Le blog gay de Cavaillon et ses amis prostitués

Et on devient son pire ennemi sous la bannière de la conscience, la morale, la reconnaissance...Peut-être, aujourd'hui, en 2014 les choses sont devenues plus claires sinon faciles... Suite sur Juste une question d'amour... 

 

Je dédie cet article à Saïd qui  en doit trop à sa mère "pour lui faire ce coup-là" !

26 janvier 2000, légère perturbation dans le cours habituel des téléfilms socio-familiaux diffusés tous les mercredis sur France 2. L’histoire d’amour de cette semaine-là implique deux garçons qui doivent lutter contre leur environnement familial et sociétal pour s’accomplir...

Laurent, 23 ans, fils de pharmaciens d’une petite ville de province, est, au bout d’une scolarité parfois difficile, élève d’un Lycée horticole. Il vit en collocation dans un appartement avec Carole, sa meilleure amie. Une volonté d’indépendance qui est aussi le prix de son silence, de ce que Laurent cache à ses parents.
Quelques mois plus tôt, Marc, le cousin de Laurent, est mort d’une hépatite contractée à l’étranger. Il est mort seul, abandonné et rejeté par l’oncle et la tante de Laurent parce qu’il était homo. Ils sont même persuadés à tort qu’il est mort du Sida. Une situation qui n’a pas choqué les parents de Laurent. Du coup, difficile pour lui d’envisager de révéler que lui-même est gay. Alors, famille je vous hais ? « Même pas, » dit Laurent. « Pourtant, ce serait tellement plus simple si je ne les voyais plus ».
Alors Laurent joue la comédie du couple avec Carole, persuadant ses parents qu’ils sont ensemble.

Pour autant, la situation est loin d’être facile pour lui. D’ailleurs, depuis ces événements, son échec scolaire n’a fait que se renforcer. Comme une offre de la dernière chance, son Directeur lui a sélectionné un bon stage, que Laurent doit réussir pour obtenir son diplôme.
Laurent rencontre alors son maître de stage, Cédric, jeune homme de 30 ans qui s’occupe de la jardinerie de son père, dans laquelle il a aussi installé son laboratoire, puisqu’il est avant tout chercheur à l’INRA. Entre Cédric et Laurent, c’est le coup de foudre quasi-immédiat. Laurent s’intègre alors dans la vie de Cédric, et fait connaissance avec sa mère, Emma qui, avec le temps, a accepté la vie de son fils. Qui ne lui en a jamais vraiment laissé le choix.

Mais bientôt, leurs situations différentes créent des problèmes dans leur histoire, Cédric ne supportant pas de ne plus exister dès que la famille de Laurent pointe le bout de son nez. De son coté, Carole aussi a de plus en plus de réticences à servir d’alibi. Cédric et Laurent se disputent. Cédric part quelques jours pour assister à un “colloque”.
Espérant arranger les choses, Emma se rend chez les parents de Laurent et leur révèle la vérité sur les liens qui unissent leurs enfants. Aussitôt, le père de Laurent la raccompagne à la porte. Puis il se rend chez Laurent et lui jette à la figure les deux valises d’affaires qui restaient chez eux.

Les parents de Laurent cherchent conseil auprès de ceux de Marc. La mère de celui-ci, rongée par la culpabilité depuis la mère de son fils et plongée dans la dépression lui dit alors que tout se résume à une seule question : « est-ce qu’on aime nos enfants autant qu’on le prétend ? ». Ce sont eux, ajoute-t-elle, qui ont poussé Laurent au mensonge, compte-tenu de ce qui s’est passé avec Marc.

Emma culpabilise d’avoir déclenché un de telles réactions. Elle recueille Laurent chez elle, et s’explique avec lui. S’excusant d’avoir eu tord. Ajoutant aussi : « Vous êtes insupportables aussi toi, Cédric et les autres comme vous. Nous il faut qu’on encaisse. Sans avoir eu le temps de comprendre. Sans avoir eu le temps de pleurer, aussi. »
Laurent lui annonce son intention de partir à Paris, il s’est arrangé avec son directeur pour un transfert. Elle décide alors de faire croire à Cédric qu’elle est malade pour précipiter son retour, avant que Laurent ait quitté la maison. Emma raconte tout à Cédric. Sur le chemin de la gare, ils se réconcilient. Laurent demande à Cédric de l’amener chez ses parents. Il a une explication avec son père. « S’il te plaît, » lui demande ce dernier, « j’ai besoin encore d’un peu de temps ».

« Je me sens plus léger, » confie un peu plus tard Laurent à Cédric lors d’une balade en forêt. Justement, Cédric se dit plus inquiet : « maintenant, » explique-t-il, un sourire sur le visage, « on n’a plus de raisons de se disputer »...

