parfois crûment les mots les plus intimes, le diagnostic est connu deux fois sur trois, avant même l'examen.
Il faut toujours garder en tête la répugnance fréquente du patient à parler de l'intimité de son corps, de son anus qui saigne ou le fait souffrir,
de ses excréments, de sons incontinence, de ses pratiques sexuelles, de sa peur du cancer. Il est important de lui poser des questions auxquelles il pourra répondre simplement par oui ou par non,
sans avoir à prononcer les mots qui le dégoûtent ou lui font peur.
Sans impatience, on laissera aller les bavardages, par exemple : « C'était à la Pentecôte quand nous sommes allés chez une cousine en Bretagne,
celle qui s'est cassé le col du fémur parce que vous savez docteur, là-bas, les femmes ne prennent pas d'hormones, et notre voiture est tombée en panne sur l'autoroute… alors mon mari a appelé la
dépanneuse et c'est là que j'ai eu envie d'aller aux toilettes et comme il n'y en avait pas il a fallu que je me retienne, et c'est seulement quand j'ai pu y aller au bout d'une heure, au garage
où nous a emmenés la dépanneuse, etc. etc. ». Ces bavardages permettent de se libérer de l'angoisse et d'en arriver au fait : « … et c'est là que j'ai eu comme un coup de couteau dans le
rectum ! ».
Là encore, l'accompagnant peut perturber l'échange, en intervenant fréquemment, voire en répondant systématiquement à la place du patient : «
Mais non, Denise, tu sais bien que tu ne vas pas à la selle tous les jours », ou « Il vous dit n'importe quoi, docteur, il passe au moins une demi-heure dans les WC le matin » ; ou encore : «
C'est moi qui tire la chasse car Roger est daltonien, eh bien !, je vous assure que j'ai vu du sang. » Parfois j'assiste à une véritable scène de ménage, sans intervenir pendant un certain
temps si j'estime qu'elle peut être bénéfique : peut-être est-ce là une des rares occasions où le mari et la femme peuvent se dire vraiment ce qu'ils pensent, devant un témoin neutre. Quand j'en
ai assez, je demande d'un air idiot qui des deux consulte, enjoignant à l'autre de le laisser parler et cela suffit en général.
Il y a enfin l'hypocondriaque obsessionnel, qui consigne tous ses symptômes à la main ou avec son ordinateur, sur de grandes pages bien
remplies, qui trace des courbes, des cases avec des petites croix dedans en fonction de la fréquence de ses selles, de leur couleur, odeur, consistance, voire même qui en apporte un
échantillon dans un pot à confiture –« le docteur est habitué, Germaine ! »–, ou sur du papier hygiénique, pour que je puisse le regarder. Il me lit tout, ne m'épargnant aucun détail. Il
arrive quand même que je l'interrompe au bout de dix minutes, lorsque j'en ai assez entendu pour savoir que cela n'aidera pas au diagnostic.
Je note au fur et à mesure les réponses. Le logiciel étant bien conçu, les réponses les plus fréquentes à chaque symptômes sont mémorisées et d'un
clic discret inscrites dans le dossier. Quand nous avons fait le tour du problème, je propose au patient de passer dans la pièce attenante pour l'examiner.
Ceci pour la première consultation, qui est nécessairement longue. Lorsque le patient revient, parfois après plusieurs années, je relis le dossier
complet à haute vois pour qu'il sache que tout est enregistré et il ne reste qu'à ajouter les éléments nouveaux de sa vie médicale ainsi que les troubles qui l'amènent à consulter de nouveau. Le
temps de l'examen est alors venu.
« C'est une drôle de façon de s'envoyer en l'air ! »
D'abord le passage par le vestiaire. Il est sobre : un tabouret, un porte-manteaux, un miroir et… un chausse-pied, petit objet très apprécié des
patients et souvent perçu comme une délicate attention. Il a été volé une fois, remplacé, et depuis, il y en a toujours un en réserve. Au début de mon activité, j'avais même fait les frais d'un
tire-botte ; en effet, il n'était pas rare que les patientes me demandent de les aider à les enlever, car portées à l'époque très serrées, elles les empêchaient d'ôter leurs collants.
