03/07/2014 à 12h32
Depuis que j’écris sur la sexualité, j’ai l’impression de voir un chiffre grandir, de sondage en sondage, d’années en années. Il m’a toujours intriguée. C’est celui de la pratique de la sodomie.
En mai dernier, on apprenait ainsi dans une enquête Ifop [PDF] pour Marianne, menée sur 9 850 personnes, que :
L’« Enquête sur la sexualité en France » (Ed. La Découverte, 2008) de Nathalie Bajos et Michel Bozon (ma bible) traite bien sûr de la question. On y lit justement :
« En 1992, seulement 24% des femmes et 30% des hommes déclaraient en avoir fait l’expérience, alors qu’en 2006, ils sont respectivement 37% et 45%. »
Jointe au téléphone, Nathalie Bajos explique que, c’est vrai, la pratique se diffuse lentement. Mais il serait trop simple de penser que tout le monde s’y met.
« Il faut distinguer le fait de l’avoir fait une fois et de manière récurrente. Or, même si on observe une certaine diffusion de la pratique, elle reste plus occasionnelle que régulière. »
Les chiffres témoignent donc aussi d’un tabou qui tombe. On déclare cette pratique plus facilement aujourd’hui. Enfin. « On. » Les hommes surtout. Nathalie Bajos souligne l’écart entre les chiffres masculins et féminins.
« Les femmes ont toujours plus de difficultés à déclarer des pratiques sexuelles sans aucune finalité reproductive. On le voit aussi avec la masturbation. »
Si elles déclarent de plus en plus ces actes, explique la chercheuse, c’est lié au fait que les femmes n’ont cessé de voir leur statut évoluer.
Nous avons demandé à trois femmes de trois générations différentes de nous raconter leur rapport à la pénétration anale. Emilie est la fille de Françoise (certains prénoms ont été changés). Tandis que Micheline est sa grand-mère.
Leurs témoignages juxtaposés sont intéressants. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, toutes ont déjà « essayé ». Il n y a pas d’écart à ce niveau entre Micheline et sa petite fille, Emilie. Ce qui bouge, c’est la facilité à en parler ou pas.
La première fois qu’elle a essayé, elle avait 21 ans, c’était avec son ex. Celui avec qui elle est restée six ans.
« Les deux fois j’étais ivre. Ça m’intéressait d’essayer. Je crois que je lui avais dit que ce serait marrant. Il voulait aussi.
Finalement, je m’attendais tellement à ce que ça fasse mal que j’ai été étonnée. En fait, ça allait. C’était intéressant. Je ne pensais pas apprécier, c’était plus pour tester un nouveau truc, qui ne soit pas une position nouvelle. »
Un plaisir plutôt masculinNathalie Bajos note qu’au sujet de la pénétration anale, se pose aussi la question du plaisir.
« On voit que les femmes déclarent plus souvent le faire pour faire plaisir à leur partenaire. Chez elles, c’est rarement une pratique qui arrive en premier en terme de plaisir. »
En effet, dans l’« Enquête sur la sexualité en France », on apprenait que 4,6% des femmes déclarent pratiquer la sodomie uniquement pour faire plaisir à leur partenaire, contre 1,3% des hommes.
Après cette expérimentation, s’en sont suivies des discussions avec le copain en question. Assez crues.
« Il m’a dit qu’il trouvait ça agréable parce que plus serré, mais qu’il préférait la chaleur et l’humidité de mon sexe. J’avais peur qu’il se soit “ sali ”, je lui ai demandé s’il y avait “des trucs”. Il a dit que non. »
Dans sa génération, dit Emilie, et dans son milieu (classe moyenne parisienne ayant fait des études), c’est normal.
« Toutes mes potes ont déjà essayé. Je ne considère pas ça comme quelque chose de tabou. Pour moi, c’est une pratique comme une autre. »
Aujourd’hui célibataire, elle pense qu’elle recommencera avec quelqu’un avec qui elle sera depuis longtemps.
