Lundi 2 septembre 1 02 /09 /Sep 00:17

RECITS FICTIONS FANTASMES (63)

des couilles et une âme !

une fin mouvementée et heureuse

Ce texte est le neuvième et dernier chapitre d'une histoire. Vous aurez quelques difficultés à vous y retrouver si vous n'avez pas lu le début! Vous ne pourrez pas dire que vous n'avez pas été prévenu!

Les semaines s'écoulaient sans changement notable. Nous étions de bons élèves pour nos professeurs, d'invisibles fantômes pour nos pairs. Rien qui mérite d'être raconté, jusqu'à ce samedi après-midi, environ quatre mois après le psychodrame de notre coming out. Taylor et moi venions de finir notre jogging dans le parc, et nous marchions lentement pour retrouver notre souffle. Nous entendîmes un bruit sourd, suivi d'un gémissement étouffé, semblant provenir du taillis que nous longions. Nous pénétrâmes dans le sous-bois, très dense, en direction du bruit et nous nous trouv‚mes nez à nez avec une bande de 5 garçons d'environ notre âge. L'un d'entre eux, accroupi, maintenait au sol un gamin d'une douzaine d'années qui avait l'air terrorisé.

— Qu'est-ce qui se passe ici? demanda Taylor.

Ils se tournèrent vers nous d'un même mouvement.

— Filez d'ici! répondit le type au sol qui semblait être le meneur de la bande. C'est pas vos oignons.

— Aidez-moi! supplia le gamin.

— La ferme toi! coupa le type au sol. Et vous, nous dit-il, grouillez-vous de déguerpir si vous voulez éviter les problèmes!

— Lâche-le immédiatement! répondit Taylor d'une voix glacée que je ne lui connaissais pas.

— Viens le chercher si tu veux! répondit l'autre d'un ton vaguement goguenard.

— Aidez-moi, s'il vous plaît... plaida le gamin une fois encore.

— Toi je t'ai déjà dit de la fermer! répéta le type et il lui flanqua une giffle appuyée.

C'est à ce moment précis que la tempête se leva!

Je n'aurais jamais imaginé qu'un être humain pût être aussi rapide. En une fraction de seconde Taylor était sur le type, lui attrapait les cheveux, et le relevait pour le renvoyer aussitôt au tapis d'un uppercut au menton magistral. Il tendit la main pour relever le gamin et lui intima l'ordre de partir, ce que le gosse fit sans poser de question. La seconde, à peine, durant laquelle Taylor s'était interposé entre le gang des cinq et le gosse pour protéger sa fuite, leur avait donné le temps de reprendre leurs esprits et de se jeter sur nous.

Ce n'est pas très facile pour moi de vous raconter cette bagarre, je ne me souviens pas des détails précis. Je n'en aurais été que le spectateur... j'aurais pu prendre des notes, mais là... Pour ce qui me concerne, je me souviens juste avoir distribué quelques coups de poing et en avoir reçu bien davantage. Par contre, ce qui restera gravé à jamais dans ma mémoire, c'est la furie de Taylor. Il était absolument enragé, il bougeait si vite que les brutes autour de lui pouvaient à peine l'approcher, même lorsqu'ils s'y mettaient à quatre (oui, oui, ravalez votre ironie, un seul suffisait pour s'occuper de moi!). Je n'avais jamais remarqué qu'il disposait d'autant de pieds et de poings! Et je ne vous parle pas des coudes! Et le plus fort, c'est qu'il arrivait à utiliser tout ça en même temps, une véritable tornade d'extrémités percutantes! Il réussit à en mettre trois au sol et me cria aussitôt.

— Barrons-nous Matt!

Sans hésitation je lui emboîtai le pas à une vitesse que je n'avais jamais atteinte et qui nous aurait assuré, sur une piste traditionnelle, avec un chronométrage officiel, au moins un record national!

