Partager l'article ! à l'occasion du 400ème anniv' de sa mort, nous exhumons le pénis de Shakespeare -lol-: parce que c'est un dramaturge célèbre on refuserait d ...
parce que c'est un dramaturge célèbre on refuserait de croire qu'il était bi voire homo...un vrai raisonnement à la Barjot, celle de la manif...La famille de Rimbaud, le poète, a voulu de même, effacer les traces de l'homosexualité d'Arthur...
portrait de l'amant dégoté par "libellules" sur Pinterest
Ton visage est celui d’une femme, dessiné par la nature, maître-maîtresse de ma passion (sonnet 20). Cette image n’est pas une illustration. Elle est le pourquoi de la rose. Mais d’abord (allons – permettez-moi – posez-vous la question), homme ou femme, qui lui (lui ?) résisterait ? Avoir parlé de la sexualité de Shakespeare avant sa publication valait paroles en l’air. Mais en parler depuis multiplie les manières de la dire ou de n’en dire rien. Explications.
L’histoire de ce portrait...
Lady Norton était un jeune homme habillé en femme. Relégué dans un couloir, il passait inaperçu depuis des siècles dans les collections de la famille d’Alec Cobbe (elle compta un archevêque d’Irlande), et portait au dos cette inscription : Lady Norton, daughter of the bishop of Winton. En 2002, Alastair Laing, conseiller artistique du National Trust, vint à passer devant lui et jugea que Lady Norton était un jeune homme habillé en femme, avec lipstick rouge, dentelle de Venise autour du cou et lacs d’amour en pendants d’oreilles. Son propriétaire se lança dans une recherche généalogique et finit par découvrir des liens entre sa famille et les Wriothesley remontant à l’époque élisabéthaine. « My God, se peut-il qu’il s’agisse d’Henry, le troisième comte de Southampton, le patron et peut-être l’amant de Shakespeare ? »
Les experts tranchèrent, c’était indubitablement l’image la plus ancienne et la plus jeune de Henry Wriothesley, dédicataire de Vénus et Adonis, du Viol de Lucrèce (dans les mêmes termes qu’au sonnet 26, « Lord of my love… je t’envoie ce message »), celui pour qui furent écrites Peines d’amour perdues et peut-être l’énigmatique W.H. des Sonnets. Ces sonnets où Shakespeare semble se mettre à nu.
« Il au lieu de Elle… se peut-il que ces sonnets s’adressent à un homme ? Shakespeare ! Grand Shakespeare !... (De Wailly, Revue des Deux Mondes, 1874). Sacrilège ! En 1640, John Benson, un papetier de Londres, publia à son compte une édition des sonnets et fit passer tous les pronoms du masculin au féminin. Proust a bien féminisé ses partenaires et on ne peut entrevoir le destin littéraire d’un Albert disparu. Pendant un siècle et demi, les vers de Shakespeare furent lus, intensément, au féminin, jusqu’au rétablissement du genre originel par Edmund Malone en 1780. Lequel, cependant, dans l’espoir d’atténuer la lamentable passion du poète pour le cher ange, détourna sa jalousie sexuelle vers sa femme, Ann Hattaway. Tout le dix-neuvième siècle s’appliqua à lire dans les sonnets de magnifiques exercices littéraires, de simples vues de l’esprit. E.A. Hitchcock (1865) en parla comme d’écrits hermétiques dont le sens mystérieux gît au plus profond.
Certains voulurent que les Son-nets aient été adressés à son fils (son) de onze ans, Hamnet. D’autres y virent la preuve que Shakespeare était une femme (par exemple Emilia Bassano, la Vénitienne, candidate elle aussi au rôle de Dark Lady).