« J’ai une pote à moi qui m’a dit quelle aimait trop ça. Perso je n’ai jamais atteint ce stade, prendre du plaisir. »
Avant que nous commencions à aborder le sujet, Françoise tient à me préciser.
« J’en ai entendu parler dans des reportages sur la question de la religion à la télé. Il était question des jeunes femmes musulmanes qui choisissent ce type de rapports pour rester vierges.
Avec toutes les précautions avec lesquelles il faut recevoir ce genre d’informations, j’avais trouvé une certaine logique à cette information. »
On parle de manière générale. Pendant un petit moment. De son propre aveu, Françoise ne se livre pas facilement.
« Dans ma génération, on parle peu de sexe. Les jeunes en parlent beaucoup, peut-être par provocation ? Si on m’en parle je répondrais mais je n’irais pas amener le sujet. »
Pas forcément les plus jeunesCe ne sont pas forcément les plus jeunes qui pratiquent le plus la pénétration anale.
- Chez les 18-19 ans, 7,6% des hommes et 7,2% des femmes disent la pratiquer régulièrement.
- C’est dans la génération des 40-49 ans, que les chiffres sont les plus grands, avec 18,4% des hommes , et 12,5% des femmes.
- Enfin, les 60-69 ans sont les moins coutumiers du fait avec 4,8% des hommes et 3,4% des femmes qui disent la pratiquer régulièrement.
C’est arrivé quelque fois, plutôt à l’initiative de son mari.
« J’ai trouvé ça douloureux. On a essayé histoire de dire qu’on a essayé. Pour ne pas mourir idiot. »
Elle n’a pas d’avis négatif sur le sujet. « Chacun fait ce qu’il veut. » Et s’il y a des gens qui préfèrent le sexe comme ça, elle n’y voit pas d’inconvénients. Mais pour autant, elle n’a pas vraiment l’impression que la pratique représente quelque chose. Peut être plus dans la génération de ses enfants ?
« Mon fils regarde des émissions où ils se parlent très mal. Peut être qu’ils répondent à ce qu’ils voient à la télé. »
Elevée dans l’idée que « faire l’amour c’était bien agréable », Micheline parle très librement de sexualité.
« Quand j’ai su qu’il y avait la pilule à 35 ans... Olala, c’était super. J’enviais les jeunes. »
Emilie, qui m’a mise en contact avec sa mère et sa grand-mère, n’a donc jamais douté que Micheline accepterait de me parler.
« Quelqu’un m’a proposé ça, déjà. On avait même essayé. »
Elle avait alors 45 ans. C’était avec son « ami ». Celui avec qui elle est depuis 35 ans et qu’elle a connu après son divorce, au bout d’un mariage qui aura duré treize ans.
La pénétration anale a été un peu douloureuse. Elle n’a pas voulu recommencer. En a-t-elle souvent parlé avec des femmes de sa génération ? Pas tellement.
« Je me souviens d’une amie, son ami avait l’habitude de ça, elle n’aimait pas. C’est la seule fois où quelqu’un m’en a parlé vraiment, librement. »
De la pratique, elle n’en a pas moins une image négative.
« J’ai une amie de 85 ans. Quand elle avait 80 ans, elle a rencontré quelqu’un qui ne voulait le faire que par derrière, uniquement comme ça. »
Micheline raconte alors que la précédente femme de cet homme faisait ses besoins par la bouche. Je fronce les sourcils, fais une pause en prenant mes notes.
« Alors j’ai une image assez désagréable de cette pratique. Mon amie n’est pas restée avec cet homme. »
S’il est possible dans certaines pathologies de vomir des substances ayant l’odeur et l’aspect des matières fécales, en réalité, ça ne peut pas être lié à la pratique de la sodomie. Et comme le précisait le chirurgien proctologue Nicolas Lemarchand dans une très intéressante interview au Tag parfait, la pratique intensive du sexe anal ne pose aucun problème.
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