Le blog gay de Cavaillon et ses amis prostitués
RECITS FICTIONS (56) suite 3 rentrée au lycée
Un coup d'œil rapide à Lucia: elle tremblait et elle était d'une blancheur à faire fantasmer un publicitaire spécialisé dans les comparatifs de lessives. Je pris une grande inspiration.
— Papa, Maman, je suis homosexuel.
La terre s'arrêta de tourner exactement au moment où mon cœur cessa de battre. Le silence était d'une épaisseur, d'une densité étonnante. Mon père se leva lentement, se dirigea vers le bar et revint avec la bouteille de Jack Daniels dont il ne se sert guère plus de deux fois par an. Il retomba sur sa chaise et versa un peu d'alcool au fond de son verre. Ma mère lui tendit le sien.
— Donne-m'en un peu s'il te plaît.
Ils boivent leur alcool avec une incroyable lenteur. Tout d'ailleurs me parait lent, cotonneux. J'ai l'impression de regarder la scène, au ralenti, d'un film de série B, et je me sens très mauvais dans le rôle principal. Ils se regardent, quelques secondes d'un échange muet durant lesquelles ma tension s'accroît encore. Ils tournent enfin leurs regards vers moi.
— Quelle nouvelle! dit ma mère. Mais merci, merci d'avoir confiance, assez pour partager ça avec nous. Je peux comprendre que ça t'ait paru difficile, même si tu n'avais, objectivement, aucune raison de craindre quoique ce soit.
Ses yeux étaient humides mais ses lèvres m'offraient un sourire sans équivoque.
— Nous t'aimons Matt, reprend mon père, rien ne pourra jamais changer ça, nous t'aimons. Si tu as besoin de quelqu'un sur qui t'appuyer, nous serons toujours là pour toi, n'aies aucun doute à ce sujet et ne l'oublie jamais.
Mes yeux m'ont trahi une fois encore.
— Ce n'est pas de la tristesse, vous gourez pas, au contraire, je suis heureux, tellement heureux, je crois que j'en ai perdu le contrôle de ces foutues glandes lacrymales!
— Tu veux une goutte de Jack Daniels? offre mon père.
Il en verse un fond dans mon verre que j'avale d'un trait. La brûlure de l'alcool me fait tousser si fort que j'en tombe de ma chaise. La scène déclenche une vague de rires dont nous avions tous besoin pour évacuer la tension de ces dernières minutes. Lorsque nous regagnons notre calme mon père demande:
— Matt, est-ce que tu veux que nous continuions de discuter ce soir? Personnellement je préfèrerais avoir un peu de temps pour réfléchir. Pas de méprise surtout, j'accepte totalement ton homosexualité qui ne me gêne en rien. C'est juste que... c'est plus qu'inattendu alors je ressens le besoin d'y réfléchir un peu.
— J'ai fait le plus difficile. Il n'y a plus aucune urgence maintenant. En fait je dirais même que la journée a été particulièrement dure. Je me sens épuisé, un peu comme si je marchais depuis 17 ans avec des chaussures de plomb de 20 kg chacune. J'ai d'un seul coup l'impression que demain je pourrais être l'élève le plus rapide que l'école ait jamais connu!
Ce soir je suis vraiment crevé et je n'ai plus qu'une envie: c'est de me jeter sur mon lit. Merci, merci à tous les trois de votre compréhension, j'en avais vraiment besoin. Je vous aime!
Après les avoir embrassés j'ai rejoint ma chambre.
Le lendemain matin je me suis réveillé tout habillé sur mon lit, le sommeil m'avait pris par surprise!
Lucia et moi quittâmes la maison vers sept heures.
— Tu es prêt à le revoir?
— Beaucoup plus que lorsque tu m'as vu hier dans ma chambre. Je vais faire de mon mieux pour être comme d'habitude mais je crains que ce ne soit difficile.
Nous étions encore à une centaine de mètres de sa maison lorsque je l'ai aperçu. Il nous attendait sur le trottoir et faisait de grands gestes de la main.
