Un petit café pour se chauffer. Il s’incline dans son costume de juriste à fines rayures. Déboutonne son col de cadre et de prof de droit associé à l’université. Et démarre en trombe, comme poussé par l’urgence de faire entendre sa voix. Celle d’un catholique pratiquant homosexuel. Celle d’un homme qui s’étrangle quand une partie de l’épiscopat brandit son crucifix contre le mariage pour tous, en balançant dans la même sébile polygamie et inceste. «Quand j’ai entendu monseigneur Barbarin, j’ai ressenti de la colère. Le pape appelle à la raison, lui a l’air de la perdre. Ses amalgames font mal. Il évoque une rupture de civilisation. Mais la barbarie règne-t-elle dans les pays qui ont permis aux homosexuels de se marier et d’adopter ? Intégrer les minorités sexuelles n’est-ce pas plutôt un progrès de civilisation ?»

Patrick Sanguinetti, 51 ans de vie sur terre, dont une bonne moitié à souffrir comme un «lépreux» reprend son souffle. Pour mieux remonter sur l’autel. «L’Eglise catholique prône la famille classique. Mais dans la Bible, on trouve toutes sortes de familles. Jacob a des enfants avec deux femmes. Ruth se lie avec Noémie… Et la Sainte Famille elle-même ? Jésus, Marie, Joseph et le Saint-Esprit, c’est pas très classique non ? Marie était enceinte avant son mariage avec Joseph lequel a donc été le père nourricier de Jésus…» Et puis, souffle-t-il, «il y a David et Jonathan». Leur histoire, il la connaît par cœur. Quand Jonathan est tué par les Philistins, David pleure sa mort en s’écriant : «Je suis en détresse à cause de toi, mon frère Jonathan, tu m’étais cher, ton amour était pour moi plus merveilleux que l’amour des femmes.» Un ange passe. Sanguinetti se revoit pousser, un jour de 2004, la porte du 92 bis, rue de Picpus à Paris. Le siège de David et Jonathan, association homosexuelle mixte chrétienne «ouverte à tous et à toutes» (catholiques, protestants, orthodoxes, en recherche de foi…) qui fêtera en janvier ses 40 ans avec ses 600 membres. «Là, on m’a accueilli. Vraiment. Grâce à eux, je suis devenu "un", pas un catho d’un côté et un homo de l’autre. Grâce à eux, j’ai pu conjuguer ma vie spirituelle et sexuelle», raconte celui qui en est devenu le coprésident. Et le porte-parole aux arguments chocs : «Les jeunes homos présentent treize fois plus de risques de faire une tentative de suicide que les jeunes hétéros.»

 

La douleur affleure. Prête à se déverser. Au diable le péché de gourmandise, Patrick le catholique se commande une mousse au chocolat. Se réconforte. Ouvre les vannes. Né dans le sud de la France, d’un père fonctionnaire du ministère des Finances et d’une mère prof d’anglais, c’est l’histoire d’un enfant façonné dans le privé catholique, qui chante dans une chorale religieuse, se rend à la messe le dimanche, et s’écorche les genoux aux Scouts de France. Pas que les genoux. «Ils parlaient de pureté mais leurs actes ne l’étaient pas toujours», élude-t-il pour mieux s’ouvrir sur son homosexualité. «J’étais tardif, candide. Je n’ai découvert que j’étais excité par les hommes qu’à 16 ans en feuilletant Podium, Connaissance des arts, les pages sous-vêtements de la Redoute et des 3 Suisses.» Malaise. Chute.

DES COINCIDENCES EN CASCADE

«A 11 ans, on m’avait fait quêter pour les lépreux. Ce mot me hantait. Je me suis dit : "Je suis un lépreux."» L’ado cherche du secours auprès du directeur de son établissement. «Je n’arrivais pas à dire ho-mo-sexuel. J’ai fini par lui écrire sur un papier :"Je crois que je préfère les hommes aux femmes." Il m’a répondu : "Dieu est miséricordieux." Je n’ai pas compris.» Mais le directeur invite Patrick à venir feuilleter des livres d’art chez lui le week-end suivant. La suite, on la devine. Sanguinetti balbutie «abus de position dominante». «J’ai résisté, se reprend-il. J’ai toujours su résister. Mais ça bousille ce genre d’événement. J’avais tellement besoin d’aide.» Pour oublier, il s’étourdit d’activités, milite pour Amnesty, puis adhère à une association de lutte contre la lèpre. Retarde la confession à ses parents. Finit par se lancer. Il a 18 ans : «Un choc terrible. Ils ne comprenaient pas que j’aie pu tomber dans le mal avec l’éducation que j’ai reçue.»

