«Maman, tu n'auras pas de petits-enfants.» C'est comme cela qu'il y a vingt-neuf ans Jérôme a annoncé son homosexualité à sa mère. «Quand, au début de notre relation, François m'a parlé de son désir d'enfant, pour moi, c'était de la science-fiction, se souvient-il. J'ai réalisé qu'à cause de l'interdit, de la pression de la société, je l'avais totalement exclu de mon parcours.» Mais, aujourd'hui, des boîtes de lait infantile encombrent la cuisine, des peluches ont investi les canapés du salon et une ribambelle de petits pyjamas aux tons pastel sèchent sur la rambarde de la mezzanine.
Car, à l'issue d'une invraisemblable histoire qui les a menés jusqu'au fin fond du Wisconsin, dans le nord des États-Unis, la «science-fiction» est devenue réalité: en couple depuis quinze ans, Jérôme, un artiste de 45 ans, et François, un cadre de 40 ans, sont devenus papas. L'adoption, bien sûr, était leur première option. Vite écartée. «Les associations homosexuelles nous ont expliqué qu'il nous faudrait d'abord nous dépacser, nous séparer pendant deux ou trois ans, et même vendre notre appartement, raconte François. Cela signifiait que, pour fonder une famille, il nous fallait nous renier et mentir à la société…» La coparentalité (un homme ayant recours à une femme célibataire ou en couple pour élever un enfant à deux, trois ou quatre), le type de parentalité le plus répandu chez les homosexuels, ne correspondait pas à leur «désir d'avoir une vraie vie de famille».
C'est alors que Jérôme et François entendent parler de la GPA Interdite en France comme dans la plupart des pays européens, qui redoutent les dérives d'un tel système et notamment la «marchandisation», cette pratique est autorisée et encadrée au Canada ou aux États-Unis. Mais elle est très coûteuse. «En comptant tous les frais médicaux, les avocats, les vols et les hôtels, il faut partir sur un budget de 65.000 à 100.000 euros, indique Alexandre Urwicz, coprésident de l'Association des familles homoparentales (ADFH). La donneuse d'ovocytes tout comme la mère porteuse perçoivent une dizaine de milliers d'euros chacune.»
«Quelqu'un qui nous ressemble»
Jérôme et François contactent une agence à Madison, dans le Wisconsin. Et leur banquière, «particulièrement compatissante, car elle-même en procédure d'adoption», leur accorde «deux crédits à la consommation»… Il s'agit d'abord de trouver une donneuse. Le couple la veut «non anonyme», pour que leur enfant «puisse un jour la contacter». Arrive un fichier avec 200 profils agrémentés de photos. «C'est un peu effrayant de se dire que l'on va choisir dans un catalogue la personne qui va donner son patrimoine génétique à ses enfants…», admet François. «Mais ça a été instinctif, poursuit Jérôme. On avait envie de quelqu'un qui nous ressemble. On a flashé instantanément sur M. Elle a les mêmes yeux bruns en amande que moi…» Et puis, étudiante en médecine, M., que les deux hommes ont pris soin de rencontrer, «sait ce qu'elle fait».
La donneuse trouvée, il faut ensuite chercher une mère porteuse. Pourquoi deux femmes? «Cela permet d'installer une distance émotionnelle», la mère porteuse ne se considérant pas comme la mère des enfants. «On a monté un dossier avec nos photos, nos voyages, nos goûts… énumère François. Six mois plus tard, l'agence, comme une marieuse, nous “matchait” avec une famille qui nous correspondait.» Même si, en rédigeant cette touchante lettre mentionnant «toutes les souffrances par lesquelles vous passez en tant que couple stérile», Colleen et son mari ne pensaient sûrement pas aider un jour un couple d'hommes… Catholiques, ces agriculteurs, parents de triplées après bien des déboires, n'avaient jamais rencontré d'homosexuels! Mais, finalement, le contact passe très bien.
Jérôme et François, qui veulent «tout partager harmonieusement», ont une requête particulière: ils souhaitent concevoir chacun un embryon. Deux embryons seront donc transférés… et tous deux s'implanteront! Du «champagne Mumm» pour fêter ça, des contacts quasi quotidiens par Skype avec la mère porteuse, des photos du ventre qui grossit à vue d'œil, la première échographie en direct par téléphone, les battements des petits cœurs «à fond les baffles»… Les futurs papas vivent, dans l'effervescence, «un projet qui (les) dépasse».
Des jumeaux, deux pères
Et c'est une famille très élargie qui les entoure. «Ma tante de 74 ans est venue aux États-Unis nous prêter main-forte, raconte Jérôme. La mère de Colleen a tricoté de la layette. Quant aux trois fillettes de 6 ans, elles ont très bien compris que ces bébés n'allaient pas vivre avec elles.» À l'accouchement, les jumeaux - une fille et un garçon - sont immédiatement confiés aux papas, qui ont fait un test de paternité. «Mon fils cherchait mon sein, se souvient Jérôme encore ému. C'était troublant.»
Des jumeaux de pères différents… Le juge de Madison considère que le cas mérite une audience. «Mais il a été formidable, souligne le couple. Il nous a fait deux certificats séparés, avec Colleen comme mère, et Jérôme père de l'un, François père de l'autre.» Munis de leurs passeports américains, les deux bébés peuvent rentrer en France. Mais impossible de les enregistrer à l'état civil français: «L'administration devinerait tout de suite la GPA.»
Et maintenant? «Ça devient une histoire d'une banalité confondante», veut croire François. Pas tout à fait quand même… Aujourd'hui, Betty et Roman ont dix-huit mois et babillent «Papapapapa». «On va leur expliquer les choses telles quelles sont, assure Jérôme. Vos deux papas s'aimaient très fort ; ils ont demandé à une dame de nous donner une petite graine et à une autre de prêter son ventre.» Les réticences d'une grande partie des Français? Les deux hommes les trouvent «légitimes, car il y a beaucoup trop de préjugés sur la GPA». Mais pour le développement de leurs enfants, ils n'ont aucune crainte: «On est deux hommes complètement différents, on leur apportera des choses complètement différentes. Quant aux référents féminins, ils les trouveront auprès de la nounou, de leur grand-mère, de la maîtresse.»
Derniers Commentaires