Aujourd’hui, quels sont les droits des prisonniers en matière de sexualité?
La sexualité n’est pas "interdite" en prison. Mais le code pénal punit "les atteintes à la pudeur", qui peuvent faire l'objet de sanctions
disciplinaires. Or, les détenus sont toujours surveillés, potentiellement toujours vus, en cellule ou au parloir. Ce contrôle de la sexualité appartient à la vie d’adolescent et non d’adulte.
Il donne un terrible sentiment de régression.
Il existe aussi des Unités de vie familiale…
Oui, ces Unités de vie familiale (UVF) sont expérimentées en France depuis 2003. Elles permettent aux détenus de retrouver leurs proches de 6 à
72 heures. Le bilan tiré en 2006 dans les trois établissements pilotes s’est révélé très positif. Mais, à ce jour, ces UVF n’ont été étendues qu'à 7 prisons sur 190 établissements, et le
gouvernement reste vague sur les projets à venir. Les règles européennes recommandent pourtant d’encourager le maintien des liens familiaux. Et nous sommes aussi très en retard sur de
nombreux pays comme l’Italie, l’Espagne, le Canada, mais aussi des pays moins "développés". En Argentine, les UVF sont généralisées depuis la fin de la dictature. Un jour, on se réveillera
peut-être en se disant qu’on était un pays barbare.
En attendant, vous faites état d'une grande misère sexuelle…
Les prisonniers cherchent des palliatifs. Ils bricolent des accessoires, se remémorent leur passé, ont recours à la pornographie, souvent à
outrance. En plus du film diffusé une fois par mois sur Canal +, les détenus regardent souvent les chaînes dédiées du câble; des DVD circulent. Mais le porno alimente autant le désir qu’il le
satisfait. Il crée des frustrations, des dépendances. Il transforme aussi l’image du sexe, souvent dégradée dans ces films. Quelques (rares) détenus décident d'ailleurs de ne plus les
regarder, résistent, pour que la prison ne prenne pas le dessus sur leur sexualité.
«L'homophobie est bien plus forte que l'homosexualité »
Ce manque génère aussi des excès et des violences…
Oui, après des années d'abstinence, les hommes peuvent avoir un sentiment d'impuissance. Ils ont besoin de se rassurer sur leur virilité, ce qui
explique notamment l’importance de la musculation. Elle leur permet d’affirmer une forme de masculinité, de s’aimer eux-mêmes dans la glace et aussi d’être regardés par les autres. Cette
virilité amputée crée aussi un besoin de domination, souvent associé à la pénétration, et donc une "homosexualité de circonstance" chez des hommes qui se définissent pourtant comme
hétérosexuels. Cette domination passe parfois par le viol. Les victimes sont souvent les "pointeurs" (des personnes condamnées pour viol, ndlr), considérés comme des sous-prisonniers. Mais,
paradoxalement, les nouveaux violeurs ne seront pas forcément perçus comme tels au sein de la prison, surtout s'ils ont une réputation de caïd. Les victimes, elles, se taisent souvent par
peur ou parce qu'elles ont besoin de protection de ces "dominants". Du coup, les sévices restent impunis. Ce qui délégitime la justice.
Cette homosexualité est-elle si répandue?
Non. Le mythe de la savonnette dans les douches a la dent dure, mais l’homophobie est bien plus forte que l'homosexualité en prison. Cette
homophobie affichée est, encore une fois, une façon d'affirmer une virilité écrasée. Ou un rempart contre une tentation bien réelle. Les détenus n'ont parfois comme vision de la nudité que le
corps d'autres hommes pendant des années.
Et chez les femmes?
Chez les femmes, cette homosexualité - qui répond surtout à une besoin d'affection, de tendresse, de dormir avec quelqu'un - est mieux assumée
car elle ne remet pas en question l'identité de genre. Elle est aussi mieux tolérée par l'administration, si elle n'est pas trop ostentatoire.
Où en est la prévention des risques de MST?
On s'est rendu compte dans les années 1980 que la prévalence du VIH en prison était en moyenne deux fois plus élevée qu'à l'extérieur. Du coup,
une circulaire ministérielle a encouragé la mise à disposition de gel et de préservatifs. Dans les faits, ils sont surtout distribués sur demande ou alors dans des corbeilles à l'infirmerie..
à la vue de tous. Il faudrait mener une réflexion plus approfondie sur cette question sanitaire.«Au parloir, c'est un spectacle collectif »
Vous soulignez aussi l'hypocrisie qui règne dans les parloirs…
Oui. Les box sont séparés les uns des autres par une vitre à mi-hauteur. Malgré l'absence d'intimité, certains couples ont des rapports sexuels.
Les femmes y viennent avec des jupes larges, les hommes en jogging, sans sous-vêtements, pour faciliter l'acte. Certains surveillants interviennent de temps en temps, de façon arbitraire.
D'autres ferment les yeux car ils savent que les détenus seront plus calmes ensuite. Mais faire cela dans ces conditions est très dégradant. Et, à côté, d'autres visiteurs peuvent assister à
la scène, des enfants, des grands-mères…C'est un spectacle collectif, assez triste d'un point de vue civilisationnel.
Que demandez-vous aujourd'hui? un "droit à l'intimité"y compris pour les LGTB ?
Nous demandons que la loi reconnaisse un "droit à l'intimité" pour tous les détenus et dans tous les établissements. Si on ne peut pas créer
partout des UVF, on peut au moins mettre en place des parloirs fermés, avec un lit, un point d'eau, mais aussi une table et deux chaises pour que les gens n'aient pas le sentiment d'être
enfermés avec l'injonction, très mal vécue, d'avoir à "baiser ici et maintenant". Une pétition est en ligne, qui a été signée par plusieurs associations et députés de divers bords (voir encadré). Mais, plus globalement, il faudrait considérer
l'enfermement comme un dernier recours.
Que répondez-vous aux citoyens qui estiment que cette privation fait partie de la peine?...
En limitant les dégâts psychologiques liés à l’emprisonnement, on prépare mieux la sortie des détenus, on protège donc mieux la société.
Aujourd’hui, les longues peines sont cassées dans leur rapport à l’autre. Leur sexualité est très perturbée. En outre, puisque la prison est censée être une privation d’aller et venir
librement, toute autre punition est vécue comme une double peine. Ce sentiment d’injustice provoque de la haine contre l’extérieur, ce qui, encore une fois, n’est pas dans l’intérêt de la
société du dehors. Il est dangereux de ne pas accorder cette dignité aux prisonniers. Ce n’est pas de l’idéologie, mais du pragmatisme. Il faudrait que les politiques aient le courage de
l'expliquer aux électeurs.
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