Heureusement, elles ne sont plus à la mode. On peut y voir ainsi un des rares avantages du réchauffement de la planète, la raréfaction de la couche d'ozone m'évitant ainsi une situation un peu
ridicule, voire cavalière !
La plupart du temps les patients savent ce qu'ils ont à enlever. Mais il arrive parfois qu'ils enlèvent le haut et gardent le bas, réflexe pudique
et acte manqué sans doute, mais pas bien pratique. Parfois le consultant est entièrement nu, un homme généralement, quoique… Cela me gêne toujours un peu : j'ai l'impression d'une sorte de rite
de soumission qui m'oblige à participer à son intimité plus qu'il n'est nécessaire. Parfois, sans les faire déshabiller, j'opte pour un examen « à la hussarde », soit parce qu'il s'agit d'une
simple vérification opératoire, soit parce que c'est l'été et qu'il n'y a qu'une robe légère à soulever ou un short à baisser… Ou alors, lorsque le patient est une religieuse. Il est vrai que ces
dernières sont souvent âgées et très pudiques : alors, une fois installées, il faut soulever la lourde robe, la petite laine, la combinaison, et enfin baisser la culotte, juste ce qu'il faut pour
avoir accès à la seule partie qui m'intéresse sans exposer le reste. Certaines patientes plus jeunes –ou peut-être coquines– gardent leur body (que je leur laisse le soin de dégrafer), ou leur
string, que je suis bien obligé de leur demander d'enlever si je veux éviter des manœuvres compliquées pour permettre un accès aisé à mon index ou à mes instruments. Une patiente élégante gardait
sa jupe et la rabattait sur sa tête pendant l'examen. Elle a répondu à mon étonnement que, quelqu'un pouvant rentrer à l'improviste, elle voulait bien que l'on voie ses fesses, mais pas la tête
qui allait avec. Un autre problème est celui des règles, les patientes étant souvent gênées de consulter à ce moment-là, au point qu'elles téléphonent parfois pour décaler leur
rendez-vous. Les secrétaires ont pour consigne de n'en rien faire en expliquant que cela n'a pas d'importance. Lors de la consultation, quand elles le signalent avant de se dévêtir, je
leur dis de garder leur slip et ne dénude que la partie nécessaire pour l'examen de manière à ménager leur pudeur. Souvent je leur rappelle que le sang des règles n'est pas sale et que c'est
grâce à cela qu'elles nous font de beaux bébés. Enfin elles démontrent généralement une grande habileté pour cacher la petite ficelle de leur protection interne dans les plis
vulvaires.
Une patiente un peu confuse m'a déclaré en sortant du vestiaire qu'un patient avait oublié quelque chose. J'y ai trouvé, pendu aux patères, un
magnifique slip kangourou, heureusement propre, que le patient précédent avait oublié de remettre. Je le lui ai renvoyé par la poste accompagné d'un petit mot gentil.