Son sourire était épanoui. Il a embrassé Lucia et m'a serré la main avec un enthousiasme joyeux qui m'a fait chaud au cœur, il avait l'air très heureux de me revoir et nous avons discuté tout le long du chemin comme deux vieux copains. Avant de s'éloigner Lucia me glisse à l'oreille:
— Tu as vraiment très très bon goût frangin, et pour autant que je puisse le voir, tous les espoirs te sont permis, alors, accroche-toi!
Je rougis violemment, j'ai un peu peur que Taylor n'ait entendu, mais en fait il n'en est rien. La seule chose qu'il trouve certainement étrange c'est mon changement de couleur, mais il a la discrétion de ne pas en chercher la cause, ce qui m'évite la peine d'avoir à improviser un mensonge, activité pour laquelle je suis loin d'être brillant.
Les jours passèrent sans événement notable jusqu'à la fin de la semaine. Je passais presque tout mon temps avec lui, parfois en compagnie d'autres amis, mais la plupart du temps juste lui et moi. Plus je le voyais, plus je lui parlais, plus je travaillais avec lui, plus j'étais amoureux.
Ma vie était déchirée entre des sensations contradictoires, entre l'Enfer et le Paradis. C'était une tendre torture, comme quelque chose qui vous chatouille, mais en mille fois plus doux et mille fois plus douloureux. Le plus difficile était de m'éloigner de lui chaque fois qu'un contact physique s'établissait. C'était l'extase pour moi et j'avais besoin de toute la force de ma volonté pour prendre de la distance. Ces trop courts attouchements étaient le sel de ma vie. Jour après jour je collectais ainsi des fragments d'image, de subtiles sensations et nuit après nuit je les réassemblais en fantasmes dont vous devinerez aisément le contenu.
Vendredi après-midi, alors que nous rentrions chez nous, Taylor était moins bavard qu'à l'accoutumée. Il semblait soucieux.
— Pas très bavard aujourd'hui. Il y a quelque chose qui t'embête?
— Non, pas vraiment. J'étais juste en train de penser à notre cours de maths. Je n'y ai quasiment rien compris et j'ai bien peur que le contrôle de la semaine prochaine ne soit très dur pour moi, même si je passe tout le week-end à bosser.
— Tu veux un coup de main? Tout ça c'est nouveau pour toi, mais pas pour moi, j'avais le même prof l'an dernier et on avait déjà commencé à travailler sur ses saletés de statistiques et de calculs de proba.
— Ça m'embête, je m'en voudrais vraiment de gâcher ton week-end. Tu m'as déjà eu sur le dos toute la semaine.
— Ne dis pas, ça n'a pas été une corvée, au contraire. Ça ne fait pas très longtemps que je te connais, mais je te considère déjà comme mon meilleur ami, si tu es d'accord bien sûr. Et à quoi ça sert les amis, sinon à donner un coup de main? Dons si c'est OK pour toi, je serai très heureux de t'aider et... d'être avec toi.
J'ai eu l'impression qu'il rougissait un peu et se tendait. Il me jeta un regard surpris.
— Oui, on peut... on pourrait... euh.... Regar... Jouer aux vidéos, faire un jeu vidéo.
Je bafouillais affreusement
— Ou on pourrait... regarder un film ou...
— OK! OK! Si l'idée de faire des maths pendant le week-end ne te dégoûte pas, c'est d'accord pour moi, tu pourrais rester dormir si tu veux?
— Ce serait génial. Quand veux-tu?
— Pourquoi pas ce soir, on sera plus vite débarrassé, et il nous restera deux jours pour nous remettre. Si tu es d'accord je demande à ma mère mais je suis sûr qu'il n'y aura aucun problème.
— Faut que je prévienne la mienne aussi d'ailleurs. Je file à la maison chercher quelques affaires et je reviens tout de suite. Passe-moi juste un coup de fil pour me confirmer l'accord de ta mère.
