TEMOIGNAGE - "Refuser de témoigner, ça signifierait que l'on a quelque chose à cacher. Or, nous n'avons rien fait de mal et nous souhaitons être transparents." Voilà pourquoi, en cette mi-octobre, Julien et Fabien* ont accepté de recevoir Le HuffPost dans leur charmant appartement du troisième arrondissement de Paris.
Une petite voix enfantine résonnera durant toute la durée de notre entretien. Cet enfant qui crie et joue aux côtés de sa grand-mère, c'est Mathilde, la fille que le couple a eu le 11 novembre 2011. Elle n'est pas née en France, où les deux hommes de 41 et 42 ans ont toujours vécu. C'est de l'autre-côté de l'Atlantique, dans une clinique américaine, que la jolie petite tête blonde a vu le jour. Au même endroit, deux ans plus tôt, les deux hommes avaient ouvert ce nouveau chapitre de leur vie.
"Nous sommes en couple depuis 2003 et, assez vite, nous nous sommes dit que nous voulions un enfant pour prolonger notre amour et transmettre les valeurs auxquelles nous croyons. Mais rapidement, nous nous sommes rendu compte que les options à notre disposition n'étaient pas nombreuses et que l'adoption, ce n'était pas possible", explique Julien. Même les démarches pour devenir famille d'accueil n'aboutissent pas. "On s'est entendu dire par les services sociaux que confier un enfant à un couple homosexuel ne ferait qu'ajouter des problèmes à une personne qui en a déjà", ajoute-t-il, toujours amer plusieurs années après. Reste la coparentalité mais l'idée de faire un enfant avec une amie n'a jamais séduit les deux hommes.
C'est finalement en mai 2009 que l'idée de recourir à une mère porteuse vient à faire sens. "Nous avons passé plusieurs mois à chercher des informations, recueillir des témoignages pour confronter nos points de vue. La conclusion était claire: nous avions toujours autant envie d'être parents et, encadrée, la gestation pour autrui (GPA) nous est parue la bonne solution", reprend Julien. Dès le départ, la Russie et l'Inde -deux pays où la GPA est autorisée- ne sont pas une option, car les parcours proposés ne correspondent pas à l'idée qu'ils se faisaient de ce projet. "On souhaitait quelque chose d'éthique, où la femme trouve toute sa place et que cela ne pose pas de problème pour rentrer tranquillement avec notre enfant", poursuit-il.
"95% des candidatures de mère-porteuse sont refusées"
Ce sera donc les Etats-Unis. Mais pas question de commencer une seule démarche depuis la France puisque dans l'Hexagone, tout acte ayant trait à la GPA est illégal. "Nous ne sommes pas des fraudeurs ; nous avons fait quelque chose de légal dans un pays où c'est autorisé", appuient les parents.
A l'automne, le premier voyage dure trois semaines, de New York à Madison (capitale de l'État du Wisconsin), en passant par Boston et Chicago. "Nous avions repéré trois agences qui nous paraissaient sérieuses mais nous avions besoin de confirmer notre perception. La première a été rapidement écartée car on a trouvé que c'était trop business. La seconde venait de se monter et ne nous a pas inspiré confiance. En revanche, nous sommes tombés immédiatement sous le charme de la troisième. Nous avons eu un bon contact avec les responsables qui parlaient un peu le français. On l'a choisie pour sa dimension humaine", confie Fabien. ->
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libertés :
ET AUSSI: a-t-on encore le droit de débattre de sujets comme
- la GPA ?
- la PMA ?
- la PROSTITUTION ?
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->Dans cette agence, assurent les parents, la femme doit déjà être mère et elle doit apporter la preuve qu'elle n'a pas besoin de cet argent (environ 15.000 dollars, ndlr) pour vivre. "95% des candidatures de mère-porteuse sont refusées", estime Julien. Dès lors, tout s’enchaîne très vite: en quelques jours, le couple monte un dossier dans lequel il se raconte en texte et en photos, expose ses motivations. Il faut également chercher la clinique où la fécondation in vitro puis l'insémination de la mère porteuse auront lieu. Direction Chicago pour rencontrer le médecin qui procédera aux opérations et déposer le sperme.