Je suis seul avec mon patient ou ma patiente. Lorsqu'un accompagnateur, parent ou conjoint, est entré avec nous dans le bureau, je n'aime pas qu'il
assiste à l'examen, moment trop intime pour admettre la présence d'une tierce personne qui risquerait de modifier les sensations du malade en augmentant son angoisse ou sa honte. Même si
l'intention de départ est louable, par exemple pour tenter de rassurer le patient en lui prenant la main, j'accepte seulement lorsque ce dernier en fait la demande, sachant que ma relation avec
lui est faussée. Assez fréquemment les femmes me demandent de fermer la porte de communication quand leur mari est assis à côté. Je n'ai cependant jamais été agressé, contrairement à un
confrère gynécologue qui s'est pris un bon coup de poing dans la figure de la part d'un mari jaloux qui n'avait pas supporté de le voir faire un toucher vaginal à sa femme ! Il arrive
par ailleurs de temps en temps que l'expression de la douleur soit excessive devant le conjoint, soit pour se faire plaindre, soit pour des raisons plus obscures qui gênent l'examen ou l'acte
thérapeutique. Avec les tout-petits, je laisse toujours les mamans entrer, surtout pour les rassurer elles-mêmes, du reste. A partir de quatre ou cinq ans, cela se passe généralement très bien
avec les enfants, souvent moins angoissés quand la maman reste à côté dans le bureau, à portée de vois. Cela n'empêche pas certains conjoints, voire des mères abusives, de venir regarder
subrepticement par-dessus mon épaule pendant que j'examine leur « moitié »…. ou leur grand fils de vingt-cinq ans ! Ils sont alors poliment mais fermement priés de regagner leur place.
Quand le patient (le plus souvent une jeune mère) vient accompagné par un ou deux enfants, ces derniers veulent en général rentrer dans la salle
d'examen, et je lui conseille alors de les laisser faire. En effet, non seulement les petits ne sont pas du tout surpris que le docteur examine le « cucu » de papa ou maman –car
ils n'ont pas encore de tabou important– mais constatant qu'il n'y a pas de réaction inquiétante aux soins, voire à une piqûre, ce qu'ils enregistrent inconsciemment, pourra leur être bénéfique
quand éventuellement viendra leur tour plus tard.
Les mamans transportent parfois leur bébé dans son landau ou son petit siège. Cela me ravit toujours. Comme le bébé pleure invariablement quand il
ne voit plus sa maman, je l'installe à l'entrée de la salle d'examen pour qu'il ne la perde pas de vue.
Il est plus difficile d'accueillir des stagiaires, étudiants en médecine ou médecins qui veulent parfaire leurs connaissances en proctologie, en
cabinet privé qu'à l'hôpital, car les patients souhaitent justement échapper à la présence de « carabins » autour d'eux lors de l'examen. Quand le patient entre dans le bureau et découvre le
stagiaire en blouse blanche, je le lui présente en expliquant le motif de sa présence et lui précise qu'il a le droit de la refuser sans que cela ne vexe personne. Neuf fois sur dix, le patient
accepte de bonne grâce, sinon le stagiaire sort du bureau et va boire un café.
[Ici, l'auteur introduit une digression sur la proctologie aux Etats-Unis et les soucis pénaux auxquels les praticiens sont parfois confrontés.
Comme ce n'est pas tout à fait le sujet, passons.]
Le patient n'a que trois pas à faire pour atteindre la table d'examen. Je ne le regarde jamais quand il sort du vestiaire afin de ménager sa
dignité. Je le convie à s'agenouiller sur une tablette à l'aide d'un escabeau de deux marches, le ventre bien appuyé sur une barre rembourrée (la tablette est réglable en hauteur), les
coudes ou la poitrine plus loin et en position plus haute que les genoux, dite « genu-pectorale ». La barre est très précieuse car elle permet, en cas de malaise vagal, voire de perte de
connaissance –plus souvent due au stress qu'à la douleur– que le patient ne tombe pas de la table. De plus, elle prévient tout mouvement de « fuite » en avant, qui lors d'un geste thérapeutique
pourrait provoquer une complication.
Cette barre est gênante chez la femme en fin de grossesse, et comme elle n'est pas amovible, le Vidal, placé sous les genoux, s'avère alors
très utile : l'énorme quantité de médicaments disponibles en France permet de gagner presque dix centimètres pour passer le ventre gravide.
Il est très inconfortable pour le patient, notamment âgé ou handicapé, d'être examiné sur une table classique, haute et horizontale ; hélas, c'est
pourtant celle qu'utilisent les généralistes et la plupart des gastro-entérologues qui font de la proctologie, contraignant le patient à se maintenir en équilibre précaire sur les coudes te les
genoux.