Je me suis précipité chez moi, le cœur battant, pour appeler ma mère à son bureau et, comme je m'y attendais, elle accepta sans hésitation:
— N'oublie pas de me laisser un numéro de téléphone où je puisse te joindre en cas de problème et sois à la maison demain pour midi, et ne te couche pas trop tard, c'est le début de l'année et surtout soit sympa avec sa mère et...
— M'man, rappelle-toi que j'ai 17 ans et que je connais par cœur la liste des conseils!
— C'est vrai chéri, c'est vrai, amuse-toi bien et à demain!
— Au revoir M'man et merci!
J'avais à peine reposé le téléphone qu'il sonna.
— Salut Matt, c'est Taylor. Alors ça marche pour toi?
— C'est OK mais je n'ai pas eu le temps de préparer mes affaires, je suis chez toi dans quelques minutes.
— À tout de suite!
Dans ma chambre, j'emballe en vitesse quelques Tshirt propres et ma trousse de toilette, puis je prends une douche rapide. J'étais sur le point de sortir lorsque Lucia entra.
— Où est-ce que tu vas?
— Chez Taylor, il m'a demandé de l'aider à bosser ses maths et m'a proposé de dormir chez lui.
— Dormir chez Taylor... Hum!... Chez Taylor c'est sûr... mais dormir...? Ça m'étonnerait!
J'ai pris instantanément la couleur que tout paysan du marmandais souhaite pour ses productions de tomates.
— Lucia! Comment peux-tu...? Et puis c'est faux, il ne se passera rien et tu le sais très bien! Il est hétéro.
— Et comment est-ce que tu sais ça? Il a déjà une copine?
— Non, mais il a fait quelques commentaires sur des filles qu'il trouvait sexy.
— Et ça ne t'est jamais arrivé?
— Si! Mais tu sais bien que c'est parce que je peux difficilement afficher vers qui vont mes préférences!
— Et tu crois que Taylor est différent? Tu crois que s'il est gay il te sautera directement dessus sans prendre la moindre précaution?
— Hum... Non, bien sûr! Mais il n'y aucune chance qu'il soit gay, il est hétéro!
— C'est super chouette d'avoir un frangin optimiste et à l'esprit ouvert! Un jour il faudra que tu lui dises, tête de mule!
— Je ne sais pas. Je ne veux pas le perdre, pour rien au monde. Même si je ne peux pas en faire mon petit ami, je ne veux pas le perdre comme ami tout court. Et j'aurais trop peur que ça arrive en lui parlant, j'aurais trop peur qu'il me rejette.
— Écoute Matt, s'il te rejette parce que tu es gay, ça veut dire que c'est un putain d'homophobe. Et toi, homosexuel, tu peux rester ami avec un mec que tu soupçonnes d'être homophobe! Difficile à comprendre.
— Je ne suis pas sûr qu'il me rejetterait! Je ne suis pas sûr qu'il m'aimerait non plus! je ne suis plus sûr de rien! Si tu veux tout savoir je suis en pleine purée, je n'y comprends plus rien! Pourquoi je ne suis pas hétéro comme tout le monde! J'irais rejoindre Cathy, elle serait contente et moi je serais enfin tranquille, enfin rassuré! Ce serait tellement simple si...
— Si, si, si... Arrête de reconstruire le monde et toi avec. Tu es qui tu es et ce que tu es. Le garçon qui comprendra ça et tombera amoureux de toi sera le plus heureux du monde. Le seul SI dont je sois sûre, c'est que SI tu ne lui parles pas tu seras malheureux. Et je ne peux pas supporter l'idée de te savoir malheureux. J'espère que tu vas y réfléchir. Tu me le promets!
— Si tu pouvais savoir, je ne fais que ça, y réfléchir! Mais promis j'y réfléchirai encore plus! répondis-je en soupirant. En attendant je vais être en retard, alors je file, salut!