Son ticket d'entrée pour le paradis
Ce n'est qu'un an plus tard, en novembre 2010, que l'agence revient vers eux avec la nouvelle tant attendue: une femme a décidé de porter leur enfant. "C'est un truc incroyable qui se passe à ce moment là, le cœur bat à une vitesse incroyable", se souviennent les parents. Quelques échanges par mail puis c'est la rencontre de cette femme. "Nous sommes arrivés à Madison, nous l'avons rencontrée avec son mari et ça a été le coup de foudre", raconte Julien. Face au couple de Français, Melissa une enseignante de 35 ans et son mari Matt, ingénieur informatique, cadre supérieur chez un câblo-opérateur. Ils forment un couple uni, aux revenus très confortables qui a déjà trois enfants de 3, 5 et 7 ans. Une famille et une mère très loin de la caricature de la femme marchandise qui vendrait son corps pour vivre.
"Elle nous a expliqué que porter l'enfant pour un couple qui ne pourrait pas en avoir était la chose bien qu'elle ferait sur Terre, son ticket d'entrée pour le paradis", explique Julien évoquant les convictions religieuses du couple. "Elle devait le faire pour sa meilleure amie mais les psychologues lui ont déconseillé car il y aurait eu trop de proximité avec l'enfant. Alors elle s'est inscrite à l'agence et c'est à ce moment-là qu'elle a envisagé d'aider un couple homo", ajoute Fabien. Aussitôt cette première rencontre faite, les deux couples s'en vont passer quelques jours chez des proches de la famille américaine. "Nous avons vu tout le monde, les parents, les amis. Je peux vous dire qu'on a enchaîné les barbecues. Melissa tenait à nous présenter et elle voulait nous faire passer une sorte d'interrogatoire pour assurer son choix."
Un choix lourd: porter, durant neuf mois, un enfant qui ne sera pas le sien. "Mais là-bas, cela semble naturel. C'est leur coté charity (sic) qui est nettement plus développé qu'en France", reprend Fabien qui rapporte les réactions étonnées de ses interlocuteurs quand il leur expliquait que c'est interdit en France. "Ils ne comprenaient pas que ma sœur puisse me donner un rein mais pas porter mon enfant."
Avant la GPA, le choix de la donneuse
Quand sonne le départ, c'est le moment pour Melissa de commencer un traitement médical de trois mois pour s'assurer que tout va bien pour elle. Puis vient ce jour de février 2011, le 28 précisément. "On revient aux Etats-Unis pour trois jours, juste le temps de l'insémination. On ne lui a pas tenu la main mais c'était tout comme, nous étions dans la pièce d'à-coté", se souvient Julien.
L'embryon qui lui est implanté n'a rien d'elle. Il est le résultat de la fécondation d'un spermatozoïde du papa avec l'ovule d'une troisième personne, une autre Américaine. "Pour la donneuse, les seuls critères que nous avions donnés étaient médicaux. Au final, il restait deux profils et c'est à ce moment que nous avons regardé les photos. Il se trouve que l'une ressemblait beaucoup à la sœur de Fabien et c'est elle que nous avons choisie", précise-t-il. Rien n'est caché. "Nous savons qui elle est, nous avons ses coordonnées et c'est indispensable pour que notre fille puisse la retrouver si un jour elle le décide. Vous imaginez que l'on puisse dire un jour à un notre fille 'écoute, ton histoire est compliquée mais ne cherche pas, tu ne pourras jamais savoir'. Ce n'était pas envisageable une seule seconde. Quand on nous dit que la GPA est un scandale car on prive les enfants de l'accès à leur origine, c'est totalement faux", s'emportent les parents.
"Je vous présente Mathilde, votre fille"
C'est à distance que les deux futurs papas suivent la grossesse. Mais entre mails, coups de téléphone, vidéos échangées sur le net, et trois allers-retours, les neuf mois passent bien vite. Matt avait même confectionné un casque pour le coller sur le ventre de sa femme afin que l'enfant puisse entendre le son de la voix de ses deux papas. "On n'était pas là mais on était présent", résume Fabien.
Prévu pour le 13 novembre, l'accouchement a finalement lieu avec deux jours d'avance. Les deux couples se retrouvent à 6h30 sur le parking de la clinique où la petite est née aux alentours 14h. Matt est aux côtés de sa femme, Julien et Fabien patientent de l'autre côté du couloir.
"Nous ne voulions pas connaître le sexe de notre enfant avant qu'il soit né, donc nous avions donné deux prénoms à Melissa, Barnabé et Mathilde. On tenait à ce que ce soit elle qui nous l'annonce. Il devait être 14h30 quand nous sommes entrés dans la pièce. A ce moment, Melissa nous a dit je vous présente votre fille Mathilde. Le témoin était passé", raconte Julien. A compter de cette date, Mathilde est l'enfant de Julien et Fabien. "Pour nous, il est très clair qu'elle ne peut pas être la mère de notre fille. Dès le début, on imagine que son rôle sera celui d'une bonne fée, une sorte de dame nature. Et quand Mathilde nous a demandé qui était sa maman, on lui a expliqué qu'elle n'en avait pas, qu'elle avait deux papas. On lui a dit que Melissa est celle qui l'a portée dans son ventre et d'ailleurs, elle a des photos dans sa chambre", ajoute-t-il.