C'était vrai mais on n'y crût pas :
Puis, Samuel Butler, dans son édition de 1899 mit en avant leur caractère homosexuel, et cria au loup – un peu trop fort (« flétrissure de lèpre ») pour se mettre lui-même hors sujet. La première lecture intégralement gay attendit Joseph Pequigney, Such is my love, 1985. Les sonnets-confessions, les sonnets-pure-fiction, les sonnets-homoérotiques, les sonnets-fantasmes-biographiques, les sonnets-indépendants-de-leur-auteur, les sonnets-miroirs-pour anxiétés-contemporaines laissent, dans tous les cas, l’affaire ouverte : « William Shakespeare était presque certainement homosexuel, bisexuel ou hétérosexuel. Les sonnets n’apportent aucune preuve à ce sujet » (Stephen Booth).
Soit donc Wriothesley le sweet love, le Fair Youth des poèmes. Il était, en 1590, au début de leur écriture, un jeune homme de dix-sept ans que son tuteur pressait de se marier. Son nom se prononçait Rosely. Pendant les dix-sept premiers sonnets, le poète adjure le Young Man d’engendrer, de laisser une image de lui, pour que jamais ne meure la Rose de la beauté (dès le deuxième vers du sonnet 1), de ne pas avoir commerce qu’avec lui-même (mise en garde contre la masturbation, sonnet 4), de ne pas rester fiancé à ses yeux brillants et de faire un enfant (un fils). Rosely n’avait pas d’attirance pour les femmes (dont il resta quelques années, il est vrai, la plus belle). Il finit par épouser, secrètement et tardivement (enceinte), Elisabeth Vernon, une dame d’honneur de la reine – autre prétendante au rôle de Dark Lady - dont il eut une descendance. Une de ses filles, à moins que Shakespeare n’en ait été le père, (une idée d’Hildegard Hammerschmidt-Hummel), fut une ancêtre de Lady Diana.
Wriothesley a 20 ans en 1593, date du sonnet 20 aux rimes exclusivement féminines (le poète est tombé explicitement amoureux dès le sonnet 18 : « vais-je te comparer à une journée d’été ? »). Le 20, ce « master-mistress sonnet » le dit avoir été d’abord créé pour être femme, mais la Nature, en la façonnant s’éprit d’elle et lui ajouta une chose : By adding one thing to my purpose nothing. Ces mots ont provoqué des orages de papier. Ils peuvent dire que le dessein hétérosexuel du poète a été mis en échec par ce thing (pénis) dont la nature l’a équipée (pricked, avec jeu de confirmation sur prick, queue), et que ce qu’il voulait faire est désormais impossible (en langage de banlieue « il a niqué mon délire ») ou tout au contraire qu’il peut prendre du plaisir à la manière des femmes, en ayant une relation avec un homme. Le poète tente-t-il d’extraire une femme de ce garçon ? Et refuse-t-il l’addition ? Ovide, déjà, et on peut être certain que Shakespeare l’a lu, voulait être à la fois l’anneau et l’amant de Corinne (Amores, 2,15). Tout poète gréco-latin allait de l’un à l’autre amour, par mille sentiers. « Shakespeare et ses contemporains ne sont pas aisément réductibles à un genre de sexualité quel qu’il soit » (Michael Keevak, Sexual Shakespeare). Ce qui n’est pas une fabrique de simplicité. Un étudiant : « Pourquoi serait-il gay s’il désire que le mec soit une fille ? »
D’ailleurs, on nous explique que le terme homosexuel n’existait pas avant 1869 (en anglais) et qu’au lieu d’un état, chez les Elisabéthains, seul l’acte existait (la bougrerie du sodomite, le mot est de Calvin). Le désir mâle-male pouvait être exprimé, compatible avec le mariage (Shakespeare ne s’en est pas privé : Iago – un rôle qu’il a joué - partage le lit de Cassio, il l’entend prononcer le nom de Desdémone, « et voilà qu’il met sa jambe sur ma cuisse, il m’embrasse comme s’il arrachait des baisers par la racine »). Peut-être. Oui, mais ces supputations sur l’usage de son pénis par le Barde peuvent aussi bien se