Il m'arrive parfois de dormir chez les autres. Dans le lit des autres. Pour une nuit, juste une. Avec des inconnus ou des connus, m'importe.
Parfois donc, sans que je sache trop pourquoi et comment, je me retrouve dans des bras étrangers le temps d'une nuit, le temps d'une étreinte, 8 heures en moyenne.
Je me souviens parfaitement du premier jour où j'ai commencé. Ce devait probablement être l'été 2011. Insouciant, à l'âge où l'amour et les
sentiments sont kitsch – celui où les nuits sont ivresse et chair, je découvrais Grindr. C'était beau ces petites bulles bleues sur fond noir et orange – presque à en
oublier déjà que c'était d'autres garçons derrière. D'autres garçons faits de chair, avec une vie, des amis, un travail, peut être même un poisson rouge ou des plantes et tout, et tout.
Surprenant n'est ce pas ?
De blop, en blop, de cliquetis en cliquetis sur le clavier du téléphone on s'échange des prénoms comme des cartes Pokemon, on se demande où
on vit, on s'échange des photos de chats, de fleurs et de bites et on se dit qu'on prendrait bien un café en terrasse ou qu'on se baiserait dans la cage d'escalier d'un vieil immeuble
Haussmannien. Ca dépendait des fois. Ces liens virtuels se construisent et s'effritent aussi facilement qu'un vieux pull GAP passé trop longtemps à la machine à laver.
Et puis y'a des soirs comme celui-là, celui-là dont je vais vous parler. Je n'étais pas loin de Montmartre – j'aime bien Montmartre. Je
trouve que c'est un quartier sympa et je n'ai pas attendu de voir Amélie Poulain pour aimer ces petites ruelles, ces petites échoppes de la rue des martyrs qui ne semblent pas avoir
changé depuis des siècles, comme si le temps s'était arrêté dans ces rues de Paris. On s'attend à chaque tournant de rue à entendre un accordéon résonner sur les murs lézardés du quartier
et une voix intemporelle envelopper ces notes volatiles. Je digresse, pardonnez moi. Je vous parlais donc de Grindr, des garçons, du sexe et de ce jour là.
Il m'écrit comme tous ces autres. Une belle bulle bleue apparaît sur mon écran de téléphone. Elle est assez petite, elle contient un
"salut". Parfois c'est bien de commencer avec un "salut", ca évite de se demander si on doit plutôt utiliser un "bonjour" ou un "bonsoir" selon le moment de la journée. Ca reste sobre et
engageant en plus un "salut". Je suis poli, je réponds donc un "salut" symétrique, un "salut" miroir. Les bulles s'enchainent sur mon écran et deviennent de plus en plus grandes et
grosses comme si elles se nourrissaient des minutes qui passent et de l'énergie de nos doigts sur le clavier.
Il me demande ce que je cherche. Je ne sais pas – 3 ans après je ne sais toujours pas. C'est curieux tout ces gens qui cherchent quelque
chose. Moi, à vrai dire, j'attends plutôt qu'on me trouve – pour quoi ? Je ne sais pas non plus. Je ne sais pas beaucoup de choses.
Il me dit que lui veut dormir avec quelqu'un. Juste dormir. Il a 26 ans, de beaux cheveux noirs bouclés qui sentaient la méditerranée et de
beaux yeux aussi. Enfin, je crois. Je sonne en bas de son appartement Montmartrois. Il m'ouvre. La nuit est tombée depuis un certain moment mais Montmartre elle est toujours en éveil.
Nous prenons un thé ou une tisane – je ne sais plus exactement. Nous nous racontons des brèves de nos jeunes vies comme pour briser l'anonymat derrière lequel nous nous protégeons. Je
crois qu'il s'appelait Lucas et qu'il était jeune prof.
Les heures passent, les corps se délassent – nous nous couchons dans les bras l'un de l'autre et nous endormons lentement, au son
mélancolique d'une ville qui s'endort et au gré des mains caressant inlassablement nos peaux respectives. Nous sommes des amants inconnus, des amants passagers, des amants éphémères cette
nuit platonique.
Le lendemain je prends mes affaires disséminées dans cet appartement du 5ème étage et partage un dernier et solennel café entrecoupé de
discussions candides avec ce jeune Lucas. Quelques heures plus tard, la porte de ce petit appartement parisien se referme et avec elle cette petite lucarne ouverte, le temps d'un songe,
sur la vie d'un inconnu d'un soir. D'un inconnu qui replonge dans la mare pleine d'autres inconnus. Un inconnu dont on ne garde que quelques souvenirs épars, le parfum d'une peau et les
boucles d'une chevelure brune.
Je trouve que la vie est fabuleuse. D'autres fois elle me fait peur. Nous passons quotidiennement nos journées dans une foule compacte, dans
le métro, au travail, dans la rue, en oubliant que chaque personne qui compose cette masse, chaque particule de cette molécule sociale est un univers complexe à elle seule. Derrière
chaque pas sur le trottoir, chaque regard évité dans le métro, chaque manteau frôlé, il y'a une vie, des projets, des angoisses et des rêves. Derrière chacun des ces visages il y'a peut
être de la solitude.
Certains la noient donc dans les bras chauds d'autres inconnus – le temps d'un soir ou un peu plus, comme pour se rappeler ce que ça
fait.
C'est curieux. Plus tard, je l'ai fait à nouveau un certain nombre de fois avec un certain nombre d'inconnus qui m'ont demandé de dormir
dans leurs bras juste le temps d'une nuit. Je passe de lit en lit, de couverture en couverture, m'imprégnant de l'odeur volatile de chacun d'eux comme de leurs vies, ou du peu qu'ils me
confient spontanément. Je ne baise quasiment jamais avec eux, ce serait vicier l'exercice et ces moments si particuliers. C'est curieux cette impression de partager la plus grande
intimité, sans sexe, et la plus infinie tendresse avec ces gens qui semblent bien seuls dans des appartements bien trop froids.
Pourquoi j'accepte ? Je ne sais pas – une curiosité malsaine ? Le plaisir de partager de la tendresse ? Une empathie exacerbée ? Une
solitude camouflée ? Peut être un peu de tout ça surement. Mais au fond, ce que j'aime c'est le côté furtif de ces rencontres. Je préfère effleurer la vie des inconnus d'un soir plutôt
que de l'éteindre. J'aime les mystères qui perdurent le lendemain, j'aime ce dernier café avant de franchir une dernière fois le palier de ces appartements et de faire une bise qui cache
maladroitement des adieux.
C'est dur parfois, la vie. C'est si froid dans le lit des autres, parfois dans le mien.
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