Enfin, dernier raffinement, une fois le patient installé et après l'avoir prévenu : la pression sur une pédale fait basculer la table
d'environ trente degrés vers l'avant de manière à amener ses fesses au niveau de la tête de l'examinateur qui peut ainsi pratiquer son examen debout et non plié en deux, ce qui lui évite
le lumbago en fin de journée.
Pour l'anecdote, en Grande-Bretagne aujourd'hui encore et malgré l'aspect très peu pratique et source de difficulté diagnostique et thérapeutique ;
les patients sont parfois examinés couchés sur le côté, un « champ » (pièce de tissu) troué dissimulant le reste du corps.
Cette position surprenante provoque parfois des commentaires de patient : « A genoux, le bon Dieu passe », ou « Est-ce que la table est tournée vers
La Mecque ? », voire l'énoncé du sous-titre de présent chapitre ! A chacun sa religion. Sa position génère souvent chez le patient une gêne importante qu'il exprime de temps en temps : « j'ai
vraiment honte de me montrer ainsi », tout comme il peut ressentir de la honte à montrer cet organe « malpropre ». Pour le mettre à l'aise, je lui explique que ce dernier n'est pas plus sale
que sa bouche ou ses oreilles. Parfois, pour l'amuser, il a droit à l'histoire des organes qui se réunissent pour élire un roi :
- Le cœur dit aux autres organes : c'est moi qui vous nourris tous en oxygène, alors je veux être roi.
- Le poumon : c'est moi qui purifie votre sang, je suis candidat.
- Le cerveau : mais c'est moi qui régule votre fonctionnement à tous je dois être le roi.
- Les jambes : c'est moi qui vous porte où vous allez, etc.
Quand l'anus pose sa candidature, tous les autres s'esclaffent tant qu'il se vexe, se met alors en grève… et est élu roi au bout de quelques
jours.
L'examen peut commencer. C'est le moment le plus délicat de toute la consultation. J'explique qu'il ne sera en principe pas douloureux, mais que si
tel devait être le cas, je ferais alors une anesthésie locale. J'annonce et commente chacun de mes gestes, l'écartement de la marge anale, la lubrification du canal anal, l'index muni d'un
doigtier latex enduit d'un gel anesthésique, l'introduction de l'anuscope. Je donne le diagnostic, et propose le plus souvent un traitement immédiat, voire un simple traitement médical, ou au
contraire une intervention chirurgicale. Dans la première hypothèse, je décris les gestes à venir. Rares sont les patients qui refusent de savoir et préfèrent subir sans se préparer
psychologiquement. Ma main gauche est très souvent posée sur la fesse gauche du patient pour le rassurer, faire passer –peut-être– des « ondes » que l'on ne connaît pas encore
mais qui lui expriment ma compréhension de ce qu'il ressent, pour le décontracter afin qu'il cesse de serrer les fesses car le geste peut alors être douloureux. L'anesthésie locale, quand elle
est nécessaire, est pratiquée avec les très fines aiguilles utilisées par les chirurgiens-dentistes et que j'ai adoptées dès le début de ma pratique de ville ; à l'époque de mon apprentissage, je
l'ai vue faite à l'hôpital avec de grosses aiguilles pour intramusculaires, bien traumatisantes. Je ne sais pas ce qu'il en est maintenant.