Un petit kilomètre plus loin, nous nous effondrâmes sur la pelouse, dans un endroit suffisamment fréquenté pour être exempt de risques. Le gamin avait disparu. Assis sur l'herbe nous reprenions lentement nos esprits et notre souffle. Taylor releva la tête pour la première fois. Je ne pouvais en croire mes yeux: son visage aux courbes douces et nettes, avait gagné au moins vingt pour cent en volume, et je ne vous parle pas de la couleur! Les joues, là où elles n'étaient pas maculées de sang ou de débris d'herbes sales, étaient cramoisies, vingt ans de couperose n'auraient pas fait mieux! Les oreilles luisaient, même par cette belle journée ensoleillée... et les yeux... les yeux, je ne sais ce qui attirait le plus l'attention, des paupières gonflées qui semblaient ne plus pouvoir s'ouvrir ou de la couleur étrange qui les entourait, hésitant entre le vert franc et le violet foncé, avec quelques nuances de bleu intercalaires! Je ne pus me retenir, j'éclatai de rire.

— Excuse-moi Taylor, c'est nerveux... ce n'est pas drôle, je pense même que tu vas avoir une paire d'yeux au beurre noir, dignes de figurer dans une encyclopédie médicale!

Le fou rire m'empêcha d'en dire plus. Il me fixa avec un sourire un peu crispé... sourire devait lui être douloureux.

— Tu ne t'es pas encore vu, la créature de ce bon docteur Frankenstein, à côté de toi, serait très certainement considérée comme un sexe symbole!

Le rire, hystérique, qui nous avait gagné tous les deux nous aida à évacuer l'incroyable tension des minutes précédentes, et à oublier la douleur. Mais elle était bien là et ne tarda pas à se rappeler à nous. Il était temps de rentrer soigner nos plaies.

Ma mère blêmit en nous voyant entrer et, l'espace d'un instant, je crus qu'elle allait s'évanouir.

— Qu'est-ce qui vous est arrivé?

— On te le dira mais, est-ce qu'on pourrait d'abord...

— Bien sûr, venez à la salle de bains.

Elle nous accompagna.

— Déshabillez-vous.

— M'man nous...

— Matt, je t'en prie, je suis ta mère, je t'ai déjà vu, et je pense que vous n'êtes plus totalement étrangers l'un pour l'autre! répondit-elle avec une pointe de sarcasme dans la voix.

Le sang et la poussière cachèrent la rougeur qui envahit les quelques zones encore pâles de mon visage.

— J'ai besoin de voir où, et avec quel degré de gravité vous êtes blessés, reprit-elle avec autorité.

Elle nous examina des pieds à la tête avec une attention scrupuleuse, nettoyant et désinfectant les plaies, enduisant de pommades les contusions. Elle nous ramena ensuite à la cuisine où elle déposa des pains de glace sur les parties les plus endolories de nos visages, qui avaient acquis l'apparence d'une belle compote de prunes. Elle fut soulagée d'apprendre que nous n'avions pas été victimes d'une attaque liée à notre homosexualité, c'est ce que mes parents craignaient le plus à l'époque. Elle nous fit le petit discours habituel sur la meilleure façon d'éviter les bagarres, mais elle nous dit aussi sa fierté de savoir que nous étions venus à l'aide de quelqu'un qui en avait vraiment besoin, même si ça présentait des risques.

De retour dans ma chambre j'enlaçai Taylor... avec légèreté, car il était peu d'endroit de nos corps dont nous ne souffrions!

— J'ai appris deux choses à ton sujet Taylor aujourd'hui, dis-je. La première c'est combien tu es courageux. Quand je t'ai vu te jeter sur ce type qui pesait au moins 25 kilos de plus que toi, j'étais stupéfait. Et après, quand tu es resté, là tout seul devant les cinq pour laisser au gamin le temps de partir... waouuuuuu... c'était grandiose... Tu es un héros Taylor, MON héros!

— N'en rajoute pas Matt, je savais que tu ne me laisserais pas tomber, et tu as fait un super boulot d'ailleurs. Tu connais ce gosse au fait?

— Non, il me semble l'avoir déjà vu, mais je ne connais pas son nom.

— Et c'est quoi la deuxième chose dont tu parlais?

— Quand j'ai vu la façon dont tu te battais, l'état de fureur dans lequel ils t'avaient mis, je me suis juré que jamais je ne te donnerais de raison d'être vraiment en colère contre moi, répondis-je en grimaçant un sourire douloureux.

— Alors reste auprès de moi pour toujours, c'est la condition de ta survie!

— Je sais Taylor, Je t'aime. Je n'arrive pas à croire à la chance que j'ai de t'avoir dans ma vie, que tu sois mon amoureux... tu es si... si... si...

