Brest, envoyé spécial de Libération.
Ils sont sept, bien en rang, debout, devant la présidente du tribunal correctionnel de Brest. Certains ont les mains croisées dans le dos, comme les footballeurs pour la photo d'avant match. L'un d'eux a les mains dans les poches, décontracté. Tous visiblement se demandent ce qu'ils font là. Ces sept garçons, tous élèves de l'Ecole nationale d'ingénieurs de Brest (Enib), inaugurent une loi votée en juin 1998 sous l'impulsion du ministère de l'Education nationale, qui punit les faits de bizutage. Leur procès est une première. Ils risquent au maximum six mois d'emprisonnement et 50 000 F d'amende.
Un peu boîteux le dépôt de plainte sans plaignante
C'est le parquet qui a engagé les poursuites. A l'origine de l'affaire, le coup de téléphone, fin septembre, d'un médecin universitaire à SOS Violence, la ligne de téléphone installée par Ségolène Royal, ministre déléguée à l'Enseignement scolaire. Le praticien venait de recevoir en consultation une élève bizutée et voulait signaler les faits. L'élève, elle, ne portera pas plainte.
Toujours de la scatologie dans les bizutages c'est connu
«Exhibitions». Le bizutage avait eu lieu les 11, 12 et 13 septembre lors du «week-end d'intégration» des nouveaux, en première année. Les faits reprochés sont assez typiques du genre: tonte des cheveux d'un élève; scènes d'«exhibitions de fesses en groupe ou isolément»; exécution de pompes en chantant «j'encule les tantes et j'aime ça»; organisation d'une chenille, chaque étudiant prenant la main du suivant après s'être passé le bras entre les cuisses et avançant en chantant: «j'ai quelque chose de pointu qui me rentre dans le cul qui m'empêche de marcher»; doublage par deux étudiants, bras liés, d'une séquence de film porno et organisation d'un «relais rosé» (boire le maximum de verres de rosé en un minimum de temps).
Loi placardée...et c'est comme un défi!
. Présent parmi les prévenus, le président du bureau des élèves (BDE) de l'Enib, au courant de la loi, s'était porté garant du bon déroulement du week-end auprès du directeur de l'école, qui avait fait placarder des extraits du texte dans le hall de son établissement. Devant la présidente du tribunal, il se défend d'avoir obligé quiconque à faire quoi que ce soit. «Et personne à l'issue de ce week-end n'a estimé avoir été victime de faits humiliants et dégradants.» Et il précise: «Si faire la chenille est dégradant, toutes les soirées étudiantes tombent sous le coup de la loi. J'ai fait l'an dernier un stage au pays de Galles, c'était pareil.» Il a aussi «du mal à comprendre en quoi se faire couper les cheveux est humiliant, surtout que l'étudiant était volontaire, c'était un troisième année, pas un nouveau, et il s'était laissé pousser les cheveux exprès.» Le vice-président du BDE, le secrétaire général, le trésorier, tous prévenus aussi, s'étonnent de la même manière. «C'est moi qui devais me faire tondre, dit même l'un d'entre eux. Mais l'autre avait les cheveux plus longs"» Le secrétaire général note: «Vous savez, des pompes, on en fait tous les jours sur un terrain de foot.» Le président du BDE explique que, les années précédentes, c'était pire. «Les oeufs, la farine, les repas les mains liées dans le dos, c'est fini.» Un prévenu conclut: «On a démontré que le bizutage avait fortement évolué.»
Sanction d'avertissement. «Il est manifeste que l'interdiction du bizutage est difficilement acceptée, remarque le procureur. L'objectif du législateur est d'empêcher la dictature de certains, le défoulement collectif, l'embrigadement des jeunes par les plus vieux.» D'accord pour considérer que la gravité des faits est «relative», il requiert une sanction d'avertissement, «pour que le message soit entendu»: huit jours de prison avec sursis et 2 000 F d'amende, non inscrits au casier judiciaire. La défense a dénoncé ce procès pour l'exemple et demandé la relaxe des sept étudiants.
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