Tout cela est d'ailleurs bien stipulé dans le contrat d'une quarantaine de pages signé entre les toutes les parties sous le regard de nombreux avocats. "Si la pratique était légalisée en France, comme nous le réclamons, il n'y en aurait sans doute pas besoin de cinq ou six avocats comme ce fut le cas", estime Fabien.
Le parcours du combattant avec l'administration
Après une dizaine de jours pour faire les présentations avec les proches de Melissa et Matt, la nouvelle famille prend l'avion, les deux papas avec leur passeport français et Mathilde avec le sien, américain. Direction Paris. "Il était 6h du matin, tout le monde nous attendait à Roissy, c'était la grande joie même si on ne faisait pas les fiers en se présentant, nous deux hommes avec un nourrisson de cet âge", confie Julien.
Commence alors un nouveau combat,la transcription des papiers permettant que MATHILDE AIT UNE EXISTENCE LEGALE EN fRANCE . "Nous avons tout voulu faire dans la transparence et la jouer le plus clean possible mais nous finissons par être salis", se désolent les papas. Sur l'acte de naissance américain, figurent les identités de Julien et celle de Melissa. "Notre fille a grandi dans son ventre, Melissa a participé à sa naissance, il nous paraît logique qu'elle soit sur l'acte", avance Julien.
"Aujourd'hui nous attendons la transcription de cet acte pour que notre fille soit française et que Fabien puisse ensuite l'adopter. Car aujourd'hui, Mathilde n'étant qu'américaine, une telle adoption n'est pas possible ici", ajoutent les parents. En clair, Fabien n'a pas de droits sur celle qu'il élève au quotidien. "Heureusement que la directrice de l'école est conciliante mais il faudrait légalement que Julien me donne l'autorisation pour venir la chercher à l'école", raconte-t-il.
Leur fille et les névroses des cathos intégristes
Toutes ces difficultés, les deux papas savaient qu'ils les rencontreraient. Et pourtant, ils ne peuvent s'empêcher de se poser une question: "Nous n'avons pas joué aux apprentis-sorciers. Quels risques faisons-nous courir à la société pour qu'on nous refuse ce qui n'est que du bon sens?", se demandent-ils.
"Oui, notre fille va coûter de l'argent à la société mais pas plus que les autres enfants. Après, on va nous opposer la morale mais les enfants qui n'ont pas de papa ou pas de maman, ça existe. Allez demander à Rachida Dati qui a volontairement barré la route du père à sa fille ou à Nicolas Sarkozy qui a eu quatre enfants avec trois femmes différentes... Les familles sont multiples et il faut les reconnaître telles qu'elles sont. Nous avons voulu fonder une famille saine, sans secret. La seule ombre à notre histoire est que nous sommes gays", pointe Julien qui n'a toujours pas digéré les débordements de la Manif pour tous quand, "sur certaines affiches on pouvait faire l'association pédé-pédophiles". "Nous sommes blindés donc le problème n'est pas pour nous deux mais pour notre fille. Qu'on ne fasse pas porter à cet enfant toutes les névroses des cathos intégristes", supplient presque les deux parents.
De façon indirecte on nous accuse de dépenser beaucoup d'argent pour "acheter" un enfant. Or on nous accable de frais, taxes frais d'avocats et c'est ça l'essentiel des sommes dépensées.
Julien et Fabien ne s'en cachent pas et ils assument: oui, la GPA est "une démarche censitaire" qui coûte cher. "La majorité des dépenses ce n'est pas la mère porteuse, ce sont les frais d'avocat, de santé, les allers-retours. Si ça se passait en France, ça coûterait beaucoup moins cher", avance Fabien. "L'adoption n'est pas gratuite non plus et allez dire à des parents qui ont adopté qu'ils ont acheté leur enfant. Pourquoi serait-ce acceptable dans un cas et pas dans l'autre ?, demande Julien. Et cet argent que nous avons consacré à notre fille, des familles le consacre parfois pour sauver la vie de leur enfant quand il faut payer très cher une opération médicale à l'étranger. Nous, on a consacré cette somme pour lui donner la vie."
*A la demande des parents qui ont entamé des démarches auprès de l'administration française, les prénoms ont été modifiés.
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