Je fis tout le chemin jusque chez Taylor au pas de course. La porte s'ouvrit avant que je n'atteigne la dernière marche du perron. Le vestibule était très clair, et s'ouvrait sur un escalier conduisant à l'étage, une cuisine et une autre pièce qui paraissait être le salon. Il me conduisit tout d'abord à la cuisine et me fit boire un verre d'eau, le temps de reprendre mon souffle, avant de me présenter à sa mère qui nous attendait au salon.
Leur salon était une très grande pièce meublée et décorée avec un goût qui me convenait tout à fait. L'ambiance générale était très moderne: cuir et bois clairs. Quelques bibelots délicats ornaient des étagères de plexiglas et de merveilleuses tapisseries aux couleurs éclatantes pendaient le long des murs blancs. J'appris plus tard qu'elles venaient du Guatemala où Taylor et sa mère avaient fait un voyage quelques années auparavant. Sa mère lisait, profondément enfoncée dans un fauteuil. Elle était très jolie. Vêtue d'un jean et d'un polo, on l'aurait facilement prise pour la sœur aînée de Taylor.
Je savais, grâce à nos conversations précédentes, que son père les avait quittés une dizaine d'années plus tôt et n'avait plus jamais donné le moindre signe de vie. Il avait été repéré deux ou trois ans plus tard du côté de Chicago, avaient-ils appris un jour. Depuis, plus rien. C'avait été très dur pour Taylor et sa mère pendant quelques années, mais ils avaient fini par accepter ce que, de toute façon, ils ne pouvaient pas changer. Sa mère était interprète en français, et ils avaient déménagé pendant l'été pour se rapprocher de son plus gros client. Sans être riches ils étaient très à l'aise. Le déménagement avait aussi servi de dernière étape à leur thérapie. C'avait été un moyen, pour Taylor en tout cas, de couper les derniers liens qui le reliaient à son père. Il s'en sentait soulagé.
— Maman, voici Matt.
— Oh! excusez-moi, je ne vous avais pas entendus entrer. Bonjour Matt.
— Bonjour Madame.
— Appelle-moi Martha si tu veux. Je suis vraiment très contente de te connaître. Plutôt de te rencontrer car j'ai l'impression de te connaître parfaitement déjà. Taylor n'arrête pas de me parler de toi, qui tu es, ce que tu fais, ce que tu aimes, ce que tu penses...
— N'en fais pas trop maman s'il te plaît!
— D'accord, j'arrête de vous taquiner. Sérieusement, je voulais te remercier Matt. Taylor était presque déprimé jusqu'à dimanche soir: se retrouver dans une nouvelle ville, intégrer une nouvelle école... tu imagines ce que c'est, et depuis lundi l'état dépressif s'est envolé comme par magie, je crois même que je ne l'avais pas vu aussi décontracté depuis longtemps, toutes ses craintes ont disparu. Et d'après ce que je sais, grâce à ce qu'il m'a dit et aux confidences de Cathy, tu as très largement contribué à ce résultat. Donc: grand merci à toi!
Elle me serra dans ses bras. Je ne m'attendais pas à de telles effusions mais ce qui les justifiait m'aida beaucoup à surmonter mon embarras: Taylor avait pris un réel plaisir à ma compagnie, c'était la meilleures nouvelle de l'année!
Il me conduisit à sa chambre.
— Et si nous nous mettions tout de suite à ces satanées maths, on serait plus tranquille après? lui demandai-je.
— Ça me va!
Il approcha une deuxième chaise de son bureau et nous attaquâmes le premier exercice qui lui posait problème. Notre travail avança très vite, en fait Taylor était excellent en maths, il ne lui manquait que les deux ou trois éléments de base que nous avions vus l'année précédente et qu'il absorba sans peine.
— Les garçons! Le dîner est prêt! appela sa mère du pied de l'escalier.
En jetant un coup d'œil à ma montre, j'eus la surprise de constater qu'il était (déjà) presque sept heures. Nous avions travaillé trois heures de rang!
— Juste cinq minutes Maman et nous avons fini! répondit Taylor.
Nous expédiâmes le dernier exercice avant de nous précipiter vers la cuisine où nous attendait Martha. Elle avait préparé une salade de tomates au basilic absolument délicieuse et d'énormes T-bones qui avaient une chance plus que raisonnable de venir à bout de notre appétit!