— Si si si?

— Si beau, si intelligent, si drôle, si gentil, si tendre et maintenant si fort, si courageux! À chaque instant je te découvre des qualités nouvelles, tu es comme... une perfection sans frontières! Et de savoir que tu es amoureux de moi, c'est... le comble du bonheur.

Il sourit et prit un air boudeur.

— C'est pas juste, tu as fauché tous les adjectifs que je voulais utiliser pour toi. Mais, si j'ai un peu de force et un peu de courage aujourd'hui, c'est grâce à toi.

— Et comment ai-je réussi ce petit miracle?

— En m'aimant. Je te trouve fabuleux Matt, alors quand un type fabuleux tombe amoureux de quelqu'un, ça veut certainement dire que ce quelqu'un a des qualités. Ton amour me pousse à me regarder de façon positive, à voir ce qui est bien en moi! Je peux avoir confiance en moi parce que tes yeux me disent que je mérite d'être aimé, et ça, ça donne une force ! Un peu compliqué non?!

Nous nous embrassâmes avec passion... et précaution. Nos lèvres tuméfiées donnérent à ce baiser un parfum nouveau.

Le lundi matin, à l'école, nous regagnâmes quelque attention. Nos figures, noircies d'ecchymoses avaient peu de chances de passer inaperçues. Il n'y eut aucun commentaire... Comme nous n'en attendions pas... Seuls quelques professeurs eurent la curiosité de savoir ce qui s'était passé, ils craignaient, tout comme nos parents, une chasse aux pédés.

Mardi, les évènements prirent un virage radical.

Taylor et moi, comme à l'habitude, discutions devant nos vestiaires en attendant le début du premier cours. Nous entendîmes, environ deux mètres derrière nous:

— Taylor, Matt, est-ce que je pourrais vous parler?

Nous sursautâmes tant l'événement était inattendu: quelqu'un qui s'adressait à nous, en public et sans nous insulter! Ça ne faisait plus partie de nos habitudes depuis longtemps! C'était Éric, un membre de l'équipe de foot. Nous nous tournâmes vers lui et je lui demandai, d'un ton que j'aurais voulu moins défensif:

— À quel sujet?

— Je voudrais vous remercier.

— Nous remercier? Mais pourquoi?

Nous restions très suspicieux.

— Vos coups... vos bleus... tout ça... bredouilla-t-il. Je crois que c'est mon frère...

Je sentis la colère gonfler en moi et j'eus du mal à me retenir de hurler. C'est d'une voix tremblant quand même d'une fureur mal contenue que je lui répondis.

— Et tu veux nous remercier parce que ton frère nous a explosé la gueule!

— Non, non, désolé, je ne suis pas clair. C'est pas mon frère qui vous a frappés, je ne sais pas qui c'était. Mon frère c'est... Je crois que c'est... le gamin que vous avez aidé. Il m'a raconté, samedi, que cinq grands types avaient essayé de lui faucher son portefeuille et son blouson et qu'il n'avait réussi à s'en sortir que grâce à l'intervention de deux mecs qui passaient par là. Quand j'ai vu vos têtes hier, je me suis posé un tas de question et j'ai demandé plus de précisions à Ryan... c'est mon petit frère, il m'a décrit les deux garçons venus à son aide et j'ai compris que ça ne pouvait être que vous.

— J'arrive pas à croire ce que je vois! T'es en train de parler avec ces pédés!

C'était Ronald, hurlant à travers tout le hall. À cette heure du jour le hall est, en général, un lieu très bruyant et très agité. Là, le calme le plus absolu régnait tout à coup. Une fois de plus nous étions le point de focalisation de toutes les attentions.

— Qu'est-ce que tu fous avec ces suceurs de bites?! répéta-t-il avec hargne.

— Parle pas comme ça de mes amis, s'il te plaît! lui répondit-il du tac au tac.

Puis, se tournant vers nous:

— Si vous acceptez mon amitié, je sais que c'est une faveur que je ne mérite pas.

À nouveau à l'attention de Ronald:

— Je suis venu les voir parce qu'ils ont sauvé mon petit frère!

— Ils avaient certainement l'intention de fouiller son pantalon!

