HOMOPHOBIE. Comme trop souvent, je lui ai lâché la main. Je les ai entendus derrière nous, je les avais vus sur le quai du métro. Alors je lui ai lâché la main. Nous avons cette triste habitude, comme beaucoup d’autres couples homosexuels, de cacher tout geste d’affection. Par peur d’un jugement, d’un mot ou d’un regard. De coups.

Nous nous sommes lâché la main. Trop tard.

Déjà attristé de mon attitude honteuse, je le suis encore plus en écrivant ces mots : "trop tard". Comme si c’était notre faute. Quelle faute ?

Tout cela car nous nous sommes tenu la main

Alors que nous pouvons enfin nous marier, nous ne pouvons toujours pas nous tenir la main. Au-delà du geste, il s’agit de se comporter comme tous les autres couples qui nous est interdit. Méfiant j’étais, méfiant je serai, malheureusement, encore plus à l’avenir. J’observe parfois les couples hétéros dans la rue ou le métro et les envie. Je n’envie pas particulièrement le fait qu’ils s’embrassent en public, ou qu’ils s’assoient l’un sur l’autre, je n’aime pas vraiment ce genre de démonstration. J’envie seulement leur insouciance, le fait qu’ils ne se posent même pas la question.

Illustration de Sylvain pour Tibo Leclerc (cecinestpasunblogbd)

Ce soir-là, nous lâcher la main trop tard nous a valu respectivement 3 et 42 jours d’ITT. "Vous avez une cigarette les pédés ?", nous lance l’un des cinq jeunes, 18 ans à peine. Leur présentant mon paquet vide, ils m’ont d’abord aspergé d’alcool avant de tabasser mon compagnon. "Sales pédés", hurlaient-ils. Je réalise qu’ils le frappent sous mes yeux. Ils le frappent pour m’avoir tenu la main. Je n’ai pas le temps de réagir que l’un d’eux vient brusquement me frapper par derrière, sous l’oreille et me fracture la mâchoire. Je les vois partir en riant et poursuivant leurs insultes, traverser le pont Neuf. Nous sommes à terre, sur le passage piéton du quai du Louvre. La douleur est autant physique qu’intérieure.

S’en suit une semaine entre rendez-vous médicaux et démarches auprès de la police. Lui a de nombreuses contusions. Le traumatisme plus grave encore. À moi de me faire opérer la mâchoire, cassée de part en part. La pose d’une plaque est nécessaire. Tout cela, car nous nous sommes tenu la main. À Paris, en 2013.

Qui a théorisé l'homophobie depuis des mois ?

Certes, ces salauds n’ont pas le profil des manifestants que j’ai pu observer le 26 mai dernier lors des manifs contre le "mariage pour tous". Soyons honnêtes, il s’agit de petites racailles "de banlieues", ceux-là même à qui on trouve toutes les excuses du monde. Des excuses qui ne rendent finalement service à personne, pas même à eux. Oui, c’est bien d’eux que je me méfie le plus dans la rue. À raison visiblement.

Mais si ces racailles ne connaissent que la loi de la jungle, certains, planqués derrière leur écran d’ordinateur, leurs drapeaux roses et bleus ou leur nouveau bonnet rouge, ne trouvent pas plus grâce à mes yeux. Si un chien mord, doit-on s’en prendre à lui ou à son maître ? Ces petits salauds sont les chiens de l’homophobie. Trop stupides pour réfléchir à ce qu’ils font, ils n’aiment pas "les pédés". Point. Sur notre gueule en l’occurrence.

RESEAUX "SOCIAUX " :

Tweet homophobe reçu par Tibo Leclerc le 12/11/13 (capture)

Mais qui a théorisé l’homophobie depuis des mois sans en revendiquer le mot ? Qui explique chaque jour que les homosexuels n’ont pas à "se montrer" ? N’ont pas à demander de droit ? N’ont pas à défiler dans la rue pour la gay pride ? Qui a rabâché aux Français que les homosexuels sont "contre nature" ? Un "danger pour la société" ? Qu’ils doivent se cacher et être honteux en somme.

Oui, ce sont eux qui ont nourri les chiens qui nous ont agressés. Ce sont eux aussi qui m’ont insulté et méprisé dans cette épreuve, planqués courageusement derrière leur petit écran. À nourrir les chiens, ils n’ont pas plus d’estime à mes yeux. Je les méprise tout autant.

Eux qui jouent sans crainte à la surenchère de la haine l’Autre, que ce soit homophobie ou racisme. Notre digne Garde des Sceaux en fait les frais. Qu’ils viennent ensuite pleurer au "racisme anti-blanc" ou au "communautarisme" des homosexuels me fait bien rire. Si seulement.

Les deux faces d'une même pièce

Ils ne comprennent pas qu’à conspuer leur prochain, celui-ci ne veuille plus en être ? La racaille n’est donc pas que celle qui frappe, la racaille est aussi celle qui instaure ce climat, qui véhicule les idées xénophobes. Si la violence physique n’est pas son langage, la haine l’est tout autant. Ces deux sortes de racailles qui se détestent tant ne sont finalement que les deux faces d’une même pièce. Deux faces qui savent se mettre d’accord lorsqu’il s’agit de taper sur les homos.

Que l’on m’explique comment les uns et les autres peuvent se plaindre de discrimination (délit de faciès pour les uns, pain au chocolat pour les autres) quand eux-mêmes en font allègrement usage et entretiennent ainsi eux-mêmes les maux qu’ils accusent.

Difficile de trouver une place entre ces deux chiens de faïence.

Je me suis fait péter la mâchoire par cinq petits salauds.

Je me suis fait péter la mâchoire par la xénophobie.

Je me suis fait péter la mâchoire par l’homophobie.

Mais vais-je pouvoir encore lui tenir la main demain ?