— Et ton problème de maths Taylor?
— Problème de maths? Quel problème de maths? Fini, terminé, réglé, Matt est le meilleur des profs!
— Encore une qualité ! Mais cela cessera-t-il un jour?
Nous éclatâmes de rire tous les trois.
— Je ne sais pas, reprit Taylor, mais je peux te dire que je suis soulagé, je craignais de devoir travailler tout le week-end, et tout est fini avant samedi!
— Pour célébrer ce remarquable événement, qu'est-ce que vous préférez, des glaces ou des bananes flambées?
— Oh! des bananes ! Si tu n'en as jamais mangé choisis les bananes Matt, ma mère fait les meilleures bananes flambées du Monde !
Je choisis donc les bananes et Taylor avait raison, elles étaient fabuleuses, dignes des Dieux. Elle les cuisait lentement pour que le sucre caramélise de façon très progressive, puis elle les arrosait d'une généreuse rasade de Cognac qu'elle faisait flamber, et elle servait accompagné d'un peu de glace à la vanille. Le spectacle etait captivant, le parfum, enivrant, la saveur, confondante.
La conversation allait bon train, Martha était vraiment sympathique et drôle, un peu comme une amie à peine plus âgée. Vers neuf heures elle nous quitta pour aller finir son livre avant de s'endormir.
— Bonne nuit les garçons, ne vous couchez pas trop tard.
— D'accord Maman.
— Au revoir Martha, et merci pour tout, la soirée a été très agréable.
— Tu es le bienvenu ici, aussi souvent que tu veux.
Taylor se tourna vers moi:
— Qu'est-ce que tu préfères Matt ? Cassette vidéo ou jeu vidéo ?
— Hum... Un jeu plutôt, j'aime bien les films mais je préfère les voir au cinéma. On pourrait peut-être y aller ensemble la semaine prochaine, ils jouent une vieille comédie de Capra "Arsenic et vieilles dentelles", c'est certainement l'un des films les plus drôles qui ait jamais été tourné.
— Je n'en ai jamais entendu parler mais je suis prêt à essayer. En attendant je vais t'apprendre comment on court les 24 heures du Mans!
Dans sa chambre la console de jeux était déjà branchée, prête pour la première partie. D'habitude j'étais plutôt bon à ce jeu, mais là, malgré toute ma pratique, il réussissait tous les 5 ou 6 tours à m'en prendre un! En fait je n'étais pas dans les meilleures conditions de jeu: de le sentir si proche de moi rendait ma concentration plutôt aléatoire. Chaque fois que nos jambes, nos bras ou nos épaules entraient en contact, je recevais une décharge électrique qui se traduisait, environ une fois sur deux, par une sortie de route. Comme ces contacts étaient de plus en plus nombreux je finissais même par me demander s'il ne le faisait pas à dessein!
— Une petite pause? me demanda-t-il après sa quatrième victoire consécutive.
— Oui, je crois que j'ai besoin de reprendre un peu mes esprits, de me remobiliser, et ensuite une dernière course pour te montrer qui est vraiment le meilleur!
— À ton âge on peut toujours rêver de s'améliorer, mais là ça me paraît davantage relever du fantasme! Tu veux boire quelque chose?
— Un coca s'il te plaît.
Pendant qu'il était à la cuisine, je réfléchissais à la façon dont les choses se présentaient. C'était difficile d'être si près de lui. Mais ça me paraissait impossible, presque interdit de lui exprimer, de lui montrer ce que je ressentais en réalité. C'était douloureux, je finissais par me demander si ç'avait été une si bonne idée de venir. Il fallait que je sois plus fort, que je reste capable de maîtriser mes pulsions. Sinon je n'allais pas tarder à être découvert... Pour ce que j'étais d'ailleurs: un pédé en chaleur avec une seule obsession en tête: arracher les fringues d'un mec qui lui, de son côté, est persuadé d'avoir juste un invité un bon copain ! Un bon copain ?! Comment est-ce que je pourrai jamais prétendre en être un avec ce que j'ai dans la tête ? Avec un comportement aussi malhonnête? Il mérite beaucoup mieux qu'un obsédé comme moi!