froisser d’une main. Il savait que la forme sonnet venait de la poésie arabo-andalouse, où l’amant s’adresse à sa maîtresse au masculin, et passa par les troubadours provençaux qui s’adressent à la dame par le terme midons, « mon seigneur ». Après tout, les Sonnets de Shakespeare sont peut-être de la poésie. « Ce mètre tout méridional, Shakespeare va y plier de force le rude idiome saxon… L’anglais, ce jargon brut, si réfractaire aux assonances, si hérissé de consonnes, Shakespeare va le jeter à la fonte du sonnet et en retirer une langue chaude, étincelante, harmonieuse » (François-Victor Hugo, qui le traduisit). Oui, mais l’aveu (« hélas, il ne fut à moi qu’une seule heure ») du sonnet 33, et la réponse à une possible accusation (« Je suis ce que je suis ») du sonnet 121 ne semblent-ils pas ne laisser aucun doute? Oui, mais, dès le 127, apparaît la Black Lady, et la virtuosité du sonnet du pénis (135), comme l’érection et la détumescence du pénis sans con-science (151) affirment le Shakespeare paysagiste du sexe féminin (les fourrés sombres, les sources agréables de Vénus et Adonis), et des domaines mitoyens de la cuisse frémissante de Juliette. On connaît la beauté physique qui l’attirait : yeux « sombres », front « de velours », bien dégagé, un pied délicat, une peau extrêmement fine et lisse, avec un lacis de veines « bleu comme l’azur céleste ». Oui, mais, la noire Lady n’est-elle pas le « détestable objet hétérosexuel d’un désir idéalement homosexuel » (J.Fineman) ? Vient alors le 144, « Two loves I have » et la triangulation man-man-woman du poète, du bon ange clair et de la dame sombre. L’ange qui est peut-être en ce moment dans l’enfer (hell : le sexe féminin) de l’autre.
Les étudiants disposeront de nombreux siècles encore pour se faire une opinion de Shakespeare et d’eux-mêmes. Quelqu’un pourra aussi leur démontrer que les 154 sonnets sont des variations sur les 155 psaumes de l’Ancien testament (un a été dédoublé). Cependant, voici revenir Alec Cobbe. Un autre portrait passait inaperçu dans sa famille peu indiscrète. On le tenait pour celui de Sir Walter Raleigh, l’explorateur exécuté. Eh bien, c’était l’original, identifié en 2006, du très répandu portrait de la Folger Shakespeare Library, la prestigieuse bibliothèque implantée sur la colline du Capitole à Washington. Il avait fait, avec celui de Rosely, partie de l’héritage de cette Lady Norton, arrière-petite-fille du troisième comte de Southampton, Henry Wriothesley. Voilà le visage de Shakespeare bien proche du corps de W.H.
[Ce portrait "authentique", dévoilé le 9 mars 2009 à Londres (et identifié il y a trois ans) n'est par pour autant le portrait assuré de Shakespeare. Non seulement il ne ressemble en rien à ce qu'il disait lui-même de son visage et de sa calvitie), mais pour d'autres raisons, qu'il faudra donner, il est à peu près certain qu'il est celui de sir Thomas Overbury, poète et courtisan, empoisonné à la Tour de Londres. Le portrait est daté de 1610 : le vieux poète avait 46 ans et Overbury 29. ).
W.H ? Des milliers de chercheurs se demandent encore qui se cache derrière ces initiales de l’édition de 1609. Et si elles signifiaient Who He? Qui lui? (Colin Burrow, éditeur des Sonnets en 2002). Ou même (Arthur Freeman), Whoever He, n’importe qui, qu’il soit mâle ou femelle. Shakespeare a-t-il été durant sa vie « all things to all men » se demandait Eric Partridge (Sakespeare’s bawdy), d’ailleurs une très sainte expression des Corinthiens. Quoiqu’il en soit, la très relevée Philadelphia Shaksper Society, et ses dîners annuels aux thèmes shakespeariens, est toujours réservée aux hommes (all-men).
A venir: "La tête de Shakespeare".
Alain Garric
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