— Arrête Ronald, Arrête-toi tout de suite avant que je te rentre dedans. Mon petit frère a douze ans, il était dans le parc samedi, et ça se passait très mal pour lui, il avait cinq grands types sur le dos qui étaient sur le point de lui foutre une raclée.

Il criait, on n'entendait plus que sa voix résonner à travers tout le hall.

— Ils étaient cinq! Et Matt et Taylor, à deux! Ils sont venus se mettre entre mon frère et ces cinq salauds! Et ils se sont battus, à deux contre cinq! Et ils ont dit à mon frère de se sauver! Ils ont pris le risque de se faire casser la gueule! Et pourquoi? Pour qui? Pour un gamin qu'ils ne connaissaient même pas!

— Et qu'est-ce que ça change? coupa Ronald. C'est toujours des enculés de pédés, des suceurs de bites, des merdes quoi!

— S'il y a une merde ici, c'est toi Ronald. Je ne sais pas si j'aimerais être un suceur de bites comme tu dis si poétiquement! Mais je sais que j'aimerais bien avoir les couilles qu'ils ont.

Il nous tendit la main.

— Je comprendrais que vous refusiez de me serrer la main, je fais partie de ceux qui ont délibérément fait de votre vie un enfer ces derniers mois. J'en suis pas fier. Quand j'y réfléchis, et c'est ce que je viens de passer la nuit à faire, je n'arrive même pas à comprendre pourquoi on a fait ça. Toi Matt, tu as toujours été connu pour être le type le plus sympa de l'école, s'il existait encore un prix de camaraderie, tu l'aurais certainement gagné tous les ans depuis dix ans. Tout le monde t'aimait ici, et, d'un seul coup, juste parce qu'on découvre quelque chose de différent, on t'efface, on te passe aux oubliettes! Mais tu étais déjà différent avant, tu étais plus gentil que n'importe qui, plus sympa, plus drôle, prêt à aider... Ça fait des années qu'on te connaît et est-ce qu'il y a quelqu'un qui peut dire ici que tu as eu un geste déplacé? S'il y a quelqu'un, il peut le dire tout de suite.

Il laissa flotter quelques secondes de silence que personne n'utilisa.

— Et toi Taylor, reprit-il. Je ne te connais pas très bien, j'espère que j'en aurai l'occasion à partir de maintenant. Mais je sais déjà que tu es le gars le plus courageux que je connaisse, d'abord parce que je sais que tu es intervenu le premier à la rescousse de mon frère, et puis aussi parce que quand Matt a été obligé de révéler son homosexualité, tu aurais pu rester en arrière, ne rien dire, mais tu l'as accompagné, tu es resté à côté de lui, et ça... chapeau! Je serais très honoré... et très soulagé que vous acceptiez mes remerciements et mes excuses.

Taylor et moi échange‚mes des regards encore perplexes. C'est Taylor qui prit la décision, il tendit la main vers celle d'Éric.

— Les excuses sont acceptées mais tu n'as pas à nous remercier, je suis sûr que tu aurais fait la même chose pour n'importe quel gamin dans les mêmes circonstances.

Je serrai la main d'Éric également. Il nous gratifia tous les deux d'un franc sourire.

— Merci! Ça signifie vraiment beaucoup pour moi! À plus tard!

Le grondement habituel reprit ausssitôt ses droits dans le hall d'entrée et il n'était pas nécessaire d'être un observateur très attentif pour deviner le sujet des conversations! Toute la matinée, à chaque coupure entre les cours, les choses s'amélioraient à la vitesse grand V, à midi nous avions compté une douzaine de sourires, six ou sept saluts et quatre poignées de main... chacun! Les signes étaient encore faibles, mais cette faiblesse traduisait peut-être plus la gène que certains éprouvaient au regard de leur comportement antérieur que leur refus de le changer.

À la sortie de la dernière classe avant le déjeuner, Éric et une dizaine de ses amis nous attendaient.

— Vous seriez d'accord pour venir manger avec nous? demanda Éric.

— Bien sûr, acquiesça Taylor aussitôt. Nous nous sommes sentis un peu seuls ces temps-ci!

Tout le monde sourit et nous dirigeâmes vers la cafétéria. Une table était libre qui nous permit de nous asseoir tous ensemble. Il y eut un moment de gène, personne ne savait comment commencer la conversation. C'est Ted, un membre, tout à fait craquant si vous voulez mon avis, de l'équipe de judo, qui prit la parole.