Pour «reprendre le droit chemin», le jeune Sanguinetti s’inscrit en droit. Mais la souffrance ne le lâche pas. «Je suis alors allé voir un prêtre qui m’a conseillé de sublimer mes pulsions et proposé de rencontrer un psy.» Bravant la croyance familiale que «seuls les fous vont voir un psychiatre» et que Dieu est guérisseur, il file à son rendez-vous fixé au presbytère : «Le psy m’a avoué que lui aussi était homo. M’a dit : "Vis ta vie !"» Il sourit. S’éclaire. S’illumine. Enchaîne sur une autre rencontre, David, jeune et beau garçon croisé à Nice : «Un don de Dieu, une passion, mon premier amour.» Ensemble, ils décident de partir étudier à Paris. «Quand j’ai pris le train, mon père m’a dit : "Ne perds pas ton âme, mon fils." J’ai pleuré.» 

 

 

Mais à Paris, il y a David. Ils squattent, font des petits boulots, s’aiment, et se soutiennent : «Sa mère destinait David au rabbinat. A cause de son homosexualité, il avait rompu avec sa religion et en souffrait. Nous, on voulait démontrer à nos familles qu’on allait s’en sortir. Je suis sorti major de mon diplôme de troisième cycle en droit à la Sorbonne.» Sa culture politique est faite. Parmi ses modèles, il égrène des humanistes, Mendès, Badinter, Rocard, Delors… Et Simone Veil. Pour sa loi sur l’avortement ? Ni pro ni anti, Sanguinetti se retranche derrière «une question de conscience personnelle».      

A Paris, dans les années 80, il commence à trouver ses marques. Mais le sida a commencé à faucher. Et Patrick Sanguinetti vacille sous les coups de l’homophobie qui se nourrit de la maladie. Il croit alors trouver refuge dans une fraternité religieuse séculière. Désillusion : «Le jour où j’ai évoqué mon homosexualité, on m’a répondu : "Ton homosexualité, c’est comme le cancer." J’avais 30 ans. Je suis passé de lépreux à cancéreux.»

De quoi bouffer une fois pour toutes son chapelet, les curés et tous les saints ? Catholique, il est. Profondément. Il argumente patiemment : «Jésus n’a jamais rejeté qui que ce soit pour son orientation sexuelle.» «Je n’aime pas dire que l’Eglise est homophobe. J’ai aussi rencontré sur le terrain des tas de prêtres et des religieux qui ne le sont pas», etc. Et de citer celui qu’il appelle son «accompagnateur spirituel», une autorité catholique dont il préfère taire le nom : «Il m’a dit : "L’essentiel est que deux êtres s’aiment d’un amour christique, chaste, pas dans le sens de l’abstinence, mais sans esprit de supériorité, dans le respect."» Cette même année, en 2004, il rencontre la très ancienne association David et Jonathan. «Avant, quand il y avait la Gay Pride, je restais sur le trottoir. Maintenant, je suis sur le char de l’association.» Enfin, il a sorti la tête de l’eau et nage comme un petit poisson dans un bénitier : «Je ne laisse plus mon homosexualité aux portes des églises. J’aime aller à la messe à l’église Saint-Merri [près de Beaubourg, ndlr] qui accueille tous les "pauvres". Je prie.» Et il fait un vœu : «J’aimerais me marier avec mon compagnon. Et que mes parents, avec lesquels les relations se sont pacifiées, viennent.»

Photo AUDOIN DESFORGES texte  CATHERINE MALAVAL

En 4 dates

10 septembre 1961 Naissance à Nice.

1979 Dit son homosexualité à son directeur d’école QUI EN PROFITERA POUR TENTER D'ABUSER DE SON INNOCENCE  . 

1983 Commence à donner des cours de droit à la fac.

Octobre 2008 Devient coprésident et porte-parole de l’association David et Jonathan.CATHERINE malaval