B.A.

Peu de téléfilms peuvent illustrer mieux que « Juste une question d’amour... » ce qui se passe quand, dans une fiction globalement sinistrée, un groupe de gens se rassemble, armés de la meilleure volonté du monde, sous l’égide d’une direction de fiction qui a décidé de faire sa B.A. de l’année. Comme pour se souvenir de ce qu’ils aiment - devraient aimer ? - dans leur boulot. « Ce qu’on était en train de faire, c’est ce pourquoi on fait ce métier : l’absolue nécessité de faire un film, voilà. Là, il y avait la nécessité, » dit Martine Chicot, qui a supervisé la production du film pour Hamster productions. La phrase est un beau compliment pour « Juste une question d’amour ». En creux, elle témoigne aussi de tous ces autres films, ceux qui ne sont pas ce pour quoi on fait ce métier...
A l’origine, une commande de la chaîne : des histoires sentimentales pour la case téléfilm du mercredi soir. Martine Chicot démarche alors des scénaristes de ses connaissances susceptibles de répondre à une telle commande. Parmi eux, Pierre Pauquet, lequel a déjà une telle histoire dans ses cartons... mais qui concerne deux garçons.
L’histoire en question est largement personnelle, voire auto-biographique. Les quelques changements opérés par le scénariste sur le premier synopsis par rapport à son vécu, probablement conçus pour augmenter les facteurs glamour et hype du résultat, avaient déplacé l’histoire à Paris, au sein du Marais, faisant des deux garçons de jeunes comédiens. France 2 suggérera immédiatement de trouver un autre cadre pour l’histoire, en province, ôtant au résultat une bonne part de cliché et rapprochant d’autant le film d’un certain sentiment de réalité.

Interrogés, les différents intervenants du film, scénariste, réalisateur, comédiens et producteur racontent tous que le film s’est fait assez facilement. Sa mise en oeuvre n’a pas été « un combat » comme on aurait pu le penser. En creusant un peu, les entretiens laissent voir que cette absence de conflit doit aussi un peu à une attitude très intelligente du réalisateur et des comédiens principaux. Concernant la scène assez torride du premier baiser de Laurent et Cédric, par exemple, Cyril Thouvenin et Stephan Gerin Tillié expliquent qu’elle est née sur le tournage, pas sur la page : pour que cette scène soit à l’image telle qu’elle est, il ne fallait pas qu’elle soit écrite dans le scénario. C’est la volonté des deux acteurs et du réalisateur de traiter cette histoire d’amour comme celle de n’importe quel autre téléfilm, scènes de sexe incluses, qui permit d’aboutir à ce résultat.
Par ailleurs, quand on sait que deux autres acteurs étaient prévus pour les rôles principaux mais qu’ils ont préféré annuler en raison du sujet, on réalise que des résistances, il a bien fallu en affronter pour le tourner.
De fait, les différents témoignages des créatifs dévoilent aussi que si la direction de la chaîne leur a laissé les coudées relativement franches, ils ont du affronter un autre démon, à savoir l’auto-censure.

La tentation de l’auto-censure

Revenons à la défection des comédiens initiaux. Quand celle-ci se produisit, Christian Faure décida de revenir à son choix de coeur. Les essais de Thouvenin et de Guerin Tillié étaient ceux qu’il avait préféré (on comprend aisément pourquoi vu les performances) mais il s’était finalement tourné vers deux comédiens moins ’’sexuels’’, qui auraient, à l’image, incarné une homosexualité de bonne famille plus convenable.

Christian Faure, et ses comédiens Cyrille Thouvenin, Stephan Guerin Tillié et Eva Darlan se sont très fortement impliqués dans un tournage qui fut par ailleurs très joyeux. « c’est assez rare, en télé, de voir un réalisateur aussi impliqué dans ce qu’il est en train de faire , » confie d’ailleurs Thouvenin. Le naturel incroyable qui se dégage de leurs scènes doit énormément aux deux acteurs, qui n’ont jamais hésité à aller beaucoup plus loin que ce qui était écrit sur la page, tant dans l’intention, le jeu y compris corporel, que dans l’écriture des répliques. Ensemble avec Christian Faure, ils ont grandement rehaussé le scénario initial de Pierre Pauquet, imparable sur la mécanique dramaturgique (sa construction est exemplaire) et la psychologie, mais ramené à une certaine fadeur par un formatage « grandes chaînes hertziennes françaises » visiblement très intégré. Pierre Pauquet s’est plusieurs fois inquiété de ce qui était filmé, persuadé que « la 2 n’accepterait jamais » (ce qui était déjà son opinion initiale sur son synopsis).
Les prestations d’acteur des trois comédiens principaux ne sont pas seulement très bonnes. Elles figurent clairement au plus haut niveau de ce qu’à pu montrer la télévision française ces vingt dernières années. Cyrille Thouvenin et Eva Darlan sont simplement inoubliables.
Pour être justes et complets, on signalera tout de même qu’à l’inverse, Caroline Veyt, dans le rôle de Carole, la meilleure amie de Laurent, livre une performance qu’il faut bien qualifier d’épouvantable. Il n’y a probablement pas une seule de ses répliques qui sonne juste.