— Taylor, Matt, nous en avons tous discuté avant le déjeuner et nous voulons vous présenter des excuses pour ce que nous avons fait... ou pas fait, ces derniers mois.

— C'est pas la peine... essayai-je de dire.

— Laisse-moi finir, s'il te plaît, c'est déjà pas facile comme ça, alors... La façon dont nous avons agi est inadmissible. Que vous soyez gay ne change, en rien, qui vous êtes et nous aurions dû être beaucoup plus rapides à nous en apercevoir. Je n'arrive pas à comprendre comment nous avons pu être à ce point bornés, et nous espérons que vous l'oublierez. Non... vous ne pourrez pas l'oublier, mais nous espérons que vous nous pardonnerez.

— Vous êtes tous pardonnés! dis-je. Je suis trop content d'avoir à nouveau des amis pour marchander quoi que ce soit!

— Et puis vous sentez pas obligés à toutes ces excuses, c'est plutôt émouvant et si je pleure toute la journée je vais encore passer pour une fillette! ajouta Taylor pour détendre, avec succès, l'atmosphère. Un petit bonjour et une poignée de main, ça me suffit!

— Racontez-nous un peu cette bagarre, demanda Éric. Vu vos têtes, ça n'a pas dû être une partie de plaisir!

Il fallut leur faire un récit détaillé, cela suffit à lancer la conversation. Chacun avait une anecdote à rapporter au sujet d'une bagarre et nous pass‚mes ainsi du Parc aux terrains de sports, puis à la cour de récréation, aux vacances... une conversation classique quoi, qui saute d'un sujet à l'autre sans logique apparente, sans autre motif que d'échanger des blagues, de partager un bon moment, le plaisir d'être ensemble!

Et quel plaisir! les plaisanteries succédaient aux plaisanteries, et les rires ne s'éteignaient que pour renaître plus forts. Chaque fois que je me tournais vers Taylor je ne pouvais que constater combien il appréciait l'instant. Il était radieux!

Durant toute notre quarantaine, nous avions connu de nombreux moments de bonheur, cette fois c'était différent, c'était de la joie à l'état pur, mousseuse, pétillante. De temps en temps nos yeux se croisaient, nos joies se mêlaient. Je garderai toujours le souvenir de cette heure, comme une des meilleures de ma vie, une des plus intenses, un fragment de soleil.

Ted me dit quelque chose qui m'émut aux larmes. Il regarda Taylor, puis moi.

— Je crois que je suis jaloux, dit-il. Je crois que je t'envie.

Un peu surpris je lui demandai pourquoi et il eut un petit sourire avant de répondre.

— Ne t'inquiètes pas, je ne vais pas essayer de te piquer ton petit copain! Je crois d'ailleurs que ce serait voué à l'échec!

Taylor eut un sourire amusé.

— Non, je parle du lien qui vous unit, tous les deux. Il a l'air tellement évident, tellement fort! J'espère juste qu'un jour j'aurai la même chose avec une fille.

Taylor rougit autant que moi sous le compliment. À la fin du repas Éric nous invita à une soirée qu'il organisait chez lui le samedi suivant.

— Est-ce que nous pouvons venir avec deux filles? demandai-je.

— Deux filles! s'exclamèrent-ils tous.

— Vous avez déjà amenés des copains à une fête, ça ne voulait pas dire que c'étaient vos petits copains!

Nouvel éclat de rire.

— En fait ce serait bien si nous pouvions venir avec Cathy et ma sœur Lucia. Elles ont été les seules avec nous pendant tous ces longs mois, les seules à nous soutenir.

Un léger malaise flotta sur la table, porté par un ange qui passait par là.

— Alors, si elles pouvaient être là pour assister à notre... résurrection sociale! Ce serait génial!

— Invitez-les, bien sûr! répondit Éric.

Dès que je fus rentré Lucia se précipita sur moi.

— Qu'est ce qu'il s'est passé, je t'ai vu avec Taylor, tu mangeais à la table d'Éric et de tous ses amis, et vous aviez l'air de passer un sacré bon moment! J'ai entendu dire que le gamin que vous avezaidésamediestlefrèred'Éric!

