Témoignages
Jaffar : "J'ai quitté ma cité pour vivre mon homosexualité"
Jaffar Lamrini est écrivain. Il a grandi dans une cité de Dreux en cachant son homosexualité. Là, il a trouvé l’énergie nécessaire pour sortir de « la terreur ». Voici son portrait.
"A Athènes, tout était très martial, très militaire. Mais l’homosexualité y était acceptée voire même célébrée. Dans le cadre de la pédérastie par exemple, le jeune était pris en charge par un adulte qui le formait. En lisant Le Banquet de Platon, on apprend qu’il y avait des règles strictes : le jeune devait avoir de la barbe, la différence d’âge ne devait pas être trop importante… On considérait même que sur le champ de bataille, les soldats combattaient mieux et avec davantage de vigueur si leur amant était dans la même armée."
Cela fait quelques minutes que nous échangeons, et déjà mon interlocuteur cite les écrits de l’Antiquité grecque pour appuyer son propos. Face à moi est assis un ingénieur en aéronautique de 30 ans, aujourd’hui vêtu d’un t-shirt noir et d’un pantalon de jogging. Quand je lui fais part de mon étonnement, celui-ci s’en amuse et répond malicieusement « Je ne suis pas un vrai ingénieur ». Car même s’il adore la créativité de ce travail “qui te laisse le champ libre tant que tu résous le problème », il ne s’y sent pas très à l’aise. Aussi depuis quelques mois, il se consacre exclusivement à l’écriture.
« Mon fils, promets-moi que tu garderas toute ta vie ton derrière fermé »
Car Jaffar Lamrini est aussi romancier. En 2015, il a même remporté le « Coup de cœur » du roman gay pour son oeuvre autobiographique : Garde ton derrière fermé, clin d’œil à la consigne que sa mère lui avait fait promettre d’appliquer alors qu’il n’avait que 7 ans. D’une plume simple et belle, il révèle son parcours de gay né en cité, le long d’un récit qu’il a voulu le plus proche possible des sentiments de ses 4 ans, de ses 7 ans… jusqu’à la vingtaine.
Les parents de Jaffar sont Marocains. Lui est né en France. Il a grandi dans une cité de Dreux au milieu d’une fratrie de douze enfants dont il occupe la 8ème place. Toute sa scolarité, il l’a passée entre les terrains de foot et les établissements classés « zones d’éducation prioritaire ». Or dans ce milieu qu’il décrit comme « fortement hostile à l’homosexualité », il est parvenu à transformer ce qui est trop souvent assimilé à un stigmate en une force :
«Quand on est gay, on se fait torpiller par la famille, par le voisinage, par les religieux… On est enchaîné, surveillé, critiqué, insulté. On se pose beaucoup de questions parce qu’on est dans la terreur d’être découvert, mais cette terreur nous dicte aussi des instincts de survie : analyser, comprendre, trouver des solutions… ça commence très tôt. A 11 ans j’avais déjà une maturité des gens, je savais analyser les comportements, je savais comment me défendre. C’est triste de penser comme ça lorsque tu es adolescent… C’est la terreur qui m’a appris à jouer un rôle, à ne pas montrer de défaillance »
Libre ou tenu par ce serment fait à sa mère ?
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