« Juste une question d’amour... », on pourra le lui reprocher, ne dénote que très peu dans le flot global des fictions sentimentales produites au kilomètre par la chaîne publique. D’une part, il faut noter cependant les qualités intrinsèques qui élèvent ce téléfilm-là au-dessus de la plupart des autres : précision du scénario, réalisme psychologique rare de l’ensemble, performances exceptionnelles des comédiens. Le scénario atteint par exemple la balance parfaite dans le portrait de la famille de Laurent. L’homosexualité de leur fils leur paraît insupportable, et ils le rejettent. Mais ils restent humains, Pauquet n’en fait pas des monstres.
Surtout, il faut comprendre que, dans ce cas précis, c’est cette conformité-là qui se révèle profondément subversive, appliquée à ce sujet là, à ce moment là : sept ans en arrière, quand il fut pour la première fois diffusé.

Un succès entre émotion et prises de conscience

Avec 6 millions de téléspectateurs le soir de sa diffusion, « Juste une question d’amour... » était devenu un succès. Mais ce ne serait pas un de ces succès de diffusion qui font la satisfaction d’une chaîne un matin à la lecture des compte-rendu d’audience puis s’évanouissent à jamais.
Tout le monde se rendit assez vite compte que quelque chose se passait autour de ce film. D’abord, les coups de téléphone à la chaîne commencèrent à affluer, pour demander s’il était possible de se procurer une copie vidéo du film, mais aussi parfois pour livrer un témoignage personnel sur la manière dont le téléfilm avait été perçu. Parallèlement, des collègues producteurs appelaient Martine Chicot pour lui dire que sa production venait de ringardiser instantanément plusieurs de leurs projets. Et puis, chez le réalisateur, Christian Faure, le répondeur se bloquait sous l’effet de la saturation de messages, tandis que le sol de son salon se recouvrait de dizaines de Fax. Ensuite, après quelques jours, ce sont les courriers qui affluèrent, sacs entiers à l’attention des différents acteurs, patchwork improbable de témoignages positifs ou désespérants, et de quelques déclarations enflammées. Bon nombre de personnes racontaient comment le film leur avait donné le courage de s’assumer et, à leur tour, de révéler leur vérité, voire comment ils avaient utilisé « Juste une question d’amour » comme support pour le faire.
Ce qui se révéla encore plus inhabituel, c’est que le phénomène, loin de s’éteindre à mesure que s’éloignait la diffusion du téléfilm, s’inscrivit au contraire dans la durée et persistait encore largement au moment où, un an et demi plus tard, ce succès poussait à l’édition de la fiction en DVD (fait alors rarissime). Sept ans après, il ne se passe probablement pas un mois sans qu’une association, quelque part en France, mette une projection du film à son programme.

Pour la productrice Martine Chicot, « [le film] venait matérialiser quelque chose qui était en travail dans la société depuis longtemps ». « Ce qui est formidable, » ajoute Eva Darlan, « c’est que le téléfilm entre partout, dans toutes les couches sociales ». Un fait qui prend une tournure un peu inattendue quand on devient, du jour au lendemain, « la mère fantasmatique de tous les homosexuels, toutes générations confondues ».
Pierre Pauquet arrive lui à une drôle de conclusion : « J’ai été militant pour les gay pendant des années. Et là, j’écris un film sans penser à quoi que ce soi, sans vouloir faire passer un message, sans vouloir faire un film militant, j’écris un film d’amour, quasi-autobiographique. Et tout à coup, j’ai l’impression qu’avec 120 pages j’ai fait plus de travail, 10 000 fois plus de travail, que lorsque j’étais militant actif. »

est disponible en DVD chez Antiprod, dans une édition comportant des entretiens en bonus, qui reviennent assez longuement et avec pertinence sur la genèse et la production du film, ainsi que sur le raz-de-marée que son succès suscita. Les citations de cet article en sont d’ailleurs extraites.

 

 

 

 

 

 

 

Dim 18 mai 2014 Aucun commentaire