Chaque fois que le geste est douloureux, notamment pour l'anesthésie, ou lors d'une sclérose qui n'en nécessite pas, je prie le patient d'expirer
profondément et pique en fin d'expiration lorsque la douleur est bien moins perçue. Le réflexe physiologique de bloquer le souffle en inspiration est source d'une sensation beaucoup plus
désagréable, voire d'un malaise vagal. Les femmes qui ont accouché savent cela. Du reste, à propos de la santé en général, les femmes sont beaucoup plus faciles à soigner que les hommes,
lesquels sont dans la majorité des cas plus pusillanimes et n'acceptent pas comme elles l'idée d'être malade, ni le dépistage, ni l'examen intime, ni la douleur. Un homme qui s'est
évanoui une fois sur ma table avant même le début de l'examen a dû prendre un anxiolytique puissant avant de revenir me consulter. Il m'est arrivé face à l'impossibilité, malgré plusieurs
consultations successives, d'examiner un malade de lui prescrire un traitement en fonction d'un diagnostic hypothétique fondé uniquement sur la description des symptômes. La peur panique ne se
contrôle pas et il ne faut surtout pas montrer des signes d'impatience qui ne font qu'aggraver les choses. Ce genre de comportement relève d'un passé douloureux remontant parfois à la petite
enfance. Il n'y a que quelques années que l'on prend en compte la douleur du nouveau-né et du petit enfant, qui ne peut s'exprimer que par des cris.
Les gestes thérapeutiques ne nécessitant pas d'anesthésie locale sont peu douloureux par la suite, et le patient est le plus souvent en mesure de
retourner à son travail ou de rejoindre son domicile au volant de sa voiture. Quand une anesthésie locale est pratiquée, pour enlever une thrombose hémorroïdaire par exemple, la douleur réapparaît au bout d'un quart d'heure, et je conseille au patient de
prendre deux comprimés d'un antalgique que je lui prescris.
Si le patient souffre trop pour supporter l'examen au cabinet, il faut alors le pratiquer en urgence, le jour même ou le lendemain, sous
anesthésie générale ou rachidienne, ce qui permet de poser le diagnostic et de pratiquer en même temps le traitement chirurgical adapté puisqu'il s'agit la plupart du temps d'une fissure
anale, d'un abcès profond, ou d'une très forte crise hémorroïdaire.
Je suis toujours agréablement surpris par la propreté des patients qui se lavent souvent avant de consulter, même si cela paraît la moindre des
politesses –« Docteur, je me suis nettoyé le derrière avant de venir, pour que vous l'ayez propre ! » Parfois, venus directement du travail, ils s'excusent alors qu'ils ne sont pas
sales, révélant tout au plus un peu de transpiration. Les personnes âgées et incontinentes sont souvent souillées et honteuses, mais je les rassure en leur affirmant que cela ne me dérange pas,
même s'il peut s'agir d'un me songe pieux, parce que parfois !... En revanche, contraint d'avoir le nez au-dessus des pieds, s'il m'arrive de constater qu'ils ne sont parfois pas aussi propres
que l'anus, je m'arrange à la consultation suivante pour ne pas leur faire ôter leurs chaussettes.
Et pendant tout ce temps, la musique. La radio, branchée sur une fréquence de musique classique, fonctionne du matin au soir dans le cabinet
d'examen. De nombreux patients ne s'en aperçoivent qu'à la deuxième, voire troisième consultation quand celle-ci est nécessaire, car ils sont plus décontractés. De plus, cette ambiance sonore ne
peut que contribuer à mettre un peu de poésie dans une activité somme toute très pragmatique ; j'apprécie beaucoup d'examiner mes patients en écoutant le Miserere d'Allegri ou une cantate
de Bach. L'harmonie des sons répond parfaitement à la belle organisation du corps humain.