Elle parlait à une telle vitesse que j'avais de la peine à la comprendre (pas vous?).

— Raconte-moi! Raconte-moi!

Elle était tellement excitée qu'elle me harcelait de questions sans me laisser le temps d'y répondre ce qui ne faisait, bien sûr, qu'accroître son impatience et sa frustration! Je finis néanmoins par lui faire comprendre les grandes lignes de l'histoire.

— Et est-ce que tu as eu le temps de lui glisser un mot à propos de ta jeune et jolie sœur?

— J'ai fait beaucoup mieux!

— Beaucoup mieux?

— Oui, beaucoup mieux, Éric organise une soirée samedi et il nous a invités tous les deux Taylor et moi, et...

— Et???

— Et nous avons demandé si nous pouvions être accompagnés de Cathy... et de toi!

— Tu as fait ça! Tu as vraiment fait ça???!!! Tu vas m'emmener à la soirée d'Éric... Tu vas m'emmener chez Éric! C'est pas une blague?? Tu es... un génie... un magicien... le plus génial frère qu'on puisse imaginer!

Elle était encore deux fois plus excitée qu'une demi-heure plus tôt! Je l'embrassai.

— C'était vraiment le moins que je puisse faire pour la lus géniale de toutes les sœurs!

Elle me serra dans ses bras... tout en continuant de sauter de joie, ce qui était d'un confort très relatif!

Toute la semaine la situation s'améliora et vendredi les choses étaient redevenues quasi-normales. Quelques élèves restaient très distants, méprisants même pour certains, mais la plupart étaient redevenus amicaux, parfois plus qu'avant. Nous étions en train de passer du statut de double zéro à celui de star, et, même si cela ne devait pas durer, c'était plutôt agréable!

Enfin le samedi soir arriva, Dieu merci! Un jour de plus et Lucia aurait succombé à une attaque cardiaque tant son excitation s'accroissait d'heure en heure!

Chez Éric nous fûmes accueillis par ses parents qui avaient tenus à nous attendre pour nous remercier Taylor et moi, c'était un peu embarrassant, surtout quand Ryan et sa mère nous embrassèrent.

Tout le monde (environ quarante personnes) eut, à notre égard une attitude amicale et nous passâmes une excellente soirée. Même Ronald nous salua, ce fut plus rapide que chaleureux, mais marquait peut-être la fin de la guerre froide! Vers minuit, alors que je parlais avec Lucia et Taylor, la musique ralentit, jusqu'à devenir slow, et la lumière se tamisa. Éric s'approcha. Il me prit par le bras.

— Viens avec moi, et il ajouta, à l'attention de Taylor: je te le ramène dans quelques minutes.

Avant que je puisse réaliser ce qui se passait, j'étais entre ses bras, au milieu de la piste de danse. Quelques couples se figèrent sur place et un nombre impressionnant de bouches semblèrent incapables de se refermer, comme si l'assemblée avait été touchée par une brutale épidémie de crampes de m‚choires. Mais, en quelques secondes, tout revint à la normale, les danseurs redansèrent et les bouches se refermèrent, ne laissant flotter que des sourires aux commissures de toutes les lèvres. Il me fallut un peu plus de temps pour retrouver mes esprits et la maîtrise du langage.

— Pou... pour... pourquoi est-ce que tu as fait ça Éric?

— J'avais envie de serrer ton corps contre le mien, murmura-t-il à mon oreille.

Je me tendis et il le sentit aussitôt.

— Non, je plaisante, excuse-moi, je ne voudrais pas te mettre encore plus mal à l'aise. Non, en fait je l'ai fait pour deux raisons, d'abord, c'est vrai, j'avais envie de savoir ce que ça fait d'avoir un joli garçon dans les bras, et... je dois bien avouer que ce n'est pas désagréable.

Il souriait

— Mais je l'ai fait aussi parce que j'ai l'impression que Taylor et toi vous faîtes d'énormes efforts pour ne pas être... trop... démonstratifs, si j'ose dire, vous ne voulez choquer personne, c'est ça?

J'approuvai.

— C'est bien ce que je pensais, alors j'avais envie de montrer que, chez moi au moins, deux garçons qui dansent ensemble ce n'est pas choquant. J'ai fait le premier pas, tu auras peut-être envie de faire le deuxième?