Plongé dans mes sombres pensées, je ne l'entendis pas revenir avec les boîtes de coca et je sursautai lorsqu'il m'en glissa une dans la main. La boite m'échappa et le coca se répandit sur la moquette! Quel chantier!
— Oh merde! dit Taylor.
— Je suis désolé, je suis tellement maladroit!
— Ce n'est pas grave, on va nettoyer ça en vitesse!
Il me jeta une serviette de toilette et en prit une lui-même afin d'absorber le plus de liquide possible. Quelques serviettes de plus et un peu d'eau eurent raison des dernières taches. Nous étions sur le point de finir lorsque j'attrapai la serviette qui restait sur le sol au moment où Taylor faisait le même mouvement. J'attrapai sa main. Il la retira immédiatement, presque défensivement, sans un regard pour moi. Cette fois j'en étais sûr, il évitait le contact. Il avait tout compris, ou il était sur le point, ou il était méfiant. J'étais sûr qu'il se doutait de quelque chose.
— Qu'est-ce que tu as Matt ? me demanda-t-il. Tu es tout pâle tout à coup.
— Non, ça va.
— Ça n'en a pas l'air, tu trembles comme une feuille.
Je n'arrivais plus à reprendre contrôle. J'avais tellement peur de ce qu'il pourrait me dire.
— Je crois que je ferais mieux de rentrer.
— Pourquoi est-ce que tu veux rentrer? Si c'est le coca c'est idiot, je m'en fiche complètement et ma mère aussi!
— Non, ce n'est pas ça!
— Quoi alors? Quelque chose que j'ai dit ou... que j'ai fait?
Il murmura à peine la fin de sa phrase, sans me regarder.
— Non! Non... c'est moi... seulement moi. Je ne peux pas t'en parler. C'est mieux pour nous deux que je m'en aille pour... notre amitié...
— Tu te barres au milieu de la nuit, à une heure du matin! Sans un mot d'explication, et tu parles d'amitié ?! Je croyais que j'étais ton ami, et j'avais confiance en toi et là tu me laisses tomber juste parce que je... parce que je suis... Je te croyais plus ouvert que ça ! Pis je m'en fiche, fais ce que tu veux!
Il était en colère c'était visible. Mais il avait l'air blessé plus encore. Il débrancha sa console de jeux et éteignit la télé, sans dire un mot de plus. Il réarrangea quelques bibelots sur les étagères, toujours silencieux.
— Je suis désolé, murmurai-je.
— Si tu veux faire une dernière chose pour moi, reste dormir ici. Pas pour moi, pour ma mère. Je ne veux pas qu'elle se fasse du souci à cause de toutes ces histoires. Et demain tu pourras partir aussi tôt que tu voudras.
Il entra dans la salle de bain et referma la porte sur lui. J'étais paralysé. La crise de panique qui m'avait touché était tellement violente que je n'arrivais toujours pas à aligner deux pensées cohérentes. Quand il revint je n'avais toujours pas bougé, enkysté dans mes peurs.
— Qu'est-ce que tu as décidé?
— Je vais rester.
— Merci, répondit-il rapidement et sans chaleur.
Il se mit au lit.
J'occupai à mon tour la salle de bain sacrifiant sans y penser au rituel de la toilette du soir. J'enfilai un Tshirt puis me glissai dans l'autre lit, situé à l'opposé de celui de Taylor. Il éteignit aussitôt la lumière.
Je savais déjà que je serais incapable de fermer l'œil tant j'étais tendu, il me semblait que pas un muscle de mon corps ne pouvait se relâcher. Les images de la soirée se percutaient sans cesse dans le chaos que ma pensée n'essayait même plus d'organiser. La façon dont il m'avait touché d'abord, puis évité ensuite... ses regards sur moi, joyeux au début, puis surpris, troublés méfiants peut-être. Je commençais même à voir du dégoût dans les plus tardifs.