Trente années de pratique médicale n'ont en rien altéré cette admiration, et même, j'ose le mot, cet émerveillement qui est le mien devant la
perfection et la complexité de cette organisation qui, à partir de l'échelon moléculaire, permet toutes les combinaisons, tous les enchaînements, tous les réflexes que l'on peut observer dans les
règnes animal et végétal et nous sommes loin d'avoir tout découvert. Le résultat de cette admirable alchimie, qui fait intervenir des millions de réactions, parfois de façon simultanée, est la
pérennité de l'espèce. Au sommet de cette organisation se trouve l'homme, dont le cerveau est le plus abouti du règne animal. Je dis bien le résultat et non le but qui supposerait l'existence
d'une volonté, mais de qui et pourquoi ? Personne ne peut affirmer connaître la réponse. Alors contentons-nous d'admirer, de protéger et de transmettre…
Très rapidement, après quelques minutes seulement, l'examen et parfois le traitement sont terminés. Le patient est toujours agréablement surpris de
leur brièveté. Je baisse la table, l'aide en fonction de l'âge et du handicap à se relever doucement et il peut se rhabiller. Il arrive assez souvent que mon aide soit appréciée pour remettre des
chaussures ou raccrocher des bretelles dans le dos. Une fois où j'ai eu toutes les peines du monde à décoincer une fermeture à glissière qui s'était prise dans la doublure d'une jupe,
cela avait tourné à la franche rigolade !
Les explications complémentaires données souvent sous forme d'un petit croquis pour expliquer le geste pratiqué, l'ordonnance, le certificat et la
lettre au généraliste rédigés, on peut alors se livrer à des considérations plus générales, discuter un moment de la pluie et du beau temps, du métier, de la famille. Les explications seront
parfois beaucoup plus longues, qu'il s'agisse d'une maladie grave –j'en parlerai plus loin– ou qu'une intervention programmée nécessite que le patient comprenne bien ce que je vais lui faire. Là
encore, un schéma bien commenté vaut mieux qu'un long discours truffé de mots techniques incompréhensibles pour le patient. Il faut également veiller à ne pas trop en dire au risque de générer de
l'angoisse. Il arrive souvent que le patient me remercie pour toutes ces précisions et déclare ressortir du cabinet mieux informé sur sa maladie. Il n'est certes pas question de résumer en
quelques minutes des années d'études, mais c'est la moindre des choses que de partager un peu de ce savoir. Il faut garder l'esprit qu'en France les études de médecine sont gratuites,
qu'elles coûtent à la collectivité plusieurs dizaines de milliers d'euros par an et par étudiant et sont donc payées par les impôts du patient là en face de soi, et qui a en quelque
sorte droit à un « retour sur investissement ».
[Là, JLSM évoque la législation, la responsabilité et l'administration. Cela étant un peu barbant, nous coupons une nouvelle
fois.]
Enfin, je raccompagne le patient à la porte. C'est parfois seulement là qu'il ose poser la question qui le taraude depuis le début : « Ce n'est
pas cancéreux, docteur ? » Et c'est seulement à ce moment-là que je me rends compte que j'ai oublié de le dire. Il est vrai que la plupart du temps la pathologie est tellement bénigne à mes
yeux que je ne pense même pas à le rassurer sur ce sujet. Mais je ne peux le préciser systématiquement, car pour certains patients qui n'y pensent pas du tout le simple fait de prononcer le mot
peut l'amener à l'imaginer que j'ai une arrière-pensée. On ne fait pas toujours assez attention. Mais c'est encore pire pour le patient qui n'ose pas poser la question et qui repart avec la même
angoisse qu'à son arrivée : dans ce cas la consultation n'a pas tout à fait atteint ses buts : écouter, examiner, diagnostiquer, traiter mais aussi rassurer quand cela est
possible.
________________________________Ma bio______________________________
Le Dr Saint-Martin exerce la proctologie à Versailles depuis 35 ans. À sa technicité, il associe l'appréhension du patient dans sa globalité et dans ses angoisses, également dans ses non-dits,
tant il est vrai que l'anus est le réceptacle de beaucoup de manifestations psycho-somatiques. Il dédramatise les situations par l'humour, le regard, la légèreté du toucher et l'empathie. L'Homme
n'est pas qu'un corps qui souffre, il est aussi une âme à écouter.
Il a publié un essai aux éditions l'Harmattan, Proctologue... et alors ?, dans lequel il entend réconcilier le patient avec son corps et il explique toutes les affections proctologiques
et leur traitement.
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