Il se tourna alors vers Taylor qui dansait avec Lucia.

— Nous pourrions peut-être changer de partenaires? Ça ne t'embête pas Lucia?

Le gigantesque sourire qui lui barrait la bouche l'empêcha de répondre, elle ne put que secouer la tête! Timidement je posai une main sur l'épaule de Taylor et l'autre sur sa hanche. Il fit de même et me plaqua étroitement à lui. Nous accordâmes nos pas au rythme lent de la musique. Je l'avais souvent tenu dans mes bras, mais nous n'avions jamais eu l'idée de danser ensemble, même derrière la porte close de l'une de nos chambres. C'était fabuleux. Ses hanches se balançaient lentement contre les miennes et sa tête reposait dans mon cou qu'il picorait de baisers légers. Tous ceux qui nous regardaient souriaient, j'en vis même deux ou trois m'adresser un clin d'œil! La seule qui n'eut pas un regard pour nous ce fut Lucia. Dans les bras d'Éric, elle était extatique!

— Qu'est-ce que c'est bon, dis-je.

— Je sais, tu ronronnes dans mon oreille depuis la première seconde!

— C'est un rêve! Je n'arrive pas à y croire! Ça ne peut pas être vrai! Il y a moins d'une semaine, être gay faisait de nous des moins que rien, que les gens fuyaient comme la peste. Aujourd'hui, tu es dans mes bras, nous dansons, nous nous embrassons et les mêmes sourient et nous clignent de l'œil c'est incompréhensible! Comment peut-on être à ce point versatile!

— Je ne suis pas sûr que ce soit de la versatilité, c'est si difficile parfois d'exprimer les sentiments que l'on éprouve vraiment.

— Qu'est-ce que tu veux dire?

— Tu te rappelles cette nuit, dans ma chambre, il y a combien? Cinq mois déjà? Vers trois heures du matin? Tu étais sur le point de fuir... et cinq minutes plus tard tu m'embrassais avec passion! Tu crois que tu étais versatile cette nuit-là? Nous étions tellement enfermés dans nos peurs, effrayés de la réaction que l'autre pourrait avoir en découvrant que, derrière l'amitié il y avait une autre envie. La crainte était si forte que nous préférions cacher nos vrais sentiments... et nous avons bien failli tout foutre en l'air. C'est la même chose pour eux, je crois. En fait, ils s'en foutent complètement qu'on soit pédés, mais quand la règle est de les mépriser, les rejeter... c'est difficile, dangereux de l'enfreindre, on a peur de la façon dont les autres réagiraient. Je crois que ce que nous voyons aujourd'hui, traduit leurs vrais sentiments, et j'aime ça.

Je resserrai mon étreinte sur Taylor. De chaudes vagues d'amour me submergeaient l'une après l'autre.

— Je t'aime tant Taylor!

— Est-ce que tu crois que le niveau de tolérance est assez élevé pour que nous fassions l'amour, là, maintenant!?? Parce que c'est exactement ce dont j'ai besoin en ce moment.

Le baiser qu'il me donna apporta, à ses propos, une confirmation volcanique.

— On pourrait peut-être attendre un peu avant d'initier une orgie! rigolai-je.

Le slow nous tint collés l'un à l'autre une demi-heure. Une demi-heure d'attouchements tendres et lascifs, d'oscillations sensuelles, de murmures amoureux. Puis nous eûmes de nombreuses discussions avec d'autres invités, qui tous, par deux ou trois, nous rejoignirent à un moment ou un autre de la soirée. Cette fois la main de Taylor ne quittait plus mon épaule, se perdait même parfois dans mon cou. Ce fut une merveilleuse soirée. Jusqu'à Ronald qui répondit par un sourire au salut que je lui adressai à son départ!

Deux heures du matin, l'heure limite fixée par mes parents au retour de Lucia, sonna, et je devais la raccompagner avant d'aller dormir chez Taylor. Lorsque j'allai la chercher, sa main tenait celle d'Éric qui proposa aussitôt de la raccompagner à ma place.

— D'accord, dis-je, mais seulement si tu me promets d'être moins entreprenant que tu ne l'étais tout à l'heure avec moi, sur la piste de danse.

Il prit une jolie teinte cramoisie avant d'éclater de rire.