La peur me pesait si fort sur la poitrine que ma respiration en devenait difficile par moments. J'essayais à la fois de contrôler mes émotions et d'être le plus silencieux possible. Je mordais mon drap pour m'interdire de pleurer. Je savais que si je laissais partir une larme elle formerait vite un torrent de sanglots qui m'emporterait.
Les heures qui suivirent resteront à jamais les plus longues de mon existence. Les minutes que son réveil affichait en rouge me paraissaient faites de milliers de secondes.
Il était près de trois heures lorsque j'entendis un bruit très léger, comme un souffle contenu. Le bruit s'amplifiait doucement. Il pleurait, j'en étais sûr. J'oubliai un instant ma peur pour me lever et m'approcher de son lit. Recroquevillé sur ses couvertures, il avait le visage enfoui dans son oreiller comme pour s'y fondre et le corps secoué de sanglots.
— Taylor? Taylor, arrête de pleurer... s'il te plaît, arrête!
—...
— Je t'en prie, dis-moi quelque chose!
Je tendis la main pour lui caresser les cheveux. Il sursauta.
— Ne me touche pas! descends de mon lit! Je sais que tu ne m'aimes pas, alors arrête de jouer les bons samaritains, tu me détestes! T'as le droit si tu veux mais c'est dégueulasse d'avoir été si amical si c'est pour me jeter comme une merde ensuite!
— Mais je ne te déteste pas Taylor, Qu'est-ce qui te fait croire un truc pareil?
— Parce que... Parce que je.... Alors, si tu ne me détestes pas, pourquoi est-ce que tu voulais filer comme ça, en pleine nuit ?
Il réagrippa son oreiller pour s'en couvrir à nouveau le visage et étouffer ses pleurs, je n'avais jamais été témoin d'une telle détresse. Je n'y comprenais rien mais le voir dans cet état m'était insupportable, sa peine m'était une souffrance terrible, elle me minait, me déstabilisait.
— Taylor, murmurai-je, je vais te dire pourquoi je voulais partir.
— Je m'en fous! Tu peux bien aller au diable ou passer la nuit dehors, ça m'est complètement égal.
Je n'arrive toujours pas à comprendre comment sa colère a pu éveiller la mienne, mais c'est bien de la colère que j'éprouvais lorsque je lui arrachai l'oreiller des mains.
— Maintenant, que tu le veuilles ou non tu vas m'écouter. Tu as raison je ne suis pas le bon copain que tu pouvais espérer. Je n'ai pas été franc avec toi. J'ai même été franchement malhonnête. Je suis gay Taylor. Ça y est je l'ai dit! Je suis gay, un pédé ! Je voulais partir parce que j'étais sûr que tu t'en étais aperçu, ou que tu étais en train de t'en rendre compte. Je préférais partir de moi-même que de me faire jeter dehors. C'est pas parce que je te déteste Taylor, c'est parce que je ME déteste! J'espère juste que tu n'en parleras pas à tout le monde.
Je glissai du lit vers le sol. Les larmes coulaient en cascade glacée sur mes joues. Je mourrais, ce n'était plus des larmes qui jaillissaient de mes paupières closes, c'était ma vie, mon ‚me, mes espérances...
Taylor s'approcha, devant moi, à moins d'un mètre. Un sourire ironique écartait ses lèvres. Il se mit à rire, doucement d'abord puis de plus en plus fort.
Je n'arrivais pas à y croire. À la douleur si profonde que j'éprouvais il fallait qu'il ajoute la moquerie. Je ne méritais pas ça. Il essaya de dire quelque chose mais il riait tant que les mots sortaient hachés, brouillés:
— Id... es con... stup... stop..."
Une fois encore la colère vint m'aider à surmonter mon désespoir.
— Je suis peut-être un pédé mais je ne resterai pas ici à me faire insulter! Ce coup-ci je m'en vais!
à suivre
unir des larmes...