La littérature est débordante d'amours gémellaires, d'incestes entre frères et sœurs jumeaux. Amours d'exception ou amours excessives ? En tout cas, amours chaotiques, rebelles à la nature, à l'enchaînement normal des causes et des effets, subversifs par essence. C'est pourquoi Michel Tournier dans son roman « Les météores » peut établir une analogie entre l'homosexualité et la gémellité : l'homosexualité serait une contrefaçon sans pareil de la gémellité permettant de la comprendre, de la percer à jour :
« Ces deux systèmes inflexibles – le gémellaire et le féminin – n'avaient aucune chance de s'ajuster l'un à l'autre. Si l'on veut des mœurs souples, novatrices, fureteuses, c'est de certains hommes qu'il faut les attendre. Notre père Édouard par exemple aurait peut-être été disposé à tenter des expériences – et d'ailleurs qu'est-ce que l'adultère sinon une certaine ouverture ? – dans des limites il est vrai assez timides. Mais je songe surtout à son frère Alexandre, notre oncle scandaleux, dont toute la vie n'a été qu'une quête amoureuse qui s'est achevée superbement dans les docks de Casablanca. Celui-là, je ne me consolerai jamais d'avoir manqué sa rencontre, son amitié – parce que c'était quelqu'un, et puis il se trouvait à la distance idéale des "sans-pareil" (1) et des jumeaux pour voir et être vu, entendre et être entendu. Son homosexualité – contrefaçon sans-pareil de la gémellité – aurait pu nous apporter des lumières précieuses, une médiation irremplaçable pour percer le mystère aussi bien gémellaire que sans-pareil. » (Michel Tournier, Les Météores, Gallimard/Folio, page 416)
Si l'inceste stérile entre jumeaux de sexes différents mène déjà à une subversion, que dire de la communion séminale entre jumeaux homosexuels, tels Jean et Paul, les deux héros du roman de Michel Tournier.
« Après ses noctambulations, Jean avait accoutumé de gagner le lit où je n'étais pas, et nous [c'est Sophie, l'une des amantes de Jean, qui parle] finissions la nuit solitairement, pour nous rejoindre souvent aux premières clartés de l'aube. Cette nuit-là pourtant par caprice ou par distraction, je le sentis se glisser auprès de moi. C'était une imprudence, car à peine l'avais-je reçu dans mes bras, je fus surprise de ne pas trouver sur lui la fraîcheur saisissante et l'odeur vierge d'un promeneur nocturne. Il était moite au contraire, comme tiré à l'instant du lit et même du sommeil, et il avait sur la peau une odeur qui ne m'était pas inconnue, l'odeur de mon brillant amant de l'autre jour. Il était clair qu'il sortait de la chambre de Paul. » (Michel Tournier, Les Météores, Gallimard/Folio, page 412)
L'inceste gémellaire bouleverse ainsi la codification ordinaire des hiérarchies familiales et des parentés. Les jumeaux sont des joueurs invétérés qui faussent totalement les règles familiales et les usages relationnels.
(1) par cette expression sans pareil, Michel Tournier désigne les non-jumeaux
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