Une heure plus tard, Taylor et moi étions nus au fond de son lit. Allongé sur moi, il bougeait avec lenteur et sensualité, ses lèvres laissaient la trace humide de leur passage le long de mon cou.

— Taylor, cette nuit est une des plus belles de ma vie, depuis notre première.

— Pour moi aussi, répondit-il.

— J'aimerais la rendre encore plus mémorable, ajoutai-je timidement.

— Qu'est-ce que tu veux dire?

— Ça fait un moment que j'y pense maintenant, que j'en ai envie... J'aimerais te sentir en moi.

— Tu es sûr? tu te sens prêt?

— Oui, je suis plus que prêt, j'en ai besoin ce soir.

— Je t'aime Matt, promets-moi de dire stop si ça fait mal.

— Promis, murmurai-je.

Il avait si peur de me blesser qu'il passa des heures, me semblait-il, à me préparer. Ses lèvres et ses doigts faillirent, à plusieurs reprises, me faire succomber. Il fallut que je le supplie pour qu'il mette fin à cette tendre torture.

Il commença à entrer en moi. Trouver les ressources pour me décontracter, tendu comme je l'étais, fut difficile. Ses yeux restaient rivés aux miens, je crois qu'il était à l'affût de tout signe qui pourrait trahir de la douleur. J'en ressentis à peine, rien de suffisant pour altérer le sourire que le plaisir allumait sur mon visage.

Lorsque ses hanches reposèrent sur les miennes, il me mordit la bouche d'un baiser dont la sauvagerie exprimait la passion que la lenteur et la douceur de ses mouvements paraissaient démentir. Puis, relevé sur ses bras tendus, il entama sa danse d'amour, ce mouvement ancestral, éternel, ce mouvement qui nous vient de la nuit des temps, primaire comme toute origine. Chaque fois qu'il se retirait, c'était comme si les millions de générations qui nous avaient précédées s'appuyaient à lui pour le précipiter à nouveau au plus profond de mes entrailles. Il ne me faisait pas l'amour, il m'apprenait à vivre, il m'apprenait la vie. C'était incroyable, il m'avait déjà fait atteindre des sommets, pensais-je, et là je découvrais que, jusqu'alors, nous n'avions en fait qu'escaladé des collines. Mes doigts se perdaient en caresses folles sur ses épaules, sa poitrine, son ventre. Puis mes mains se plaquèrent sur ses fesses rondes, dures, brûlantes, exigeant plus, plus loin, plus vite, plus profond. Le plaisir qu'il montrait, qui lui ouvrait la bouche et lui fermait les yeux, accroissait le mien. Je dus me mordre la main pour étouffer mes grognements, mes cris de plaisir, les ramener au niveau d'un gémissement. Une dernière poussée et je le sentis se liquéfier en moi, ce qui suffit à me faire exploser.

— Je t'aime Matt, je t'aime! souffla-t-il à mon oreille.

— Moi aussi.

— Tu t'aimes? demanda-t-il avec une lueur amusée dans le regard.

— Je t'aime toi, toi Taylor. Si je le pouvais, je te demanderais de m'épouser.

— Tu ferais ça, vraiment?

— Bien sûr que je le ferais: Taylor, veux-tu être mien pour le meilleur et pour le pire, et pour toujours?

— Oui Matt, oui, et toi est-ce que tu veux être mien?

— Oui Taylor, je n'y mets qu'une seule condition: que tu me fasses l'amour tous les jours comme aujourd'hui, jusqu'à ce que nous ayons au moins cent cinquante ans! Après on pourra envisager un peu de repos si tu veux.

— Tu ne crois pas que ça pourrait présenter des risques une fois passés les cent ans?!

— Oui, je crois, mais... l'amour vaut tous les risques, non?

— Oui, tous les risques.

Taylor reposa sa tête sur mon épaule et ferma les yeux. Je le rejoignis dans son rêve, un rêve où nous vieillissions ensemble.

      • Fin les voilà enfin l'un à l'autre
      • je vous souhaite pareil
      • bises de claudio

 

 

Par claudio - Publié dans : LISEZ VISIONNEZ VIDEOS & RECITS FICTIONS FANTASMES - Communauté : Cavaillon communauté gay bi trans lesbienne sur la région
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